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Michael Flynn, l’atout caché de Trump ?
Jacques Sapir
Vendredi 18 novembre 2016
Le président élu des Etats-Unis, mais
non encore entré en fonction, M. Donald
Trump, semble avoir décidé de nommer
conseiller à la Sécurité Nationale le
Général Michael Flynn[1].
La personne de ce dernier attise les
curiosités[2],
mais aussi les remarques désobligeantes,
d’une partie de la presse française et
américaine. Un grand journal du soir le
traite ainsi de « revanchard »[3].
Pourtant, Michael Flynn n’est pas le
premier venu. Ancien directeur du
renseignement militaire (la Defence
Intelligence Agency) de 2012 à 2014,
il est incontestablement l’un des
esprits les plus vifs et les plus
remarquables de l’armée américaine.
Souvent présenté comme tenté par
l’extrême-droite, en raison de ses
violentes attaques contre Hillary
Clinton, le personnage se révèle
beaucoup plus complexe, et inclassable.
Michael Flynn fait partie de cette
génération de militaires américains qui
a fait ses expériences personnelles et
militaires dans la lutte contre le
terrorisme et dans un contexte largement
dominé par la pensée Néoconservatrice
qui domina aux Etats-Unis depuis la fin
du mandat de Bill Clinton. Sa famille
politique est le parti Démocrate. Cela
peut sembler anecdotique, mais il
convent de le relever car, à la
différence de bien des officiers
supérieurs de l’armée américaine, il ne
vient pas d’un milieu Républicain.
Flynn
est issu du corps des officiers de
réserve de l’armée américaine, le ROTC,
qui est bien souvent la seule solution
pour quelqu’un d’origine modeste de
faire des études universitaires. Il a
fait une partie de sa carrière dans les
forces spéciales, au Joint Special
Operations Command, le JSOC, et il
fut l’une des chevilles ouvrières de la
transformation de ce commandement en
l’une des plus efficaces machines de
guerre des Etats-Unis. Il a travaillé
sous les ordres du Général Stanley
McChrystal dont le rôle fut décisif pour
faire évoluer l’armée américaine en
fonction des nouveaux défis posés par la
mouvance terroriste. Michael Flynn s’est
donc battu en Afghanistan et en Irak,
dans des guerres qui ont été largement
impopulaires aux Etats-Unis. Nommé dans
le début des années 2000 à la tête de la
division renseignement au JSOC, il fut à
l’origine des percées en matière de
renseignement qui résultèrent dans la
mort de Abu Musab Zarqawi le responsable
d’Al Qaeda en Irak. Il fut aussi, et
cela n’est pas souvent cité, l’homme à
qui on confia la tâche de réécrire le
manuel d’interrogation des suspects à la
suite du scandale des pratiques
américaines dans la prison d’Abu Graib.
En tant que tel, il a pu mesurer les
effets délétères des tortures qui
étaient couramment pratiquées dans cette
prison. Michael Flynn a aussi participé
à la remise en ordre du renseignement
américain en Afghanistan, sous la
direction de Stanley McChrystal.
Dans
ses différentes fonctions, il a acquis
la réputation d’un opérateur
particulièrement intelligent, et surtout
d’une personne qui a compris, bien avant
les autres, que le renseignement
important n’est pas en priorité celui
dit « militaire », sur lequel la DIA et
le JSOC avaient tendance à se focaliser,
mais un renseignement de nature bien
plus politique. Il faut alors se
souvenir que le renseignement américain
traversait une crise profonde, issue de
la politique de George « W » Bush, qui
avait décidé de démembrer le
renseignement afin de faire prévaloir
ses vues sur l’intervention en Irak.
Cela avait conduit à des pertes de
compétences importantes, tant à la CIA
qu’à la DIA. Ces pertes ne sont pas
étrangères aux problèmes rencontrés par
les Etats-Unis en Irak en 2004-2005. La
nomination de Michael Flynn, avec
d’autres, fait partie de la
reconstruction du renseignement à
laquelle les Etats-Unis sont alors
contraints. Colin Powell s’est élevé
contre le soutien que Flynn a apporté, à
partir de 2015, à Donald Trump. Mais il
convient de rappeler que Colin Powell a
une lourde responsabilité dans la
politique menée par George « W » Bush,
et dans sa politisation outrancière du
renseignement.
Il est
clair que ses supérieurs ont fait un bon
choix avec Michael Flynn. L’amiral Mike
Roger, qui était en 2014 le directeur de
la NSA, l’a appelé le meilleur officier
de renseignement de ces vingt dernières
années. Derrière l’hyperbole, il y a
incontestablement une réalité.
D’ailleurs, il est rarissime qu’un
officier issu des ROTC arrive au niveau
hiérarchique atteint par Michael Flynn.
