Analyse
Les raisons économiques de l’existence
des colonies israéliennes
IRIN
Des
ouvriers en bâtiment à Ariel, une
colonie de Cisjordanie. Les colonies
israéliennes, illégales aux yeux des
Nations Unies, se sont étendues au cours
de ces dernières années.
Photo: Annie Slemrod/IRIN
Jeudi 8 janvier 2015
Les quelque 150 colonies israéliennes
implantées en Cisjordanie constituent
peut-être le principal obstacle aux
négociations de paix entre les
dirigeants israéliens et palestiniens.
Ces colonies, illégales aux yeux des
Nations Unies, créent une fracture entre
Israël et ses alliés : cette année, le
président pro-israélien du Comité des
Affaires étrangères du parlement
britannique a déclaré que la décision de
créer une nouvelle colonie était « la
plus scandaleuse qu’il ait jamais
entendue au cours de ma carrière
politique ».
Malgré le gel officieux des projets
d’implantation, le Comité de
planification et de construction de
Jérusalem a accepté de délivrer des
permis pour la construction d’environ
400 logements sur des terres
palestiniennes à Jérusalem à la fin du
mois de décembre. Il a également donné
son feu vert à un projet de construction
de 1 850 logements supplémentaires dans
un quartier à cheval entre Israël et la
Cisjordanie.
Si les implantations sont souvent
perçues comme étant associées à une
quête religieuse et à la possibilité
pour les Juifs de conquérir de nouveaux
territoires, dans les faits, la majorité
des colons s’y installent pour des
raisons économiques – encouragés par les
incitations mises en place par le
gouvernement. Mais une fois installées
dans une colonie, certaines personnes se
radicalisent.
« Qualité de vie »
C’est un jour de semaine à Ariel, une
ville de Cisjordanie. Des étudiants se
retrouvent sur le campus le temps d’une
pause cigarette. Deux femmes promenant
un chien discutent dans un hébreu à
l’accent russe. Rien ne semble
distinguer Ariel des autres villes
israéliennes.
Mais si cette ville, située à environ 16
km de la Ligne verte qui sépare Israël
de la Cisjordanie occupée et abritant 19
000 habitants, n’est pas connue pour
être imprégnée d’une forte idéologie ou
pour de violentes attaques lancées sur
ses voisins palestiniens, elle est bien
une colonie.
Bon nombre d’habitants d’Ariel mènent le
même style de vie que les banlieusards
israéliens. Une autoroute relie Ariel à
la ville de Tel-Aviv, à 40 km, et des
bus desservent régulièrement la
capitale. Quelques bus desservent
également Jérusalem, à 50 km.
« Les gens s’installent ici pour
différentes raisons », a dit Avi
Zimmerman, le responsable du Fonds de
développement et le porte-parole de fait
d’Ariel. Ce Juif pratiquant qui
cherchait une communauté hétérogène
s’est installé à Ariel il y a huit ans.
« Ici, vous trouverez des gens qui sont
venus pour la qualité de vie ou pour
échapper à l’humidité de Tel-Aviv ».
Mais pour beaucoup d’habitants, les
avantages financiers ont été décisifs.
Les prix de l’immobilier ont augmenté
rapidement en Israël au cours de ces
sept dernières années, et le coût élevé
de la vie et des denrées alimentaires a
entraîné des manifestations de masse au
cours de l’été 2011. Le prix moyen des
appartements atteint 1 098 774 ILS (280
537 dollars) à Ariel, ce qui est sans
comparaison avec le prix moyen des
appartements à Tel-Aviv qui est de 2 363
268 ILS (603 386 dollars).
Une
publicité pour des maisons neuves à
vendre dans la colonie israélienne
d’Ariel
Photo: Annie Slemrod/IRIN
Le prix abordable des loyers a fait de
Noa et de son petit ami des colons
temporaires quand ils ont commencé à
chercher un logement à proximité de
l’université de Jérusalem, en 2009. «
Nous étions tous les deux étudiants et
il nous fallait un logement pas cher »,
explique Noa, une professeure de danse
proche de la trentaine. Ils n’avaient
rien trouvé dans leur prix à Jérusalem,
mais les loyers étaient corrects à
Anatot, une communauté d’un millier de
personnes située à 7 km de la Ligne
verte.
