Analyse
Les Palestiniens pourraient avoir du mal
à poursuivre Israël en justice
IRIN
Photo:
ISM Palestine
JÉRUSALEM, 7 août 2014 (IRIN)
Dans une allocution prononcée le 5 août,
après une réunion à la Cour pénale
internationale (CPI), le ministre
palestinien des Affaires étrangères,
Riyad al-Malki, était catégorique. «
Tout ce qui s’est passé ces 28 derniers
jours est la preuve manifeste que des
crimes de guerre, équivalents à des
crimes contre l’humanité, ont été commis
par Israël », a-t-il dit en faisant
référence aux attaques actuelles de Gaza
par Israël. « Il n’est pas difficile
pour nous de le démontrer ou d’étayer
nos accusations. [La] preuve est là
[...] Israël viole clairement le droit
international. »
Ses commentaires ont fait écho à ceux de
hautes personnalités de la communauté
internationale. Après le bombardement
d’une école des Nations Unies, le
secrétaire général des Nations Unies,
Ban Ki-moon, a
qualifié les attaques de « violation
flagrante du droit humanitaire
international ». La haute-commissaire de
l’ONU aux droits de l’homme, Navi Pillay,
a quant à elle dit qu’il était « fort
possible » que des crimes de guerre
aient été commis.
Selon les derniers chiffres des Nations
Unies, l’opération israélienne « Bordure
protectrice » dirigée contre le Hamas et
d’autres militants de Gaza a tué plus de
1 800 Palestiniens, dont 72 pour cent de
civils. Le bilan côté israélien est de
67 morts : 64 soldats, deux civils et un
ressortissant étranger travaillant en
Israël.
Si les accusations de violations du
droit prononcées contre Israël se sont
faites de plus en plus fortes, il sera
cependant bien plus difficile d’en
prouver la véracité. Selon les experts,
les Palestiniens sont confrontés à des
restrictions politiques, juridiques et
pratiques qui risquent de les empêcher
de saisir la CPI ou les tribunaux
israéliens.
Des doutes concernant la saisie
de la CPI
En
novembre 2012, l’Assemblée générale
des Nations Unies a reconnu la Palestine
comme État observateur non membre. La
Palestine peut donc adhérer à la CPI.
Les dirigeants palestiniens n’ont
cependant pas encore ratifié le statut
de Rome et ne peuvent donc pas porter
plainte contre Israël devant cette
instance.
Si M. al-Malki a
assuré que la Palestine allait
adhérer à la CPI dans les prochains
mois, cela pourrait ne pas se
concrétiser pour de nombreuses raisons.
La première est que les puissances
internationales – surtout les
États-Unis, mais aussi les États du
Moyen-Orient – font pression sur le
président de l’Autorité palestinienne,
Mahmoud Abbas, pour qu’il ne signe pas,
arguant que cela mettrait en péril les
négociations de paix. Ce dernier
pourrait donc souhaiter continuer de
menacer d’y adhérer pour influencer les
négociations.
Adhérer à la CPI « est la plus grande
arme politique dont dispose actuellement
[l’Autorité palestinienne] dans son
arsenal et je suppose qu’Israël et les
États-Unis lui ont fortement conseillé
de ne pas le faire », a dit Stuart
Casey-Maslen, directeur de recherche à
l’Académie de droit international
humanitaire et de droits humains à
Genève. « Sinon ils auraient adhéré. Ils
ont adhéré à d’autres traités
significatifs concernant les droits de
l’homme ou [le droit humanitaire
international] Le fait qu’ils [n’aient
pas adhéré à la CPI] est une décision
politique des dirigeants palestiniens. »
La deuxième raison pour laquelle
l’adhésion de la Palestine à la CPI est
peu probable est que cela aurait des
conséquences graves pour les combattants
palestiniens à Gaza. La CPI devrait
alors s’intéresser au conflit dans son
ensemble et Israël – qui n’est lui-même
pas membre de la CPI – a accusé le Hamas
d’utiliser les civils comme boucliers
humains et de lancer des roquettes à
l’aveugle sur la population civile
israélienne. Si la CPI signait le traité
de Rome, le Hamas et d’autres groupes
armés pourraient être inquiétés.
C’est pourquoi l’Autorité palestinienne
a du mal à
convaincre les groupes armés de
soutenir le décret d’adhésion. Selon M.
Casey-Maslen, bien que les roquettes
tirées sur Israël par le Hamas sans
cible militaire spécifique fassent peu
de dégâts et soient souvent interceptées
par le « dôme d’acier », un système de
défense anti-missiles, cette tactique
met la Palestine dans « une position
très difficile », juridiquement parlant.
Tant que la Palestine n’adhère pas
officiellement à la CPI, les autres
options internationales semblent
limitées. Fin juillet, un avocat
français a porté plainte à la CPI au nom
de hauts fonctionnaires palestiniens,
accusant Israël de crimes de guerre,
dont des « attaques contre les civils »
et des « pertes excessives en vies
humaines ». Cela rappelle une tentative
de saisie de la CPI en 2009, après
l’opération israélienne « plomb durci »,
qui avait duré trois semaines et tué
près de 1 400 Palestiniens. À l’époque,
le procureur avait rejeté la plainte,
car la Palestine n’était pas membre de
la CPI. Il est probable que la réponse
serait la même aujourd’hui.