Cela signe une compétence
exceptionnelle. Et l’image que l’on peut
avoir de Michael Flynn est effectivement
celle d’un officier exceptionnellement
doué. Mais, quand Stanley McChrystal,
son chef, fut forcé de démissionner pour
des raisons d’incompatibilité politique
avec Barack Obama, cela laissa un goût
amer à Michael Flynn. Cela fut très
certainement le début d’un conflit qui
devait le conduire à s’opposer non
seulement au Président Obama mais encore
à choisir de s’engager contre Hillary
Clinton en soutenant Donald Trump.
Il
faut ici souligner qu’il a publiquement
accusé Hillary Clinton non seulement
d’irresponsabilité dans la gestion de
ses communications, mais encore d’avoir,
par négligence ou à dessein, mis en
danger la vie de l’ambassadeur américain
en Libye lors du drame de Benghazi.
Michael Flynn fut nommé à la tête de la
DIA en 2012, au début du second mandat
du Président Obama, et ce alors que les
Etats-Unis avaient fini par localiser et
neutraliser Ben Laden. Obama escomptait
alors que Flynn reprendrait à son compte
le discours officiel de l’administration
selon lequel la phase la plus aigüe du
danger était passée. Mais, il n’en fut
rien. A partir des informations en sa
possession, Michael Flynn n’eut de cesse
de tenter de mettre en garde
l’administration Obama contre sa
tendance de minorer le danger
terroriste. Les conflits que cela
provoqua, et qui allèrent grandissant,
mais aussi le « style » de commandement
de Michael Flynn, très influencé par son
passé dans les forces spéciales et les
conflits que cela provoqua au sein de la
DIA, aboutirent à son départ en
2014. Dans une administration décidée à
considérer – à tort ou à raison – la
question du terrorisme comme réglée, la
position de Flynn devenait
insupportable. Le fait, aussi, que Flynn
ne s’est jamais embarrassé avec les
syllogismes du « politiquement
correct », qu’il ait toujours appelé un
chat un chat, n’ont pu qu’élargir le
fossé entre les « politiques » de
l’administration et les opérationnels.
L’amertume renouvelée que Flynn a pu
concevoir à la suite de ces événements,
mais aussi le fait que dans ses
précédentes fonctions il avait pu
mesurer, d’après lui, le comportement
irresponsable d’Hillary Clinton à son
poste de Secrétaire d’Etat, expliquent
le basculement vers les républicains, et
son soutien, dès l’automne 2015, à
Donald Trump.
La
relation que Flynn entretient avec
l’idéologie néoconservatrice a
certainement évolué au cours de sa
carrière. De son origine politique, on
peut penser qu’il y a un reste
d’exceptionnalisme américain dans ses
perceptions. Mais il est aussi clair
qu’il y a eu une conversion au
« réalisme » politique, conversion qui
le pousse à vouloir faire de la Russie
un allié, même conjoncturel, dans la
lutte contre le terrorisme. Flynn a
aussi construit une véritable pensée
quant à la nature du terrorisme, et il
fait le lien entre des situations
conjoncturelles – comme celles qui
peuvent exister en Libye, en Syrie et en
Irak – et une idéologie structurée.
Cette idéologie, à laquelle il fut
confronté en Irak et en Afghanistan, lui
semble structurer l’ensemble de la
nébuleuse terroriste, dont il perçoit à
travers le monde l’extension, en dépit
de défaites locales. Le risque, ici, est
de sombrer dans une eschatologie de la
guerre. Il faut espérer que la dimension
« réaliste » de sa pensée
l’emporte. Très clairement, sa
nomination comme conseiller à la
Sécurité Nationale sera ressentie par
une partie de l’armée comme de nature à
venger ce qu’elle ressent comme les
affronts dans le limogeage de certains
généraux, Petraeus et McChrystal en
particulier. Elle devrait aussi être
interprétée comme une revanche contre
les REMF[4]
de Washington.
La
probable nomination de Michael Flynn en
fera l’un des pivots, du moins dans les
relations internationales, de
l’administration Trump. Son
« réalisme », s’il se confirme, sera un
changement bienvenu par rapport à la
dimension très doctrinaire actuelle de
la politique étrangère américaine.
Notes
[1]
http://www.lefigaro.fr/international/2016/11/18/01003-20161118ARTFIG00021-trump-choisi-le-general-flynn-comme-conseiller-a-la-securite-nationale.php
[2]
http://www.lecho.be/economie_politique/international_usa/Flynn_Sessions_
Pompeo_l_equipe_autour_de_Trump_s_etoffe.9832560-3159.art?ckc=1&ts=1479483230
[3]
http://www.lemonde.fr/international/article/2016/11/18/michael-flynn-un-revanchard-au-conseil-de-securite-national_5033172_3210.html
[4] Rear-Echelon Mother
Fucker
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