RussEurope
La loi « Travail » au Parlement
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 3 mai 2016
La « Loi Travail » est actuellement
discutée au Parlement. Les amendements
seront nombreux et, à la fin des fins,
il n’est pas impossible que le
gouvernement utilise l’article 49.3 qui
stipule qu’un texte est adopté sauf si
une motion ce censure est votée. Le
projet de loi a, assurément, été amendé.
Mais, l’économie de ce texte reste très
contestable. Ce texte n’est pas
« amendable » dans le sens ou des
changements mineurs pourraient rectifier
les passages les plus scandaleux. Il est
porteur d‘une logique globale qu’il faut
comprendre pour la refuser.
Une loi
inamendable
On l’oublie trop, le principal
problème soulevé dans ce texte n’est pas
la question des licenciements
économiques, la taxation des CDD ou
encore la représentativité des
organisations patronales. Ces points
sont bien sûr des causes supplémentaires
pour protester contre cette réforme,
mais ils sont relativement secondaires
par rapport à l’économie générale du
texte. Cette économie tient en un mot :
décentralisation. Ce texte en réalité
est porteur d‘une vision du monde du
travail où l’employé et l’employeur
seraient à égalité. Nous serions en
présence « d‘acteurs » passant librement
des contrats entre eux. Cette
« égalité » peut bien être inscrite dans
le droit, on sait qu’elle est factice.
Où, plus précisément, elle ne s’applique
que dans la très petite entreprise. Dès
que l’on est en présence d’une
entreprise comptant plusieurs salariés,
et à fortiori dans les entreprises où
ils se comptent en centaines voire en
milliers, c’est une autre logique qui
joue. Le salarié à besoin de l’emploi
pour vivre. Pour l’employeur, que ce
soit tel ou tel n’a pas d’importance. Il
peut même se permettre de ne pas
embaucher pour un temps. Ceci est
fondamental. Il y a une asymétrie dans
le « contrat de travail » qui réduit à
néant l’idée d‘égalité juridique.
L’individualisation des salariés et la
casse du droit du travail
En fait, le droit du travail s’est
construit, depuis la seconde moitié du
XIXème siècle autour de la notion
cruciale du droit collectif des
salariés. Le droit du travail, tel qu’il
existe de nos jours comme coagulation
des luttes passées, a toujours voulu
sortir le travailleur de ce tête-à-tête
avec l’employeur parce que dans ce
tête-à-tête le travailleur est
nécessairement perdant. Ainsi, les
conventions collectives donnent des
droits à TOUS les travailleurs d‘une
branche (dans le cas des accords de
branche) ou d’un pays tout entier. C’est
au nom de cette logique que le SMIG des
années soixante fut unifié et
homogénéisé dans le SMIC, assurant ainsi
la forte croissance des revenus et de la
production.
Renvoyé à l’individuation, soit
personnelle, soit dans le cadre d’une
entreprise, le travailleur est
nécessairement perdant. C’est ce que
savent les employeurs depuis que le
travail salarié s’est développé, et
c’est pourquoi ils ont poussé, un temps,
à cette loi.
La responsabilité du gouvernement est
ici immense, qui prend le risque de
défaire cette architecture collective et
de renvoyer les salariés à leur
condition individuelle. Il aura fallu
attendre 2016 pour voir un gouvernement
se disant « socialiste » procéder à
cette destruction du code du travail.
C’est un immense scandale qui appelle
une sanction exemplaire.
Une folie
macroéconomique et ses raisons
Mais, ce gouvernement fait pire. Il
procède à cette réforme alors que nous
connaissons un chômage de masse,
situation qui aggrave l’asymétrie
initiale. Il procède à cette réforme
alors que les salaires les plus faibles
sont aujourd’hui stagnants. L’écart
entre la progression de la productivité
et celle du salaire médian (et
non du salaire moyen) montre bien que
l’avantage est aux employeurs. Mais,
tout cela a des conséquences
macroéconomiques évidentes. La faiblesse
des gains salariaux par rapport aux
gains de productivité est une des
causes du chômage de masse. Les
économistes qui l’attribuent à ces gains
de productivité devraient porter un
bonnet d’âne. Si les revenus salariaux
avaient connus une croissance
comparable à celle de la
productivité, la demande serait au
niveau des capacités productives à
emploi constant. En procédant à
cette réforme dans le contexte très
dégradé que nous connaissons depuis
maintenant près de 25 ans, ce
gouvernement commet bien plus qu’une
faute tant sociale qu’économique. Il
mène en réalité une guerre de classe
contre les salariés en les fragilisant
devant leurs employeurs d‘une part et en
créant la situation économique qui les
prive de toute capacité de résistance.
Cette situation économique se
démultiplie d‘ailleurs dans les coupes
sur les investissements publics et dans
la destruction programmée de l’école.
C’est donc bien d’une guerre de
classe dont il s’agit. Il faudra donc
s’en souvenir quand les mêmes viendront
quémander nos suffrages.
Le sommaire de Jacques Sapir
Le
dossier politique
Les dernières mises à jour
|