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Quel avenir pour Varoufakis?
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Jeudi 13 juillet 2015
Yanis Varoufakis en en train de devenir
un personnage important dans la vie
politique grecque et au-delà. Dans le
processus d’éclatement de Syriza, qui
semble désormais bien engagé[1],
il est appelé à jouer un rôle majeur
avec l’ancien ministre de l’énergie,
Panayiotis Lafazanis, et la présidente
du Parlement, Mme Zoé Kostantopoulou.
Mais, Yanis Varoufakis est aussi
incontestablement devenu une figure
marquante pour la gauche critique de
l’Euro et quelqu’un qui va compter dans
les reconfigurations politiques qui se
préparent. Il y a de bonnes raisons à
cela.
Un homme du
“système” qui se rebelle contre ce
dernier
Yanis Varoufakis représente un cas
rare sans être cependant singulier. Il
est un économiste qui a pris des
positions nettement pro-européennes,
mais qui est aujourd’hui très critique
quant à la gouvernance de l’Union
européenne mais aussi quant au
comportement des dirigeants européens.
Il est aussi un économiste qui s’est
prononcé en faveur de l’Euro,
pour des raisons essentiellement
théoriques, mais qui aujourd’hui
envisage calmement la possibilité d’une
sortie de son pays de la zone Euro. Il
est évident que son expérience de
Ministre, et de négociateur, a changé sa
vision de l’Euro et que cette expérience
a beaucoup à apprendre à une gauche
véritable. La gauche critique vis-à-vis
de l’Euro, voire anti-Euro, est
aujourd’hui sensible à sa trajectoire.
Il vient de l’intérieur du « système »,
mais en même temps il en fait la
critique et il se déclare prêt à rompre
avec lui plutôt que d’accepter ce qu’il
faut bien appeler une capitulation, ce à
quoi Tsipras a finalement dû consentir.
Ce point est très important. D’ailleurs
Varoufakis maintien ses critiques, que
ce soit contre le Diktat du 13
juillet ou contre le nouveau mémorandum
qui doit être ratifié d’ici le 20 août.
Il a dit récemment sur la BBC « Demandez
à tous ceux qui connaissent l’état des
finances grecques et ils vous diront que
cet accord ne marchera pas »[2].
Or, son autorité morale et sa compétence
d’ex-Ministre des finances joue ici pour
lui.
Car l’accord auquel la Grèce et les
autres pays de l’Eurozone vont aboutir
ne règle rien et qu’il est déjà condamné
avant même d’avoir vu le jour. La
situation de la Grèce s’est terriblement
détériorée en juillet et début août, du
fait des mesures qui ont été prises
contre la Grèce par la Banque
Centrale Européenne. On parle de 86 ou
89 milliards d’euros pour cet accord.
Mais, aujourd’hui, il est clair qu’il en
faudrait entre 110 et 120. De même, il
est évident qu’il faudrait très vite
procéder à l’annulation d’une partie de
la dette grecque. Même le FMI le dit
depuis le début du mois de juillet.
Pourtant, nous savons que l’Allemagne
s’y refuse et qu’elle traine les pieds
pour conclure cet accord[3].
Dans ces conditions, il est tout aussi
évident que l’accord qui devrait être
conclu d’ici le 20 août ne règlera rien
et qu’il sera dépassé et rendu caduc par
les événements. Par ailleurs, la
situation économique de la Grèce
continue de se détériorer. Il est clair
que la sortie de la zone Euro reste,
plus que jamais, une perspectives pour
les semaines, voire les mois, à venir[4].
L’image de
la compétence
Varoufakis incarne ainsi à merveille
une gauche compétente (il fut un
professeur d’économie estimé et reconnu)
mais qui n’abandonne rien de sa
dimension critique et qui se sert de sa
compétence pour pousser toujours plus
loin la critique du « système ». Il est
d’ailleurs un produit des classes
dirigeantes (même si son père fut
emprisonné durent la guerre civile
grecque pour ses sympathies communistes)
mais qui n’applique pas les codes de son
milieu.