Mme Amit, 34 ans, est mère d’un
enfant. Elle considère la colonie – même
si elle ne la qualifie pas de colonie –
où elle vit, à 5 km de la Ligne verte,
comme une banlieue de Jérusalem. Elle et
son mari vivaient dans la capitale, mais
ils se sont lancés à la recherche du
logement qu’elle voulait « une maison,
un jardin et une place de parking … et
les parcs verdoyants et la proximité
avec Jérusalem étaient très importants
». Elle travaille à Jérusalem et son
mari à Tel-Aviv : « Je ne la vois pas
comme une terre contestée »,
insiste-t-elle, avant d’ajouter « pour
moi, c’est la banlieue d’une grande
ville et le soir, je rentre ».
Incitations
gouvernementales
D’après le conseil Yesha, une
organisation qui promeut la colonisation
en Cisjordanie, la région comptait 382
031 colons juifs, sans compter Jérusalem
Est - considérée par Israël comme non
occupée - au dernier recensement de juin
2014. Cette migration au-delà de la
Ligne verte a été encouragée par les
gouvernements israéliens consécutifs.
La majorité de l’aide de l’Etat est
allouée aux 75 pour cent environ de
colonies bénéficiant du statut de «
zones de priorité nationale » ainsi
qu’autres zones perçues comme
nécessitant un coup de pouce – les
communautés proches des frontières avec
le Liban ou Gaza, ou les communautés
périphériques ou sous-développées.
Les zones de priorité nationale
bénéficient de prix avantageux sur les
terrains et de subventions pour les
prêts immobiliers, et les zones
reconnues comme zones de priorité
nationale par le ministère de la
Construction et du Logement reçoivent
des investissements publics pour leurs
infrastructures immobilières. Les zones
qui ont la plus haute priorité
bénéficient de réductions sur le prix
des terrains et les dépenses de
développement.
Les investissements dans les
infrastructures des colonies, comme les
routes, sont également essentiels, et
les enseignants qui vivent dans les
colonies reçoivent une aide généreuse,
notamment une hausse de salaire de 15 à
20 pour cent, une prise en charge des
frais de transport (à hauteur de 75 pour
cent) et des frais de location
immobilière (à hauteur de 80 pour cent),
indique l’organisation non
gouvernementale (ONG) israélienne
B’tselem. Les colonies classées zones de
priorité nationale bénéficient
d’investissements additionnels pour
l’éducation, comme une augmentation des
heures d’enseignement et des fonds
supplémentaires.
Les avantages directs dont bénéficiaient
les colons ont, pour la plupart, étaient
supprimés : l’allègement de l’impôt sur
le revenu a été levé en 2003, ce qui a
permis à bon nombre d’habitants des
colonies de dire que les implantations
devraient être considérées comme toutes
les autres villes israéliennes.
Prix moyen des appartements,
2013
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Tel-Aviv – 603 000 dollars
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Jérusalem – 433 000 dollars
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Ariel – 280 000 dollars
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Beitar Illit – 262 000 dollars
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Maale Adimum – 323 000 dollars
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Moodin Illit – 261 000 dollars
|
Source : ministère de la
Construction et du Logement
|
Avi Zimmerman, le responsable du
Fonds de développement de la ville
d’Ariel et le porte-parole de la ville,
réfute l’idée selon laquelle des
incitations économiques injustes
attirent les colons sur des terres
palestiniennes. « Les gens parlent
beaucoup des mesures d’incitation à
cause de ce qu’il se passait avant».
Aujourd’hui, « il n’y a pas d’incitation
directe – il n’y a pas de prêt bancaire,
[par exemple] ».
Natan Sachs, un chercheur du Centre
Saban pour la politique au Moyen-Orient
de la Brookings Institution et un
spécialiste de la politique israélienne,
affirme qu’il n’y a « pas d’incitation
directe au sens où il n’y a pas de
subvention ».
Mais « il existe de nombreuses manières
» de promouvoir la colonisation, « en
particulier, les prix des terrains et
les permis … il n’y a pas d’incitation
manifeste, mais il y a toujours des
incitations très élevées en termes réels
».
