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Ukraine: vers la guerre civile?
Jacques Sapir

Photo: RIA
Novosti
Vendredi 2 mai 2014
Les événements dramatiques qui se
sont produits dans l’Est de l’Ukraine
aujourd’hui, vendredi 2 mai, constituent
une accélération indiscutable du
processus conduisant à la guerre civile,
et à terme à la partition du pays. Comme
on le présageait, l’accord de Genève est
en train de sombrer, et avec lui le
future d’une Ukraine indépendante[1].
À côté du « front » de Slaviansk, où
les forces du gouvernement provisoire
ont tenté de réduire les insurgés, non
sans pertes de part et d’autre (2
hélicoptères des forces de Kiev détruit,
et un total de 5 morts), c’est vers
Odessa que tous les regards se tournent.
Dans cette ville des affrontements entre
partisans du gouvernement provisoire et
insurgés pro-Russes ont fait au moins 3
morts, tandis qu’un meurtrier incendie,
dont on ne sait encore qui l’a provoqué,
aurait tué près d’une quarantaine de
personnes[2].
D’ores et déjà chacun des deux camps
rejette sur l’autre la responsabilité
des victimes.
Il y a cependant des faits
indiscutables, et qui sont reconnus par
la plupart des observateurs :
- L’est de l’Ukraine est bien en
état d’insurrection. Aux militants
partisans d’un rattachement à la
Russie se joignent des Ukrainiens
qui expriment leur profonde défiance
envers le gouvernement de Kiev et
ses soutiens. Une partie importante
de la population a pris la défense
des partisans d’un rattachement à la
Russie, tandis qu’une fraction plus
ou moins importante selon les
endroits des forces de l’ordre
(police et armée) a basculé en
faveur de ces militants ou se refuse
à intervenir contre eux. Le discours
officiel que l’on entend que ce soit
à Kiev ou dans les capitales
européennes selon lequel il ne
s’agirait que de quelques dizaines
d’agitateurs payés par Moscou
devient intenable. Il est moralement
indigne.
- Dans ces conditions, la volonté
du gouvernement provisoire de
continuer ce qu’il appelle une
« opération anti-terroriste » est
devenue la cause principale des
violences meurtrières. Il est urgent
que ce gouvernement rappelle ses
forces car la violence non seulement
ne règlera rien, mais elle fait
empirer d’heures en heures la
situation. Seul un retrait immédiat
des forces du gouvernement
provisoire est à même de ramener le
calme.
- Ce gouvernement de fait s’entête
dans une attitude suicidaire : il
prétend être le seul à pouvoir
décider du compromis constitutionnel
indispensable à un retour à la
stabilité, mais se comporte de telle
manière qu’il perd désormais
rapidement son autorité et sa
légitimité dans les régions de l’est
de l’Ukraine. Qui voudra et
acceptera de négocier avec un
gouvernement qui a désormais du sang
sur les mains ? Cela n’est possible
que si le gouvernement provisoire
change d’attitude. Mais, il sera
contraint de faire des concessions
importantes après ce qui s’est passé
aujourd’hui.
- Les gouvernements des pays de
l’Union Européenne, mais aussi les
Etats-Unis et le FMI sont enfermés
dans un déni de réalité qui devient
de plus en plus préoccupant. Ils
concentrent leur attention sur la
Russie, ce qui ne correspond pas à
la situation. Redisons-le : on n’est
pas en présence de « quelques
agitateurs » mais d’un mouvement
insurrectionnel. Cette réalité doit
être acceptée. Par ailleurs, on tire
des plans sur la comète avec un plan
de stabilisation financière, alors
que le pays est en train de glisser
de plus en plus rapidement vers la
guerre civile.
Il importe donc, si l’on veut éviter
le pire, et en admettant qu’il en soit
encore temps, ce dont on peut douter
après les événements d’aujourd’hui, de
comprendre qu’il n’y a de solution à la
situation dramatique de l’Ukraine qu’à
trois conditions :
- Une déclaration commune des
Etats-Unis, des principaux pays de
l’Union Européenne et de la Russie
sur une future Ukraine indépendante
doit stipuler que ce pays n’a pas
vocation à rejoindre, ni de près ni
de loin l’UE ou l’OTAN. Le
corollaire d’une telle déclaration
est qu’il convient de cesser le plus
rapidement possible la parade des
sanctions prises contre la Russie.
- Le futur institutionnel de
l’Ukraine doit reconnaître la
dualité entre Ouest et est du pays.
La forme précise, fédéralisme ou
confédération, doit être décidée par
les seuls Ukrainiens, dans le cadre
d’une assemblée constituante ou
d’une commission de réconciliation
nationale.
- Mais, avant tout, il importe de
faire cesser les violences et pour
cela il faut impérativement que le
gouvernement provisoire rappelle
toutes les forces, armée et garde
nationale, qui sont pour l’heure
déployée dans l’est du pays. De son
côté, la Russie doit s’engager à ne
pas intervenir, directement ou
indirectement.
Il est peut être possible d’arrêter
l’engrenage infernal de la guerre
civile. C’est désormais la
responsabilité des pays de l’Union
Européenne, que d’agir pour qu’il en
soit ainsi. La responsabilité devant
l’Histoire de l’UE et de certains des
pays qui en sont membres dans la
déstabilisation de l’Ukraine leur impose
moralement d’agir pour éviter la
catastrophe. Mais, il faut agir vite. Il
est peut être déjà trop tard.

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