Analyse
Les vieux problèmes du vieux Jérusalem
IRIN
La mosquée
Al-Aqsa vue de chez les Ghosheh, dans la
vieille ville
Photo:
Mya
Guarnieri/IRIN
JÉRUSALEM, 24 novembre 2015 (IRIN)
Faten Ghosheh, Palestinienne âgée de
33 ans et mère de cinq enfants, se tient
sur le toit en partie démoli de sa
maison, dans le vieux Jérusalem.
Derrière elle, on aperçoit la mosquée
Al-Aqsa.
Elle se souvient quand, il y a cinq ans,
les forces israéliennes ont fait
irruption à cinq heures du matin pour
démolir les deux chambres et la salle de
bain que son mari avait construites avec
leurs 700 000 shekels (180 000 dollars)
d’économies.
Pour éviter l’amende que la municipalité
de Jérusalem leur aurait infligée pour
la démolition, les Ghosheh avaient alors
appelé les hommes de leur famille pour
venir casser les murs.
« Tous les enfants pleuraient »,
a-t-elle dit. « Les enfants les plus
âgés ont apporté des marteaux et ont
commencé à démolir [les murs] avec leur
père. »
Aujourd’hui, cette famille de neuf
personnes, dont la belle-soeur et la
belle-mère de Mme Ghosheh, doit se
contenter d’une seule pièce.
« Pour protéger ça, la mosquée »,
explique-t-elle en montrant du doigt le
dôme brillant à l’horizon, « nous allons
continuer à vivre ici. Nous nous
considérons [comme] des défenseurs d’Al-Aqsa. »
Ces mots expliquent au moins en partie
le sentiment à l’origine de la vague de
violences qui secoue depuis un mois
Israël et le Territoire palestinien
occupé et qui a entraîné la mort de
16 Israéliens, d’un Américain, d’un
Érythréen et d’au moins 90 Palestiniens,
assaillants inclus.
Pour de nombreux Palestiniens, Al-Aqsa,
qui se trouve sur un territoire occupé
par Israël en 1967, est un symbole tout
autant politique que religieux.
Les apparentes provocations à l’encontre
d’Al-Aqsa et du mont du Temple — lieux
saints à la fois pour les juifs et pour
les musulmans — ont été l’étincelle qui
a enflammé la poudrière due aux
démolitions de logements, aux taxations
pour des services inexistants, aux
pénuries de salles de classe et à
l’épuisante pauvreté.
Alors qu’une grande partie des violences
s’est déplacée vers la Cisjordanie (même
si Jérusalem Ouest a été le théâtre d’un
lundi sanglant), Jérusalem Est reste le
centre des manifestations et les
problèmes rencontrés par les
Palestiniens dans cette partie de la
ville sont clairement visibles entre les
murs de la vieille ville, où les
troubles ont commencé.
L’épreuve du permis de
construire
Les Ghosheh avaient demandé un permis de
construire pour les pièces qu’ils ont
finalement dû détruire, mais il leur
avait été refusé. Selon des
organisations de défense des droits de
l’homme, dont l’Association for Civil
Rights in Israel (ACRI), il est presque
impossible pour les Palestiniens
d’obtenir un permis de construire.
Seulement 14 pour cent du Jérusalem Est
palestinien appartiennent à un
zonage résidentiel, soit moins de
huit pour cent de la totalité du
territoire de Jérusalem pour un tiers de
sa population.
En 2014, les forces israéliennes ont
détruit 98 constructions palestiniennes
à Jérusalem Est parce qu’elles avaient
été bâties sans permis de construire.
Deux d’entre elles se trouvaient
dans la vieille ville et leur
destruction avait entraîné le
déplacement de sept personnes, dont
cinq enfants.
La municipalité de Jérusalem maintient
que les habitants de Jérusalem Est
peuvent obtenir des permis de
construire. La ville se défend en
présentant les chiffres de 2014 : sur
108 demandes de permis de construire
pour Jérusalem Est, 85 avaient été
accordées.
