Analyse
Pratiquer la paix en temps de guerre
IRIN
Lorsque
des vandales ont écrit des graffiti
racistes sur ce mur,
les résidents les ont remplacés par des
fresques
Photo: Annie Slemrod/IRIN
JÉRUSALEM, 27 juillet 2014 (IRIN)
Les soixante familles sont déterminées à
ne pas se laisser diviser, même dans les
circonstances les plus extrêmes. Le
panneau indiquant un abri antibombes est
écrit en trois langues : l’anglais,
l’arabe et l’hébreu.
Le village de Neve Shalom ou Wahat
al-Salam (Oasis de Paix en hébreu et en
arabe) est juché sur une colline à
mi-chemin entre Tel-Aviv et Jérusalem,
près de la frontière cisjordanienne. Ses
habitants ont choisi de vivre côte à
côte dans cette communauté qui est la
seule d’Israël à être véritablement
mixte.
Les 30 familles israéliennes juives et
les 30 familles palestiniennes ont
résolu de ne pas laisser les dernières
hostilités monter les voisins les uns
contre les autres. « En fait, ce
contexte d’intensification de la
violence rassemble les villageois », a
dit Bob Mark, un Israélien juif qui a
enseigné à l’école primaire de Neve
Shalom pendant 23 ans. « Vous verrez les
villageois manifester ensemble », a-t-il
ajouté. Si les habitants ont des
opinions différentes concernant la
manière de remédier aux malheurs du
pays, ils sont tous d’accord pour dire
que les massacres doivent cesser.
Ce village coopératif, créé à la fin des
années 1970, est une exception dans ce
pays où même les quelques villes et
villages techniquement mixtes pratiquent
la ségrégation, les écoles étant
séparées pour les juifs et pour les
citoyens palestiniens d’Israël (appelés
communément Arabes israéliens). Ici, la
cohabitation est quotidienne : les
décisions sont prises de manière
collective, les enfants étudient en
arabe et en hébreu et tous les nouveaux
résidents potentiels doivent assister à
une séance de formation spéciale sur la
résolution des conflits.
Conserver cet esprit du vivre ensemble
n’est pas facilité par les sirènes et
les bruits d’explosion qui transpercent
le calme du village. Depuis l’enlèvement
et l’assassinat de trois adolescents
israéliens à la mi-juin et le meurtre
présumément vengeur d’un adolescent
palestinien de Jérusalem, les violences
se sont multipliées en Israël et dans le
Territoire palestinien occupé. Dans
l’attaque qui dure depuis deux semaines,
718 Palestiniens – civils pour la
plupart – ont été tués dans la bande de
Gaza et au moins 34 Israéliens sont
morts – tous soldats, sauf deux civils.
Parfois, le village a sombré dans une
sorte de dépression collective, soignée
à coups de manifestations tout aussi
collectives. Habituellement, lors de la
fête sainte islamique du ramadan, le
village se réunit une fois par semaine
pour rompre le jeûne. Cette année,
personne n’en a eu réellement envie.
Rita Boulos, une Arabe israélienne, est
arrivée de Jérusalem à Neve Shalom en
1989, poussée en grande partie par la
première intifada de 1987-1991, lorsque
les Palestiniens se sont violemment
soulevés contre l’occupation
israélienne.
« Je voulais faire quelque chose,
a-t-elle dit, faire des mots et du mode
de vie dont je parlais une réalité [...]
et je voulais élever mes enfants
différemment, dans un environnement
pacifique. » Elle est en colère et
frustrée de voir que la paix se dérobe
encore. « Cette guerre est si brutale
que je ne peux plus respirer », a-t-elle
dit. « Il est difficile pour nous de les
voir tuer brutalement notre peuple
[palestinien]. Nous sommes pareils [les
Palestiniens en Israël et à Gaza]. »
Aller contre la tendance
Le village de Neve Shalom n’est pas le
seul à parier sur la cohabitation. Le
bien nommé Shalom Dichter est le
directeur exécutif de Hand in Hand, une
organisation qui dirige des écoles
publiques bilingues à Jérusalem, en
Galilée et dans le Wadi Ara, ainsi que
des jardins d’enfants à Haïfa et Jaffa.
Toutes ces zones se trouvent à
l’intérieur des frontières d’Israël
dessinées en 1967.
Quelque 1 200 élèves sont inscrits pour
l’automne. Même si les écoles sont
fermées en été, M. Dichter a expliqué
que les communautés qui avaient grandi
autour de ces institutions étaient
devenues des points de ralliement pour
les personnes qui cherchent à construire
des ponts entre les peuples.