Radicalisation
L’amélioration de la « qualité de vie
» des colons représente un changement
majeur par rapport aux origines du
mouvement des colons à la fin des années
1960 quand, après sa victoire contre
l’Egypte, la Jordanie et la Syrie en
1967, Israël a commencé à envoyer ses
citoyens dans la région de la Judée et
de la Samarie, les noms bibliques de la
Cisjordanie occupée.
Bon nombre des premiers colons voulaient
reprendre ce qu’ils considéraient être
l’Israël biblique, comme l’explique Elie
Pierpz, le directeur des affaires
extérieures du Conseil Yesha.
« Le religieux était un moteur important
de la croissance dans les années 1970 et
1980. Il y a une capacité idéologique –
il s’agit de la dernière frontière
sioniste ; il y a cent ans, c’était
Tel-Aviv, il y a 60 ans, c’était le
Néguev [désert au sud d’Israël] et … [le
nord du pays], et depuis 47 ans, c’est
la Judée et la Samarie ».
Le profil des colons économiques est
diversifié. Ainsi, la ville d’Ariel
abrite un mélange d’immigrants issus de
l’ancienne Union soviétique – des Juifs
laïcs et pratiquants, mais qui ne sont
pas ultra-orthodoxes.
Dror Etkes, un spécialiste de la
question des implantations, soutient que
la différence de terminologie entre les
colons qui s’installent dans les
colonies pour des raisons économiques ou
pour des raisons de qualité de vie et
leurs équivalents idéologiques ne peut
pas vraiment se justifier – tous
participent à un projet plus large
d’occupation, que cela leur plaise ou
non.
« Quand l’idéologie va de pair avec
l’économie, c’est toujours mieux, et
l’idéologie finit par coïncider avec
l’intérêt personnel. Les gens se
racontent des histoires … c’est très
facile d’être un colon. Ce que l’on ne
veut pas voir, on le voit pas ».
Et pourtant, le fait de vivre dans les
colonies, y compris les implantations
principalement habitées par des migrants
économiques, peut entraîner une
évolution vers la droite de l’opinion
publique.
M. Etkes note que les dernières attaques
violentes contre les Palestiniens
étaient le fait de colons installés dans
ces implantations qualifiées de « non
idéologiques ». Le mois dernier, une
école bilingue hébreu-arabe de Jérusalem
a été incendiée. Deux des trois
suspects, qui ont confessé leur crime,
étaient originaires de Beitar Illit, une
colonie qui n’était jusqu’alors pas
connue pour ses militants d’extrême
droite.
Et si les migrants économiques se
considèrent comme non politisés ou s’ils
se classent à gauche - Noa dit qu’elle a
des opinions de « centre-gauche, parfois
de gauche » - le vote des colons
installés dans les implantations peut
évoluer en fonction de leurs intérêts
personnels.
Les
colonies israéliennes se sont étendues
au cours de ces dernières années
malgré les critiques exprimées par les
Nations Unies.
Photo: Annie Slemrod/IRIN
Les colons
ultra-orthodoxes sont le parfait exemple
de cette évolution – ils sont
majoritairement pauvres et, au cours des
15 dernières années, bon nombre d’entre
eux se sont installés dans des villes
comme Beitar Illit ou Modi’in Ilit, où
ils ont trouvé des loyers abordables, un
environnement homogène et de l’espace
pour élever leurs enfants (taux de
natalité élevé). Traditionnellement, ils
ne s’intéressaient pas à la question des
colonies et n’étaient pas engagés en
faveur du sionisme.
Neve Gordon, un professeur de sciences
politiques et gouvernementales à
l’université Ben Gourion du Néguev et
l’auteur du livre ‘Israel’s Occupation’,
souligne que les partis qui représentent
ce secteur ont changé de position. « Au
début des années 1990, les partis
orthodoxes étaient favorables à un
compromis – aujourd’hui, ils le sont
beaucoup moins, car une large partie de
leurs électeurs vit dans le territoire
occupé : l’environnement fait évoluer
les consciences ».