À la question de savoir si ces permis
avaient été accordés à des résidents
palestiniens ou aux colons juifs
israéliens qui vivent à Jérusalem Est,
Ben Avrahami, porte-parole de la
municipalité, a répondu ne pas disposer
de ces informations.
En réalité, de nombreux Palestiniens
pressentent qu’ils n’obtiendront pas ces
permis. Selon les estimations de l’ACRI,
39 pour cent des maisons de Jérusalem
Est ont été construites sans permis.
« Ce n’est pas parce que nous voulons
rendre leur vie plus difficile », a dit
M. Avrahimi à IRIN. « C’est un problème
avec le tabo [le registre des biens
immobiliers]. Il est très difficile de
prouver qui est propriétaire. » Il a
ajouté que la ville a donc créé un
comité spécial afin d’examiner le cas de
ceux qui revendiquent la propriété d’un
terrain, mais qui ne disposent pas de
documents le prouvant. L’ensemble de
Jérusalem Est n’est cependant pas
concerné.
Manque de services
Après la démolition, le toit et la
plupart des murs ayant été détruits, les
Ghosheh ont installé de la tôle pour
tenter de se protéger du vent et de la
pluie. Mais ce n’est pas suffisant. Lors
des fortes tempêtes d’hiver, de l’eau
s’infiltre dans la maison. Qui plus est,
la ville leur a donné une amende pour
avoir mis cette tôle.
La famille paye aussi l’arnona, la taxe
foncière, à la municipalité. La payer
est crucial pour les habitants de
Jérusalem Est, car cela les aide à
prouver que la ville reste au centre de
leur vie — conditions à remplir pour
garder leur statut de résident et, donc,
leurs papiers d’identité israéliens.
Selon le Bureau de la coordination des
affaires humanitaires des Nations Unies
(OCHA), plus de 14 000 Palestiniens ont
perdu leur statut de résident de
Jérusalem depuis 1967.
Interrogée sur les services dont elle
bénéficiait en échange de la taxe, Mme Ghosheh
a répondu : « Quels services ? »
Jihad Yusef se pose elle aussi la
question. Cette femme de 49 ans a élevé
ses six enfants dans la vieille ville,
où elle est née et a grandi elle aussi.
Elle se souvient d’avoir essayé
d’inscrire son fils Ibrahim à l’école
publique proche de chez elle. Mais il
n’y avait pas de place et elle a dû
l’inscrire dans une école privée qui lui
coûte 3 000 shekels (770 dollars) par
an.
OCHA estime que la ville doit ouvrir 2
200 salles de classe supplémentaires
pour répondre aux besoins éducatifs de
la communauté palestinienne. La
municipalité dit être en train de
traiter cette question. « Nous
construisons 100 nouvelles salles de
classe par an à Jérusalem Est, plus que
dans n’importe quel autre secteur de
Jérusalem », a-t-elle dit à IRIN.
D’autres services essentiels font
également défaut. Les Palestiniens de
Jérusalem Est ont le droit de bénéficier
du système de santé public israélien,
mais une seule clinique offre des soins
prénataux, infantiles et pédiatriques
gratuits dans la vieille ville et elle
se trouve dans le quartier juif.
Jérusalem Est compte sept de ces
cliniques quand les quartiers juifs de
la ville en ont 26, dont seulement trois
prennent en charge les familles
palestiniennes.
Les quartiers arabes — c’est-à-dire les
secteurs où vivent les musulmans, les
chrétiens et les Arméniens — ont une
densité démographique plus élevée et de
nombreux édifices y sont en mauvais
état. En 2002, selon un
rapport des Nations Unies, un tiers
des logements palestiniens de la vieille
ville n’avait pas l’eau courante et
40 pour cent n’étaient pas connectés au
réseau d’égouts.