Alors que les groupes extrémistes
marchaient dans les rues de Jérusalem en
menaçant les communautés rivales, les
membres de Hand in Hand ont battu le
pavé ensemble, se frayant un chemin de
l’école locale vers le centre-ville.
Les manifestations sont une manière pour
les juifs et les Palestiniens de «
s’approprier ensemble l’espace public »,
a dit M. Dichter. « Le fait que des
centaines de personnes manifestent [...]
a fait comprendre [...] aux nombreuses
personnes qui y ont assisté et à
nous-mêmes que nous ne sommes pas seuls
à nous opposer à la guerre et à la
violence et à marcher ensemble dans la
sphère publique. »
Jamal Siksik, habitant de longue date de
Jaffa inscrit au comité des parents
d’élèves du jardin d’enfants le plus
récent de Hand in Hand, a dit qu’il
sentait qu’envoyer son enfant de quatre
ans et demi dans un tel lieu était la
bonne chose à faire. Il n’a pas
l’impression que la guerre ait cassé cet
esprit. Il a plutôt remarqué que « la
cohabitation est saine et sauve à Jaffa,
malgré la guerre et les tentatives des
étrangers de prouver le contraire ». Le
jardin d’enfants a déjà des listes
d’attente pour l’année prochaine et une
école primaire est en projet pour le
compléter.
Les experts avertissent cependant que
le climat actuel de division en
Israël met en péril ce genre
d’initiatives. Selon Sammy Smooha,
professeur de sociologie à l’université
d’Haïfa et expert dans les relations
entre les Arabes israéliens et les
juifs, le simple respect de la culture
d’autrui n’est pas suffisant.
« À l’occasion de cette guerre, le fossé
entre les Arabes et les juifs se creuse
et peu importe si vous connaissez
l’arabe ou des Arabes, une frontière
demeure et c’est celle du nationalisme
et de la loyauté envers vous-même et
votre nation et cela est primordial pour
les deux camps [... Il faut encourager
les systèmes comme celui de Neve Shalom],
mais il faut être réaliste concernant
leur impact », a-t-il dit, s’éloignant
du téléphone pendant quelques minutes
après le déclenchement d’une sirène
annonçant un bombardement.
La guerre actuelle constitue pour lui
une preuve de la difficulté de faire un
pont entre les deux communautés. « On ne
peut pas séparer des écoles bilingues ou
des lieux comme Neve Shalom de leur
environnement, qui est composé de
différentes couches et différents
cercles et le conflit
israélo-palestinien en est un élément
important et même essentiel. »
Un optimisme qui s’affaiblit ?
En effet, tous ceux qui croient en la
cohabitation ne conservent pas leur
optimisme. Le directeur de Neve Shalom,
l’Arabe israélien Eyas Shbeita, envisage
sérieusement de quitter le village et le
pays après y avoir vécu pendant 34 ans.
Sa femme possède un passeport européen
et M. Shbeita n’est pas sûr qu’il soit
encore possible de gagner ce combat. «
Le mois qui vient de s’écouler m’a ôté
tout optimisme », a-t-il dit
franchement. « [Le problème] ce n’est
pas les habitants de ce village, c’est
ce pays. »
Cette nouvelle atmosphère lui fait
craindre des attaques racistes dans les
rues lorsqu’il quitte le village. Il est
désespéré par les évènements à Gaza et
n’a plus l’espoir de voir Neve Shalom
apporter un quelconque changement. « Le
pire, c’est que je ne vois aucune
lumière au bout [du tunnel]. »
Pourtant, M. Dichter, de Hand in Hand,
et la plupart des habitants de Neve
Shalom semblent se satisfaire de leur
sphère d’influence limitée. Ils savent
qu’ils ne peuvent pas éviter la haine
qui imprègne la plus grande partie de la
société israélienne, mais ils peuvent
s’y opposer. En 2012, des vandales ont
dégradé les murs de l’école de Neve
Shalom en y inscrivant des slogans
racistes. Le village a réagi en peignant
des images aux couleurs vives par-dessus
les graffitis.
La paix au Moyen-Orient ne viendra pas
de Neve Shalom, mais les habitants n’y
ont jamais cru. Mme Boulos admet avoir
des doutes, mais elle pense qu’elle doit
continuer. « Je ne peux pas dire si je
suis optimiste ou pessimiste, mais je
suis déterminée. Je suis sûre à cent
pour cent qu’il n’y a pas d’autre moyen
», a-t-elle dit. « Je sais que nous ne
pouvons pas changer le monde [...] mais
nous pouvons servir d’exemple pour
montrer à notre peuple qu’il existe une
façon plus humaine de vivre. »
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Publié le 27 juillet 2014 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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