Obstacle à
la paix
Les colons qui
s’installent dans les implantations pour
des questions de qualité de vie sont
entrés dans la conscience collective
après la signature de l’accord d’Oslo en
1993 par les dirigeants israéliens et
palestiniens et des discussions
sérieuses concernant des échanges de
territoire. On a longtemps cru que les
grandes implantations, qu’elles soient
proches de Jérusalem comme Ma’ale Adumim,
Beitar Ilit, Modi’in Ilit, ou qu’elles
soient trop importantes pour être
déplacées ainsi que les implantations
stratégiques comme Ariel seraient
incluses dans une solution prévoyant la
création de deux Etats.
Mais des enquêtes continues ont montré
qu’un pourcentage important des colons
non idéologiques serait prêt à quitter
leur domicile et à s’installer à
l’intérieur de la Ligne verte, contre
une somme d’argent.
Mais en ce moment, a dit M. Sachs, « il
y a une incitation perverse à ne pas
partir ». L’opinion israélienne
considère que le gouvernement a raté le
désengagement de Gaza en 2005 : des
colons contraints de quitter leur
domicile se sont plaints à la télévision
de l’insuffisance des compensations et
de l’incapacité du gouvernement à les
reloger dans des conditions décentes.
Selon M. Sachs, il est donc normal que
cela ait éveillé la méfiance des
personnes qui étaient prêtes à quitter
la Cisjordanie. Un groupe fondé par un
ancien dirigeant du Shin Bet, baptisé
‘Blue Light Future’, recommande une
évacuation unilatérale et volontaire des
colons contre une contrepartie
financière.
Mme Amit a acheté sa maison à l’époque
du retrait de Gaza. Elle a dit : « nous
envisagions » la possibilité d’une
évacuation. Sa ville a été évoquée à de
multiples reprises comme étant
suffisamment proche de Jérusalem pour
être incluse dans Israël, et cela a été
un élément déterminant.
« S’il y a une compensation [prévue par
l’accord de paix], je ne nous vois pas
dire ‘nous restons avec un gouvernement
palestinien’ ».
Mais il y a également peu de chances
pour que les grandes implantations comme
Ariel soient déplacées, même en cas de
signature d’un accord de paix avec les
Palestiniens. D’une certaine façon,
elles sont tout simplement trop grandes
pour être déplacées.
Pour M. Zimmerman, qui vit à Ariel
depuis huit ans, l’idée d’une indemnité
n’est pas pertinente, car il ne voit pas
le gouvernement israélien tenter une
évacuation de la ville d’Ariel. « C’est
le gouvernement élu qui va s’en occuper
… ils font mener une campagne politique
sur ce sujet et le consensus au sein de
la classe politique israélienne est
qu’Ariel fait partie d’Israël, point ».
C’est peut-être cette certitude qui a
provoqué l’augmentation des prix de
l’immobilier à Ariel : entre 2007 et
2013, les prix de l’ancien et du neuf
ont augmenté de 104 pour cent. D’autres
implantations ont constaté des
augmentations, y compris Beitar Ilit (80
pour cent), la colonie majoritairement
laïque d’Efrat (77 pour cent) et Oranit
(65 pour cent). Si les prix de
l’immobilier en Israël ont toujours
dépassé ceux des colonies, la hausse des
prix accroit la pression pour trouver de
nouvelles colonies.
L’idée d’un nouveau projet de colonies
plait à M. Pierpz. « Le fait que les
communautés soient extrêmement soudées
(où l’autostop est un mode de vie, les
portes sont rarement fermées à clef, les
jeunes enfants jouent en sécurité dans
des rues non surveillées le soir)
explique en partie que les gens
souhaitent rester et voir de nombreuses
générations vivre ici ».
Les responsables palestiniens ont dit
qu’ils prendront en compte les
motivations des colons lors des
négociations sur le tracé des frontières
du futur Etat palestinien. Au bout du
compte, ils considèrent tous que les
colonies empiètent sur le territoire
palestinien, que les colons soient là
pour prendre l’air et trouver des
logements à un prix abordable ou par
ferveur religieuse.
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Publié le 8 janvier 2015 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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