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La loi « El-Khomri », l’Euro et la
régression sociale
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Dimanche 6 mars 2016
Le samedi 5 mars, la pétition
impulsée par un collectif autour de
Caroline de Hass contre la « Loi
Travail » a dépassé le million de
signatures. Le fait est important. Il
prouve l’ampleur du mécontentement
contre la politique du gouvernement.
Cette loi soulève tellement de
problèmes, comme l’ont expliqué dans le
cadre de mon émission sur Radio-Sputnik
deux avocats (M. Van der Vlist, proche
des « frondeurs » du P « S » et membre
du collectif à l’initiative de la
pétition et Damien Lempereur,
responsable national de Debout la
France), que seul un retrait est
susceptible de calmer ce mécontentement.
Ce dernier, d’ailleurs, s’exprimera le 9
mars dans la rue et dans les divers
mouvements sociaux impulsés par les
syndicats. Tant que le gouvernement
persistera à maintenir cette loi, même
en l’habillant de diverses manières,
même en en changeant le nom, la
mobilisation ne doit pas faiblir et ne
faiblira pas. Non que le code du travail
ne soit à moderniser. La logique de « l’ubérisation »
des pratiques sociales impose une
refonte. Mais, cette dernière ne peut se
faire en renonçant aux principes
fondateurs du Droit du Travail. Or,
c’est très exactement ce que le
gouvernement, et notre Président, M.
François Hollande, sont en train de
détruire.
Une loi et la logique
économique
Mais, cette loi, qui fait l’unité
contre elle de toutes les personnes
honnêtes, de tous ceux qui ont le
bonheur des français et le salut de la
France en tête, et le mouvement va bien
au-delà des cercles de gauches et
syndicaux habituels, révèle un problème
bien plus profond. C’est en fait un cas
d’école, bien connu des économistes et
des étudiants en économie, tant en
France que dans le reste du monde. Si
votre pays fait partie d’une zone
commerciale intégrée (avec des accords
de libre échange) les ajustements aux
chocs de concurrence et aux chocs
exogènes ne peuvent se faire QUE par la
monnaie (en dépréciant le taux de
change) ou QUE par les salaires et
globalement le marché du travail. Du
moment que vous vous privez de la
possibilité de faire jouer l’ajustement
par le taux de change de votre monnaie
vous n’avez pas le choix et vous devez
faire baisser les salaires. C’est très
exactement ce que dit Rudiger Dornbush,
un économiste parfaitement « standard »
et nullement un de ces « gauchistes »
d’hétérodoxes dont je suis fier de faire
partie[1].
C’est aussi ce que l’on a constaté lors
de l’unification de l’Allemagne, quand
l’ex-Allemagne de l’Ouest et
l’ex-Allemagne de l’Est ont été unies
par une même monnaie[2].
L’ajustement s’est réalisé et par une
forte montée du chômage et par une
baisse des salaires (calculés en « Mark
de l’Ouest »).
Aussi ne faut-il pas s’étonner si une
loi comme la « Loi Travail » est
proposée aujourd’hui. Elle est le
résultat logique de l’existence de
l’Euro qui empêche notre pays d’ajuster
son taux de change. Et ceci doit être
dit et redit, et en particulier à tous
les militants de gauche qui tempêtent
contre la loi (et ils ont raison) mais
qui se refuse de poser le problème de la
monnaie unique. Il faut leur dire qu’en
l’absence de flux de transferts dont
l’importance exclut la possibilité, la
seule solution pour éviter le
démantèlement du code du travail, la
baisse des salaires et des prestations
sociales, est une sortie de l’Euro.
De la cohérence en politique
Mais, ceci met en lumière la myopie
d’une partie de ces militants. Ou, plus
exactement, leur attitude ne fait que
vérifier ce que Bossuet écrivait il y a
de cela quelques siècles déjà : « Mais
Dieu se rit des prières qu’on lui fait
pour détourner les malheurs publics,
quand on ne s’oppose pas à ce qui se
fait pour les attirer. Que dis-je? Quand
on l’approuve et qu’on y souscrit,
quoique ce soit avec répugnance »[3].
L’incohérence est en politique le
pire des maux. Certains l’ont compris,
qui louent au contraire cette loi et
défendent la participation de la France
à la zone Euro. On sait le camp qu’ils
ont choisi. D’autres, au contraire, ont
tiré toutes les conséquences de ce
dilemme, et en concluent que la France
ne pourra pas rester dans l’Euro si l’on
veut refuser cette loi rétrograde et
cette destruction des droits sociaux que
notre Constitution, pourtant, reconnait.
Le problème sera donc posé à ceux qui
refusent cette loi mais qui ne vont pas
au bout de la logique et continuent de
vouloir l’Euro. Car, cette position là
est parfaitement incohérente. C’est
celle de personnes responsables, et que
l’on peut trouver estimables, comme
Gérard Filoche du P « S ».
Entre le refus de la loi dite « El-Khomri »,
mais qui est en réalité une loi
« Valls », et l’acceptation de l’Euro,
il faut choisir. Mais, si l’on accepte
l’Euro, alors la loi « El-Khomri »
devient une issue inéluctable, et avec
elle l’ensemble des régressions
sociales.
[1] Dornbusch, Rudiger and A.
Giovannini, 1988. « Money in the Open
Economy. » in Handbook of Monetary
Econotnics, F. Hahn and B.
Friedman, eds. North-Holland, Asterdam-New
York.
[2] Lange, T., and J.R. Shackelton,
(eds.) (1998). The political economy
of German unification. Berghahn
Books, Oxford
[3] Bossuet J.B., Œuvres
complètes de Bossuet, vol XIV, éd.
L. Vivès (Paris), 1862-1875, p. 145.
Cette citation est connue dans sa forme
courte « Dieu se rit des hommes qui
se plaignent des conséquences alors
qu’ils en chérissent les causes ».
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