C’est, il faut le rappeler, un
spécialiste de théorie des jeux, un
domaine qui a beaucoup passionné les
économistes[5].
C’est donc quelqu’un de reconnu par ses
pairs, que ces derniers soient des
économistes du courant orthodoxe ou
appartenant à des courants hétérodoxes.
Son livre, le Minotaure Planétaire
a eu un succès international mérité[6].
De plus il n’a pas hésité à concevoir un
plan alternatif crédible pour la Grèce,
un plan qui aurait évité à ce pays et la
capitulation honteuse à laquelle il a
été contraint ainsi que le désastre d’un
nouveau mémorandum, quand bien des gens
soutiennent encore l’idée « qu’il n’y a
pas d’alternative ».
Un futur
dirigeant de la gauche anti-Euro ?
Yanis Varoufakis fut un Ministre des
finances charismatique, qui n’a pas
hésité à dire certaines vérités dans le
cadre compassé des réunions européennes.
Il est clair qu’il a le potentiel pour
certainement devenir le héraut d’une
gauche anti-euro. Le fait qu’il se soit
prononcé tout d’abord pour l’Euro, puis
qu’il ait envisagé la possibilité d’une
sortie de la zone Euro lui donne une
autorité certaine sur ce point.
D’ailleurs, il faut remarquer qu’il
hébergé sur son blog l’appel de Stefano
Fassina à un front des mouvements de
libération anti-Euro[7].
C’est un geste qui est très symbolique.
Car Fassina, lui aussi, vient de
l’intérieur du « système ». Il fut
vice-ministre des finances du
gouvernement Letta en Italie. C’est un
membre influent du parti de
centre-gauche, le Parti Démocrate,
auquel appartient l’actuel
Premier-ministre, Matteo Renzi. Or,
aujourd’hui, il est devenu l’un des plus
virulents opposants à l’Euro en Italie
et son appel n’est rien de moins que
l’un des plus virulents brûlots qui ait
été écrit contre l’Euro. Varoufakis et
Fassina sont donc représentatifs de
cette fracture qui s’est produite au
sein du « système », de ce que l’un de
mes amis italiens, le professeur Bagnai,
appelle le PUDE ou Parti Unique De
l’Euro. Leur trajectoire vers des
positions anti-Euro pèse d’autant plus
qu’ils ont été antérieurement des
partisans de l’Euro. On pourrait en dire
de même d’ailleurs avec Oskar
Lafontaine, qui en tant que dirigeant du
SPD fut l’un des pères fondateurs de
l’Euro, et qui a, en 2013, viré sa cuti
d’opposant résolu à la monnaie unique.
Ce fait est désormais très important. De
plus en plus le camp des économistes et
des politiciens anti-Euro, ou à tout le
moins très Euro-critiques, est rejoint
par des personnes qui étaient il y a peu
encore des partisans de l’Euro mais que
la réalité de cet Euro a rattrapé et qui
ont compris qu’il n’y a pas d’avenir
possible en Europe tant que l’on gardera
l’Euro.
De plus, il a été attaqué très
violemment, non seulement dans la sphère
politique grecque, où certains
aimeraient lui faire un procès pour
haute trahison, mais aussi dans les
milieux européistes de Bruxelles et
d’ailleurs. Il a répondu vertement à ces
critiques que ce soit sur son blog ou
par voie de presse. Concentrant la haine
des europhiles et des partisans de
l’Euro, il est normal qu’il attire
spontanément la sympathie de ceux qui
luttent contre l’Euro.
