RussEurope
Tempête à La Haye
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Vendredi 8 avril 2016
Le rejet lors du référendum qui s’est
tenu le mercredi 6 avril en Hollande, de
l’accord d’association entre l’Union
européenne et l’Ukraine constitue à la
fois une victoire de la démocratie et
illustre la difficulté de l’Union
européenne à respecter les règles
élémentaires de la démocratie. Ce
référendum signe aussi la crise d’une
stratégie politique interne, celle qui
cherchait à construire l’Union
européenne en contournant les peuples,
mais aussi une stratégie externe, celle
qui faisait de la Russie un « ennemi ».
Cette double crise stratégique va peser
sur les développements futurs de l’UE.
Les implications du « non »
néerlandais
La question posée était de savoir si
les électeurs hollandais approuvaient ou
non l’accord d’association. Le fait
qu’un référendum puisse être tenue sur
un tel sujet est indiscutablement la
preuve que la démocratie est bien
vivante aux Pays-Bas. De fait, les
électeurs hollandais ont rejeté cet
accord d’association par une large
majorité (64% des votants). Mais dans le
même temps, le gouvernement hollandais,
et les institutions de l’Union
européenne, ont affirmé qu’il ne serait
pas tenu compte de ce référendum.
Certes, le vote n’avait qu’une portée
consultative. Mais, la réaction des
autorités, tant européennes que
hollandaises, est de ce point de vue
exemplaire. Elle vient confirmer ce que
nous savions déjà avec le comportement
de ces mêmes autorités tant par rapport
au référendum de juillet 2015 en Grèce,
que lors des différents votes en France
et au Pays-Bas en 2005.
Le vote de mercredi pourrait
cependant fragiliser l’accord
d’association avec l’Ukraine et,
au-delà, l’ensemble de l’Union
européenne. Non pas à court terme car
cet accord, qui a valeur de traité et
qui comporte un gros volet commercial
mais aussi politique, a déjà été ratifié
par le Parlement européen. De fait, il
est entré en vigueur au 1er
janvier 2016. Mais, cette situation ne
pourra pas
durer éternellement. Si les Pays-Bas
ne ratifient pas le traité, ce dernier
pourrait être dénoncé devant la Cour de
justice de l’Union européenne. En
tous les cas c’est ce que l’on craint à
Bruxelles ou, derrière le référendum
néerlandais se profile déjà le
référendum britannique du mois de juin
et le « Brexit ».
Les autorités européennes au
pied du mur
Le président du Conseil européen,
Donald Tusk a « pris note », jeudi 7
avril, du non des électeurs néerlandais.
Il a indiqué qu’il entendait «
poursuivre [ses] contacts » avec le
Premier ministre des Pays-Bas, M. Mark
Rutte sur ce sujet : « j’ai besoin
d’entendre quelles conclusions lui et
son gouvernement vont
tirer du référendum et quelles
seront ses intentions ». Clairement, il
entend faire peser tout le poids de la
décision sur les épaules du gouvernement
hollandais. En janvier dernier, le
Président de la Commission européenne,
M. Jean-Claude Juncker, avait prévenu
qu’un « non » pourrait
conduire à ce qu’il appelait « une
crise continentale ». Ceci équivalait à
avouer l’importance du référendum.
Jeudi, il s’est dit « triste », selon un
porte-parole. Quant aux conséquences du
vote, « il appartient désormais avant
tout au gouvernement néerlandais
d’analyser les résultats et de
décider de la marche à suivre ».
Comme Donald Tusk, il rejette la
responsabilité de ce qui pourrait
survenir sur le gouvernement
néerlandais. Mais, on voit bien que le
problème ne pourra être cantonné aux
seuls Pays-Bas. Que les autorités
européennes acceptent de tenir compte de
ce référendum, et c’est toute leur
stratégie, tant à l’intérieure de l‘UE
qu’à l’extérieur qui en sera fragilisée
de manière décisive. Qu’ils décident de
n’en pas tenir compte et ils offrent sur
un plateau un argument très fort aux
partisans du « Brexit » et plus
généralement à tous les partis
« eurosceptiques » en Europe.
Le contexte de la double
crise de l’Union européenne
Ceci survient alors que se déroule
une double crise au sein de l’Union
européenne. D’une part, il est clair que
l’Euro est en train de détruire
l’Europe. Cette constatation s’impose
désormais depuis 2011 et le durcissement
du cadre disciplinaire mis en œuvre pour
faire face à la crise de l’Euro. Ce
processus est devenu évident avec la
crise entre le gouvernement grec et les
autorités européennes du premier
semestre 2015. Cette destruction découle
de l’ensemble du cadre économique et
social que l’Euro favorise ou impose
dans les différents pays membres. Mais,
elle découle aussi du cadre politique
implicite qui se met en place à propos
de l’Euro dans les pays de la zone Euro
et qui est marqué par un abandon
progressif de tous les principes
démocratiques.
Cependant, et simultanément à cette
crise induite par l’Euro, nous avons une
autre crise, la « crise des migrants ».
Ses conséquences sur le fonctionnement
de l’UE sont évidentes ; on le voit avec
la remise en cause des accords de
Schengen en particulier. En doute quant
à son identité, mais aussi quant à son
avenir, l’Union européennes semble ne
pas trouver d’autres solutions que de se
créer un « ennemi » largement imaginaire
en la personne de la Russie. Ce
processus, il faut l’ajouter, est
largement inspiré aussi par les
Etats-Unis qui verraient quant à eux
d’un très mauvais œil un rapprochement
potentiel de l’UE et de la Russie.
L’Ukraine était devenu le « symbole »
de cet affrontement avec la Russie. Or,
voici que le vote néerlandais remet
brutalement en question la logique de
cette stratégie.
Une crise de la stratégie
européenne
Or, le vote néerlandais remet en
cause une partie de cette création d’un
ennemi imaginaire. La stratégie de
certains milieux européens est ici
touchée au cœur. Au-delà, Le « non » des
Néerlandais au référendum sur l’accord
d’association entre l’Ukraine et l’Union
européenne témoigne d’une crise profonde
au sein de l’UE. Remettant en cause les
relations entre l’Ukraine et l’UE, ce
vote signe la fin de la politique
d’élargissement vers l’Est de l’UE.
Car, derrière la remise en cause de
cet accord se profile la question de la
Russie, et de la justification de la
politique de sanctions décidée par l’UE.
Le fait que les Néerlandais se soient
clairement prononcés contre cet accord
est hautement symbolique. On se souvient
que les protestations de la Place Maïdan,
à Kiev, avaient eu en partie pour
prétexte cet accord.
Le vote du mercredi 6 avril met
définitivement fin au rêve de certains
ukrainiens d’adhérer à l’Union
européenne. Il permet de mesurer la
tragédie que le mouvement de la place
Maïdan a engendrée en opposant Russie et
Union européenne, une tragédie dont
l’Ukraine mettra probablement une
décennie à se relever. Mais, cette
tragédie touche aussi l’UE, et il faudra
du temps pour que l’on dresse le tableau
complet de ce qu’aura coûté, tant
économiquement que politiquement, aux
pays européens le conflit avec la
Russie.
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