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Cinq questions sur Nice
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 22 juillet 2016
L’attentat de Nice soulève une série de
graves questions quant au rôle de
l’Etat, mais aussi de la municipalité.
Ces questions sont démultipliées par les
débats qui ont entouré la reconduction
de l’Etat d’urgence, qui a été prorogé
pour une durée de 6 mois. Ces questions
pourraient être à l’origine d’une
polémique aux effets politiques
redoutables dans les semaines et les
mois à venir.
I. Quelles
étaient les mesures de sécurité adoptées
pour le feu d’artifice du 14 juillet à
Nice ?
C’est le journal Libération
qui a lancé le débat dans un article du
21 juillet[1].
Cet article a suscité une riposte
violente du Ministre de l’intérieur, M.
Bernard Cazeneuve, parlant d’un
« complot » ourdi par ce journal[2].
Or, ce qui est mis en cause est cette
partie du communiqué du 16 juillet [3]:
«La mission périmétrique était
confiée pour les points les plus
sensibles à des équipages de la police
nationale, renforcés d’équipages de la
police municipale. C’était le cas
notamment du point d’entrée du camion,
avec une interdiction d’accès
matérialisée par le positionnement de
véhicules bloquant l’accès à la
chaussée. Le camion a forcé le passage
en montant sur le trottoir.» En
fait, il apparaît que seuls 2 policiers
municipaux assuraient le contrôle du
périmètre au point où le camion du
meurtrier est entré dans la partie
piétonne de la promenade des anglais.
Aucune chicane en béton n’était
déployée, ni à cet endroit ni 370 mètres
plus loin, là où se trouvaient la
patrouille de 4 hommes de la police
nationale. Or, de telles chicanes
avaient été utilisées auparavant, et en
particulier lors de l’Euro-2016. Il est
clair qu’il y a de sérieuses différences
entre ce que dit le Ministère de
l’Intérieur et la réalité. Pourquoi le
Ministère de l’intérieur ne veut-il pas
le reconnaître ?
II.
Etaient-elles raisonnablement
suffisantes ?
Cette question surgit au regard des
mesures pratiquées pour l’Euro-2016. Il
semble que l’événement sportif ait été
mieux sécurisé que le 14 juillet.
Pourquoi ? Les autorités disposaient
elles d’information les amenant à penser
que la menace avait baissée ? Sinon,
comment expliquer que l’on ait baissé la
garde ? On sait que les forces de
sécurité étaient (et sont) dans un état
d’épuisement avancé. Dans ces
conditions, n’était-il pas de l’autorité
du maire et du préfet d’interdire un
événement que l’on ne pouvait sécuriser
convenablement ? Ou bien a-t-on pensé
qu’en matière de relations publiques la
mort de badauds pesait moins que celles
de supporters ?
III.
Le Secrétaire d’Etat aux relations avec
le Parlement,
demande à
ce que cessent toutes les critiques
contre « les services administratifs de
l’Etat ». Est-ce justifié ?
La déclaration de J-M Le Guen[4]
pose un véritable problème de morale et
de politique. Quand il affirme que : « Je
veux bien qu’on aille sur ce terrain-là,
mais dans ce cas, il n’y a plus d’État
de droit dans le pays. Si un certain
nombre de journalistes, de
commentateurs, de responsables
politiques mettent en cause le
fonctionnement de la justice et des
services administratifs de l’État, alors
c’est une thèse qui est extrêmement
dangereuse pour la démocratie« , il
met en cause en réalité la démocratie.
Dans une situation bien plus grave, en
pleine guerre de 1914-1918, Clémenceau,
alors Président du Conseil, dans un
célèbre discours avait eu des mots plus
justes et plus dignes : « … Je dis
que les républicains ne doivent pas
avoir peur de la liberté de la presse.
N’avoir pas peur de la liberté de la
presse, c’est savoir qu’elle comporte
des excès. C’est pour cela qu’il y a des
lois contre la diffamation dans tous les
pays de liberté, des lois qui protègent
les citoyens contre les excès de cette
liberté. Je ne vous empêche pas
d’en user. Il y a mieux : il y a des
lois de liberté dont vous pouvez user
comme vos adversaires ; rien ne s’y
oppose ; les voies de la liberté vous
sont ouvertes ; vous pouvez écrire,
d’autres ont la liberté de cette tribune
;(…). De quoi vous plaignez-vous ? Il
faut savoir supporter les campagnes ; il
faut savoir défendre la République
autrement que par des gesticulations,
par des vociférations et par des cris
inarticulés. Parlez, discutez, prouvez
aux adversaires qu’ils ont tort et ainsi
maintenez et gardez avec vous la
majorité du pays qui vous est acquise
depuis le 4 septembre.[5] »
Il tint ce discours alors que les
troupes allemandes occupaient une partie
de notre territoire, alors que des
français mourraient par centaines chaque
jour. Il est clair que les membres de ce
gouvernement perdent leurs nerfs. Mais
84 personnes, elles ont perdu la vie.