Une figure
de la contestation
Il est donc évident que Yanis
Varoufakis cumule les caractéristiques
qui devraient en faire un exemple pour
une certaine gauche, mais par
pour toute la gauche, et certainement
pas dans les rangs de la « gôche ». Car,
la personnalité de Yanis Varoufakis, et
surtout le discours qu’il porte, sont
clairement insupportables pour cette
droite modérée travestie en « gauche de
gouvernement ». Il est clair que rien
dans sa personnalité ne peut attirer les
socialistes officiels, des gens comme
Moscovici, ou Martin Schulz et Sygmar
Gabriel, Michel Sapin ou François
Hollande. Bref, ce qu’il faut appeler
les socialistes de gouvernement, les
héritiers de Hebert et Noske de
l’Allemagne de 1918.
Bien au contraire ; Yanis Varoufakis
est l’exemple même que, contrairement à
ce qu’ils prétendent, il y a des
alternatives et que l’austérité n’est
pas inéluctable. Il est la preuve
vivante de leurs compromissions, de leur
lâcheté et de leurs trahisons, quand une
autre voie était possible. C’est
pourquoi il doit être haï par ces gens.
Mais, il va certainement attirer une
partie des frondeurs du PS, en tous les
cas ceux qui n’ont pas accepté le
diktat du 13 juillet, ainsi que les
partisans d’Arnaud Montebourg, et bien
entendu les membres de la gauche
radicale. Varoufakis est la preuve
vivante qu’une autre politique est
possible dans l’Union européenne, même
si on peut penser qu’il n’a pas porté
totalement, et dans toutes ses
conséquences ce projet. En tout les cas,
il l’a porté loin, et ce n’est pas de sa
faute si ce projet n’a pu aboutir.
Il reste à savoir s’il sait qu’il est
devenu un personnage symbolique et s’il
pourra être à la hauteur des symboles
qu’aujourd’hui il incarne. Car, et c’est
là la contradiction qu’il devra
affronter et résoudre, lui l’homme qui a
toujours voulu se situer du côté du
comportement rationnel, héritage de ses
travaux sur la théorie des jeux[8],
va devoir admettre qu’il est devenu un
acteur dans un jeu qui n’obéit plus à la
rationalité mais où les symboles et
l’idéologie tiennent une place majeure.
En même temps, en politique, l’analyse
fait aussi appel au calcul rationnel. Il
devra, s’il ne veut se perdre, tenir les
deux pôles de cette contradiction.
[1] Godin R., « Grèce : la voie de
la rupture est ouverte au sein de Syriza »,
La Tribune, 13 août 2015,
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-la-voie-de-la-rupture-est-ouverte-au-sein-de-syriza-498204.html
[2]
http://www.lepoint.fr/economie/grece-le-plan-d-aide-ne-marchera-pas-affirme-yanis-varoufakis-12-08-2015-1956351_28.php
[3] Godin R., « Grèce : pourquoi
l’Allemagne joue la montre », in La
Tribune, 13 août 2015,
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-pourquoi-l-allemagne-joue-la-montre-498145.html
[4] Komileva L., « Another Bailout
Won’t Keep Greece in the Eurozone » in
Foreign Policiy, 12 août 2015,
http://foreignpolicy.com/2015/08/12/another-bailout-wont-keep-Greece-in-the-Eurozone-2&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer
[5] Varoufakis Y., Game Theory:
Critical Concepts in the Social Sciences,
Routledge, Londres-New York, 2001.
[6] Varoufakis Y., Le Minotaure
planétaire : l’ogre américain, la
désunion européenne et le chaos mondial,
Éditions du Cercle (Enquêtes &
Perspectives), 2014. Edition original en
anglais The Global Minotaur,
Londres, Zed Book, 2011.
[7] « For an alliance of national
liberation fronts – by Stefano Fassina
MP », texte posté le 27 juillet 2015 sur
le blog yanisfaroufakis.eu,
http://yanisvaroufakis.eu/2015/07/27/for-an-alliance-of-national-liberation-fronts-by-stefano-fassina-mp/
[8] Varoufakis Y., Rational
Conflict, Oxford-New York,
Blackwell Publishers, 1991
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