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Russie: l’amélioration se confirme
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Lundi 22 août 2016
La situation économique de la Russie
est en train de s’améliorer. On peut,
assurément, considérer que le processus
est trop lent. Le potentiel de
croissance du pays reste l’un des plus
importants. Mais l’amélioration de la
situation est aujourd’hui indiscutable.
Le cours du rouble est l’une des clefs
de cette amélioration. Permettant un
développement de l’industrie à l’export,
il entraîne avec lui l’ensemble de
l’économie. Il faut néanmoins noter que
le changement de modèle économique se
poursuit. Il se traduit non seulement
par une hausse significative du taux
d’épargne, mais aussi par un recentrage
des conditions d’investissement sur
l’économie nationale. La situation n’est
donc plus la même qu’il y a deux ans et
demi. En un sens, les « sanctions »
décidées par les pays occidentaux ont
accéléré cette évolution, mais ne l’ont
probablement pas déclenchée. De même, le
pivotement de l’économie russe vers
l’Asie se poursuit, assurément plus
lentement que certains ne le voudraient
mais, ici encore, de manière régulière.
La Russie est donc entrée, qu’on le
veuille ou non, dans une période de
« dé-globalisation ».
Le taux de change
Si l’on regarde le taux de change du
rouble depuis la fin du mois d’avril
2014, on est frappé par l’ampleur de sa
dépréciation. Une partie importante de
cette dépréciation est liée à la baisse
des prix du pétrole depuis l’automne
2014. Mais pas seulement ; il est clair
que le rouble a été la cible d’attaques
spéculatives, en particulier à la fin de
2014. En réalité, si la décision du
gouvernement de laisser flotter le
rouble, décision qui fut prise au début
de l’année 2014, s’est trouvée
justifiée, les fluctuations de court
terme qu’elle entraîne ont contribué à
perturber la marche normale de
l’économie. Mais, si l’on regarde
maintenant le taux de change réel (ou
REER), on constate qu’il correspond au
niveau d’un pétrole à 60$ le baril,
alors que le prix (indice Brent) est
actuellement de 50 $ le baril.
Evolutions du taux de change
Le point est ici intéressant. Si les
prix du pétrole ont augmenté comme prévu
(et comme annoncé ici même)
pour atteindre la zone des 45-50 $ le
baril, cela aurait dû mettre le rouble à
un taux de change (compte tenu de
l’inflation) de 76-78 roubles pour un
dollar américain. Or, le taux de change
semble désormais stable dans la zone des
63-65 roubles pour un dollar. Cela
implique, par rapport à la situation du
début de 2014 une appréciation relative
de 20% du taux de change par rapport à
sa parité calculée sur le prix du
pétrole.
Prix du
Brent
Plusieurs faits peuvent expliquer
cela : 1. Les conditions de productivité
des entreprises pétrolières, et
l’efficacité du budget public, se
sont améliorées ces deux dernières
années. Si, pour le premier point,
cela est vraisemblable, cela reste
douteux pour le second. 2. La part des hydrocarbures dans
les recettes d’exportation de la
Russie a baissé. Or, c’est bien ce
que l’on constate effectivement.
Notons que le succès des
exportations hors gaz et pétrole
s’explique largement par la
dépréciation du rouble, qui rend les
entreprises russes beaucoup plus
compétitives. Des études locales et
régionales montrent que les bassins
locaux d’emplois liés à ces
exportations connaissent
actuellement une situation de
tension importante, expliquant une
hausse tout aussi importante des
salaires, tant nominaux que réels,
hors secteur des administration. Le
taux de chômage reste actuellement
très faible, mais avec des
disparités importantes (le secteur
des services et de la
commercialisation reste en retrait
par rapport à l’industrie). En fait, la Russie connaissait une
situation de surévaluation de sa devise
à la fin de 2013. J’avais estimé, à
l’époque, qu’une dépréciation de
-15%/-20% était nécessaire, et j’avais
probablement erré par optimisme. En
fait, il semble bien qu’une dépréciation
de -25% était nécessaire. Notons que de
nombreux collègues, tant russes que
français, m’opposaient qu’une
dépréciation du rouble aurait des effets
négatifs, du fait de la dépendance de
l’industrie aux produits importés. Cette
dépendance existe, et c’est une
évidence, mais elle est bien moindre que
ce qui était supposé par mes collègues. Si l’on applique une dépréciation de
-25% au taux de change réel du rouble,
calculé en décembre 2013, on obtient
actuellement un taux de change de 52,5
roubles pour un dollar américain. Le
taux de change nominal étant d’environ
64 roubles pour un dollar, cela nous
donne une sous-évaluation relative de
-22%. Notons, ici, qu’une étude du FMI
considère que le taux de change du
rouble a été à sa « parité » normale en
2015. Cela impliquerait une
surévaluation initiale nettement plus
importante pour fin 2013. Mais, cette
étude prend pour base la balance
courante des pays ; or le poids du
pétrole, à la hausse comme à la baisse,
fausse probablement ici les calculs.
