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Nous y voila…(49-3)
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mercredi 11 mai 2016
Nous y voilà.
Le gouvernement a donc décidé, le
mardi 10 mai, d’user de l’article 49-3
pour faire passer une loi, la loi « El
Khomri » ou « Loi Travail », qui divise
à ce point sa majorité qu’il n’en à
plus. Cette pratique est aujourd’hui
scandaleuse, car elle correspond à un
détournement de l’esprit du texte,
détournement qu’a acté la modification
de la constitution de 2008, soit faite
par François Fillon et sous la
Présidence de Nicolas Sarkozy.
L’esprit de
la constitution
Il faut rappeler que, dans l’esprit
des « pères » de la Constitution de la
Vème République, et cela va du gaulliste
Michel Debré au SFIO (l’ancêtre du P
« S ») Guy Mollet, cette disposition
avait pour but de mettre le gouvernement
à l’abri des groupes minoritaires de sa
majorité. On le rappelle ici, cela
correspond à ce que l’on appelle le
« parlementarisme rationalisé », qui
était une réaction contre l’instabilité
parlementaire chronique de la IIIème et
de la IVème République. Et rappelons que
le Général de Gaulle gouverna en effet,
au début et pendant les jours tragiques
de la Guerre d‘Algérie, sur la base
d’une coalition. Mais, l’usage de ce
texte pour entériner une loi prise
contre une partie de la majorité
parlementaire du gouvernement, dans une
situation ou ce dernier reniant ses
engagements antérieurs et ceux du
Président de la République n’était pas
prévu. En cela, il y a bien détournement
de la Constitution. Ou, pour user d’un
autre mot, forfaiture.
On sait que, dans le cas ou une
motion de censure serait votée, la
logique, et la pratique (1962)
voudraient que le gouvernement dissolve
l’Assemblée et convoque de nouvelles
élections. Sauf que, nous sommes dans
l’état d‘urgence et que l’Assemblée ne
peut être dissoute. Donc, cela revient à
complètement vider l’article 49 de son
sens initial. De caractéristique du
« parlementarisme rationalisé », il
devient au contraire une procédure
permettant au gouvernement de contourner
les débats parlementaires, c’est à dire
à vider la démocratie de sa substance.
Responsabilités partagées
Or, on constate que la modification
de 2008, celle faite sous Sarkozy, avait
largement préparée le terrain. Cette
modification spécifie la nature des
textes auxquels le 49-3 pourrait être
appliqués. Elle précise : « Le Premier
ministre peut, après délibération du
Conseil des ministres, engager la
responsabilité du Gouvernement devant
l’Assemblée nationale sur le vote
d’un projet de loi de finances ou de
financement de la sécurité sociale. [1]»
Autrement dit cette modification
introduit l’idée que le 49-3 pourrait
devenir une procédure courante, et non
exceptionnelle dans le domaine des
finances et de la sécurité sociale. Quel
aveu ! Les deux versions du texte sont
d‘ailleurs données à la fin de cette
note.
Ce gouvernement, à la suite des
précédant, ne fait donc que poursuivre
dans une voie toujours plus autoritaire
mais aussi toujours plus méprisante
quant à l’esprit de nos institutions.
Après la transformation de l’état
d‘urgence en facilité de gouvernement,
c’est l’utilisation de l’article 49
comme procédure commune permettant de
contourner le travail législatif. Cela
revient à gouverner par décrets mais
sans en avoir demandé l’autorisation au
Parlement.
Il convient à tous les députés épris
de démocratie d’arrêter, tant qu’il en
est encore temps, ce gouvernement sur sa
pente funeste.
Textes de
l’article 49, avant et après la
modification de 2008
Article 49 (Version de 1958)
Le Premier Ministre, après
délibération du conseil des ministres,
engage devant l’Assemblée nationale la
responsabilité du Gouvernement sur son
programme ou éventuellement sur une
déclaration de politique générale.
L’Assemblée nationale met en cause la
responsabilité du Gouvernement par le
vote d’une motion de censure. Une telle
motion n’est recevable que si elle est
signée par un dixième au moins des
membres de l’Assemblée nationale. Le
vote ne peut avoir lieu que
quarante-huit heures après son dépôt.
Seuls sont recensés les votes favorables
à la motion de censure qui ne peut être
adoptée qu’à la majorité des membres
composant l’Assemblée. Si la motion de
censure est rejetée, ses signataires ne
peuvent en proposer une nouvelle au
cours de la même session, sauf dans le
cas prévu à l’alinéa ci-dessous.
Le Premier Ministre peut, après
délibération du conseil des ministres,
engager la responsabilité du
Gouvernement devant l’Assemblée
nationale sur le vote d’un texte. Dans
ce cas, ce texte est considéré comme
adopté, sauf si une motion de censure,
déposée dans les vingt-quatre heures qui
suivent, est votée dans les conditions
prévues à l’alinéa précédent.
Le Premier Ministre a la faculté de
demander au Sénat l’approbation d’une
déclaration de politique générale.
https://www.legifrance.gouv.fr/...
Article 49 Modifié
Le Premier ministre, après
délibération du Conseil des ministres,
engage devant l’Assemblée nationale la
responsabilité du Gouvernement sur son
programme ou éventuellement sur une
déclaration de politique générale.
L’Assemblée nationale met en cause la
responsabilité du Gouvernement par le
vote d’une motion de censure. Une telle
motion n’est recevable que si elle est
signée par un dixième au moins des
membres de l’Assemblée nationale. Le
vote ne peut avoir lieu que
quarante-huit heures après son dépôt.
Seuls sont recensés les votes favorables
à la motion de censure qui ne peut être
adoptée qu’à la majorité des membres
composant l’Assemblée. Sauf dans le cas
prévu à l’alinéa ci-dessous, un député
ne peut être signataire de plus de trois
motions de censure au cours d’une même
session ordinaire et de plus d’une au
cours d’une même session extraordinaire.
Le Premier ministre peut, après
délibération du Conseil des ministres,
engager la responsabilité du
Gouvernement devant l’Assemblée
nationale sur le vote d’un projet de loi
de finances ou de financement de la
sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet
est considéré comme adopté, sauf si une
motion de censure, déposée dans les
vingt-quatre heures qui suivent, est
votée dans les conditions prévues à
l’alinéa précédent. Le Premier ministre
peut, en outre, recourir à cette
procédure pour un autre projet ou une
proposition de loi par session.
Le Premier ministre a la faculté de
demander au Sénat l’approbation d’une
déclaration de politique générale.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;?idArticle=LEGIARTI000019241062&cidTexte=LEGITEXT000006071194
[1]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;?idArticle=LEGIARTI000019241062&cidTexte=LEGITEXT000006071194
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