L’indécence du gouvernement n’en est que
plus évidente. Ce n’est donc pas
seulement Bernard Cazeneuve, le Ministre
de l’intérieur qui devrait démissionner
mais bien l’ensemble du gouvernement.
IV. Pourquoi
la justice ordonne-t-elle à la mairie de
Nice de détruire les images de
l’attentat ?
La justice évoque le souci « d’éviter
la diffusion non contrôlée de ces images
» et en particulier le risque que ces
images ne soient utilisées sur des sites
djihadistes[6].
La sous-direction antiterroriste de la
Police Judiciaire (SDAT) réclame donc
l’effacement complet des enregistrements
pris entre le 14 juillet 22h30 et le
15 juillet 18 heures pour toutes les
caméras ayant une vue sur la scène de
l’attentat et tout particulièrement pour
les six caméras surveillant la promenade
des Anglais qui ont filmé en direct
l’attentat du 14 juillet. Or, cette
demande est pour le moins surprenante
dans le contexte de la polémique
suscitée par les conditions de sécurité.
L’avocat de la ville de Nice Philippe
Blanchetier, a réagi vigoureusement,
citant notamment « la polémique sur
la nature du dispositif policier »
le soir de l’attaque et déplorant dans
une déclaration à l’agence Reuters[7] :
« C’est la première fois de ma vie
que je vois une réquisition aux fins
d’effacement de preuves (…).
L’argument avancé de risque de fuite ne
tient pas. » Si ce fait devait être
avéré, il serait particulièrement grave,
et mettrait en cause l’ensemble de
l’action gouvernementale.
V. Lors du
débat sur la prolongation de l’état
d’urgence des déclarations ont été
faites par des membres de l’opposition
quant à une interdiction du « salafisme ».
Cela correspond-il aux besoins de la
situation ?
L’état d’urgence, décrété dans la
nuit du 13 novembre, acte de
souveraineté[8],
a fini par être dangereusement galvaudé.
Cela vient d’une incapacité à nommer
l’ennemi[9].
Au lieu de s’engager dans la
prolongation de l’état d’urgence, on
aurait pu, et dû, prendre des mesures
simples comme :
- L’interdiction du financement
étranger direct des lieux
de culte et associations cultuelles.
- Le contrôle par le Ministère de
l’intérieur des prêches et
l’expulsion des prédicateurs
refusant les principes figurant dans
le préambule de la Constitution,
ainsi que ceux appelant à la haine.
- L’interdiction aux français
étant allés combattre dans une
organisation terroriste et
génocidaire de revenir sur le
territoire national.
Ces mesures ne nécessitent pas l’état
d’urgence. Elles peuvent être prises
dans le cadre législatif normal. Elles
montrent que l’état d’urgence est
aujourd’hui bien plus un acte de
communication qu’un acte de nécessité.
Ce sont de tels comportements, de la
part du gouvernement comme de la part
d’une partie de l’opposition qui mettent
en péril la démocratie et qui témoignent
d’une perte totale de légitimité.
Les questions posées appellent des
réponses claires, et sans ambiguïté.
Mais, ce n’est pas ce gouvernement qui
est en mesure de les donner. Il doit
impérativement démissionner pour que la
vérité soit faite et pour que l’on passe
du registre de la communication à celui
de l’action.
Notes
[1]
http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531
[2]
http://www.huffingtonpost.fr/rudy-reichstadt/theorie-du-complot-cazeneuve_b_11128582.html
[3] Cité d’après Libération,
http://www.liberation.fr/france/2016/07/20/securite-a-nice-370-metres-de-questions_1467531
[4]
http://www.bfmtv.com/politique/attentat-de-nice-pour-jean-marie-le-guen-critiquer-l-etat-est-dangereux-pour-la-democratie-1009413.html
[5]
http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-moments-d-eloquence/georges-clemenceau-je-fais-la-guerre-8-mars-1918
[6]
http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/07/22/la-justice-ordonne-a-la-ville-de-nice-de-supprimer-les-images-de-l-attentat-la-mairie-refuse_4973376_3224.html
[7]
http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN1020UJ
[8] Voir « Etat d’urgence et
souveraineté », note publiée le
16/11/2015,
https://russeurope.hypotheses.org/4469
[9] Voir : « Les salafistes et la
République (recension de « Silence
Coupable ») », note du 28/04/2016,
https://russeurope.hypotheses.org/4909
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