Nous sommes donc dans une situation
où, par rapport aux prix du pétrole, le
rouble est surévalué et
par rapport à l’industrie
sous-évalué. Cette situation
correspond parfaitement aux besoins de
la Russie actuellement.
Les évolutions
macroéconomiques
En glissement annuel |
Mars
2016
|
Avril
2016
|
Mai
2016
|
Juin
2016
|
Juillet
2016
|
Août
2016
|
PIB % |
-1.8% |
-0.7% |
-0.6% |
-0.5% |
0.0%* |
0.2%
|
Commerce de détail % |
-6.2% |
-4.9% |
-6.1% |
-5.9% |
-5.0% |
-4.8%
|
Salaires réels |
1.5% |
-1.1% |
1.0% |
1.1% |
0.6% |
0.5%
|
Salaires nominaux % |
8.9% |
6.1% |
8.4% |
8.7% |
7.8% |
7.5%
|
Chômage % (instantané) |
6.0% |
5.9% |
5.6% |
5.4% |
5.3% |
5.2%
|
Construction, % |
-1.4% |
-5.9% |
-9.0% |
-9.7% |
-3.5% |
-4.0%
|
Production industrielle % |
-0.5% |
0.5% |
0.7% |
1.7% |
-0.3% |
0.7%
|
(Les données d’août sont des
prévisions)
Les données macroéconomiques de
juillet ont apporté une surprise
positive dans le domaine du commerce et
l’investissement de détail. Le commerce
de détail ne s’est contracté que de
-5,0% en glissement annuel contre
-5,8%-5,5% pour la prévision du
consensus des analystes russes. Le taux
de chômage était en juillet de 5,3%, et
il continue de décroître depuis le début
de l’année. Quant aux salaires nominaux,
ils ont augmenté de 7,8% (soit plus que
l’inflation et connaissent donc un
accroissement de 0,6% sur un an en
termes réels). Ceci explique
l’amélioration continue de la
consommation, qui devrait se poursuivre
en août, compte tenu du fait que
l’indice utilisé n’est plus
représentatif des tendances actuelles de
la consommation des ménages. L’indice de
la construction, en ce qui le concerne,
est tombé à seulement -3,5%, alors que
l’on s’attendait à le voir diminuer de
-8,0%. Cela semble indiquer que le
secteur de la construction est en train
de se rétablir. Le seul point négatif
est la baisse de 0,3% de la production
industrielle en juillet, qui était bien
au-dessous des prévisions de 1,2%
croissance (consensus: + 0,8%).
Cependant, sur les 5 derniers mois de
l’année, la croissance de la production
industrielle est de 0,4% en moyenne. Le
redressement du PIB implique que ceci
est train de se propager dans le secteur
des services.
l’amélioration de la consommation n’a
pas endommagé la tendance de l’épargne
forte qui se maintient aujourd’hui.
Selon les données bancaires de juillet
de la Banque Centrale de Russie, le
marché des dépôts de détail a surpris
par sa hausse, avec une solide
croissance de 15%. Cela confirme que les
ménages poursuivent leur stratégie de
désendettement. On a déjà rapporté cette
croissance robuste au fait que, compte
tenu de la réglementation de de-offshorization,
un certain nombre d’individus fortunés
sont restreints pour ce qui est de
transférer de l’argent à l’étranger. Il
est tout à fait possible que cela ait
joué, mais cela ne peut expliquer en
totalité le mouvement des dépôts. La
sensibilité accrue du marché à la
volatilité des taux de change soutient
par ailleurs ce point de vue: en
juillet, lorsque le rouble a commencé à
se déprécier à nouveau, les dépôts de
détail en devises étrangères ont grimpé
de 2% par rapport au mois précédant, ou
2 milliards de dollars, ce qui suggère
un saut de la part des acteurs du marché
professionnel parmi les déposants. Mais,
la tendance est évidente depuis les 6
derniers mois.
Un point important est donc que les
mesures réglementaires (et
non-réglementaires…) pour inciter la
fraction la plus fortunée des ménages à
rapatrier leurs avoirs en Russie a donc
une certaine efficacité.
Les résultats de juillet ont été
particulièrement positifs, compte tenu
de la politique budgétaire restrictive
que continue de pratiquer le
gouvernement. Dans les derniers mois,
les dépenses du budget fédéral ont été
significativement plus faibles que
prévues. Sur les 7 premiers mois de
l’années 2016, les dépenses se sont
contractées de 4%. Même si cette
contraction est principalement liée au
transfert plus faible que prévu au fonds
de pension de l’État (qui n’a pas
transmis nécessairement tous les
paiements de pension antérieurs), dans
l’ensemble de la politique budgétaire
n’a pas appuyé la reprise de la demande
en juillet. Ce point est important à
garder à l’esprit quand on sait qu’une
politique de soutient à la demande sera
nécessairement mise en place au mois de
septembre et au mois d’octobre, en
particulier via la revalorisation des
montants des pensions et prestations.
L’impact sur la croissance devrait alors
être notable.
On doit donc s’attendre à ce que la
croissance s’accélère pour les 4
derniers mois de l’année, ce qui
correspond à la prévision de +0,5% à
+1,5% pour 2016.
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