Temps difficiles
L’édifice des Ghosheh se trouve à
quelques minutes à pied de la rue Al Wad
– l’artère étroite et pavée qui mène à
Al-Aqsa, le troisième lieu saint de
l’Islam, ainsi qu’au Mur des
Lamentations, lieu sacré pour les juifs
qui a été le théâtre des premières
attaques à l’arme blanche en octobre.
Les forces
israéliennes et un détecteur de métaux
nouvellement installé au coin de la rue
Al Wad
Photo:
Mya
Guarnieri/IRIN
Nabil Abu Sneineh et son frère, Saadeh,
possèdent une boulangerie dans cette
rue. Ils estiment que les ventes ont
baissé de 90 pour cent depuis le début
des violences.
Pendant très longtemps, le quartier a
été le centre névralgique du commerce
des Palestiniens. Mais les fournisseurs
de Cisjordanie ont du mal à
approvisionner leurs marchés et vendeurs
habituels, car il leur est difficile
d’obtenir auprès du gouvernement
israélien le permis de passer les postes
de contrôle, surtout depuis la
construction du mur de séparations entre
Israël et la Cisjordanie, qui traverse
une partie de Jérusalem Est. Une grande
partie des clients habitués de la
vieille ville ont par ailleurs déserté.
L’ACRI estime que depuis l’achèvement du
mur de séparation, le pourcentage
d’habitants vivant dans les quartiers de
Jérusalem Est se trouvant au-delà du mur
et faisant leurs courses à Jérusalem a
baissé de 18 à quatre pour cent. « Les
commerces du centre de Jérusalem Est et
de la vieille ville ont été
particulièrement touchés et les
licenciements sont de plus en plus
fréquents », a dit l’association.
Le taux de chômage des hommes
palestiniens à Jérusalem Est tourne
autour de
40 pour cent. Dans la vieille ville,
il atteindrait les 50 pour cent.
« [Les forces israéliennes] ferment les
rues quand elles veulent », a dit Saadeh
Abu Sneineh, 32 ans. « Elles nous
harcellent quand nous entrons dans nos
boutiques. De nombreux [hommes
palestiniens] avons été fouillés au
corps en entrant dans la vieille
ville. »
Leurs ventes étant maintenant très
faibles, les Abu Sneineh craignent de ne
pas avoir les moyens de payer les taxes
foncières de leur commerce, ce qui
risquerait de finir par les obliger à
mettre la clé sous la porte.
Ziyad Hammouri, directeur et fondateur
du Centre pour les droits sociaux et
économiques de Jérusalem, qui offre une
aide juridique aux Palestiniens de
Jérusalem Est, a dit que les problèmes
les plus courants étaient les
démolitions de logements, l’incapacité à
payer les taxes et l’abrogation des
droits de résidence. La veille de son
entretien avec IRIN, trois maisons
avaient été démolies.
La municipalité a toujours poursuivi les
habitants de Jérusalem qui ne payaient
pas leurs taxes, allant jusqu’à saisir
leurs voitures, leurs comptes bancaires
et leurs salaires. Mais ce phénomène
touche les Palestiniens plus durement,
car ils sont bien plus pauvres que leurs
voisins juifs et ont donc plus de
risques de payer l’arnona en retard.
M. Hammouri est particulièrement
préoccupé par les récentes tentatives de
la ville de saisir et vendre aux
enchères des biens de Palestiniens pour
essuyer leurs dettes dues au défaut de
paiement de l’arnona.
« [Les Israéliens] attendent un résultat
politique de cette oppression
économique », a dit M. Hammouri.
« L’objectif est de pousser les gens
hors de la ville [au-delà du mur de
séparation]. Mais avant tout hors de la
vieille ville. »
Les neuf membres de la famille Ghosheh
ne se précipitent cependant pas pour
partir où que ce soit. Faten se dit
déterminée à rester dans la maison qui
appartient à la famille de son mari
depuis plusieurs dizaines d’années. Elle
admet cependant avec lassitude que
« vivre dans la vieille ville est
étouffant. »
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Publié le 25 novembre 2015 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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