Paul Hirschson, porte-parole du
ministère des Affaires étrangères
israélien, a dit à IRIN qu’il n’était
pas au courant de cette nouvelle plainte
et que les Forces de défense
israéliennes agissaient « à cent pour
cent selon les règles du droit
humanitaire international ». Si la CPI
décidait de donner suite, a-t-il ajouté,
« cela ne mènerait probablement nulle
part ».
Une autre voie internationale pour que
les Palestiniens obtiennent justice
serait que le Conseil de sécurité des
Nations Unies demande une enquête. Mais
les États-Unis, membre permanent du
Conseil et proche allié d’Israël,
imposeraient probablement leur véto.
Les tribunaux locaux offrent peu
d’espoir
Tandis que les hommes politiques
palestiniens débattent de la possibilité
de demander des comptes à la communauté
internationale pour ce qu’ils dénoncent
comme une impunité, les groupes de
défense des droits de l’homme locaux ont
travaillé à cette fin au sein du système
israélien. Les difficultés sont
cependant souvent grandes pour eux
aussi.
Avant même qu’Israël envoie ses troupes
à Gaza dans l’objectif affiché de
neutraliser les tunnels du Hamas, une
coalition d’organisations non
gouvernementales (ONG) locales écrivait
déjà aux autorités civiles et militaires
israéliennes pour dire que les alarmes
d’évacuation lancées par Israël
n’étaient pas suffisantes pour protéger
les civils.
Sawsan Zaher, avocate à Adalah, le
centre juridique pour les droits de la
minorité arabe en Israël, a expliqué à
IRIN que son organisation travaillait au
sein du système juridique israélien «
même si nous savons qu’il y a des
limites et si nous ne recevons pas de
réponses réelles à nos lettres et même
si dans la plupart des cas, nous
n’obtenons pas satisfaction [...] nous
continuerons à le faire, car pour nous
c’est le seul outil disponible
actuellement ».
Les tentatives d’obtenir réparation pour
des guerres passées ont également été
généralement vaines en raison d’une
mesure
législative adoptée en 2012 qui
bloque rétroactivement les
indemnisations pour les civils blessés
au cours d’une « action de combat »,
dont la définition large fait, selon Mme
Zaher et d’autres, qu’il est presque
impossible pour les civils Palestiniens
d’obtenir réparation.
« Peu importe que vous parliez de biens
endommagés, de blessures ou d’atteinte à
la vie, selon le droit israélien, vous
ne pourrez pas être indemnisé, même si
vous ne participiez pas à l’action
militaire », a dit Mme Zaher.
Les soldats font rarement face à des
poursuites pénales pour des actes commis
au cours de combats, car toute plainte
doit d’abord être présentée au Bureau de
l’Avocat général des armées et l’armée
elle-même décide ensuite de la poursuite
de l’enquête.
Pire encore, essayer d’obtenir justice
par le biais du système juridique
israélien peut avoir des conséquences
négatives imprévues. Eitan Diamond,
directeur exécutif de Gisha – le centre
juridique pour la liberté de
circulation, l’une des ONG participant à
la vaste campagne épistolaire – signale
qu’une pétition présentée en 2008 à la
Cour suprême israélienne contre les
interruptions de la fourniture
d’électricité à Gaza avait eu des
résultats pernicieux. La cour avait en
effet décidé que le contrôle exercé par
Israël sur Gaza ne constituait pas une
occupation, ce qui limitait ses
obligations envers les habitants du
territoire et permet à certains
responsables d’avancer qu’Israël n’a
aucunement l’obligation de fournir de
l’électricité à Gaza.
Rassembler des preuves
Tout jugement futur, qu’il soit prononcé
par une instance internationale ou
locale, devra s’appuyer sur des preuves
plus convaincantes. Selon M.
Casey-Maslen, la clé des poursuites
repose sur des preuves fiables
collectées dans les jours qui suivent
l’arrêt des combats.
On ne peut selon lui conclure simplement
que parce que « des civils ont été tués,
des crimes de guerre ont été commis
[...] Il faut constituer un dossier
pénal et il faut pour cela rassembler
des preuves. »
Alors que le cessez-le-feu temporaire se
maintient, Yael Stein, directrice de
recherche à B’Tselem, une ONG de défense
des droits de l’homme en Israël et dans
le Territoire palestinien occupé, a dit
que son organisation cherchait à dresser
un bilan de la situation. « Avec un peu
de chance, nos travailleurs sur le
terrain à Gaza peuvent maintenant sortir
de chez eux et commencer à chercher des
témoins et évaluer les dégâts ».
Selon Mme Zaher, Adalah et ses
partenaires à Gaza rassemblent également
des informations qui pourront servir
dans des procès locaux ou internationaux
ou dans des enquêtes indépendantes comme
le très
controversé rapport Goldstone des
Nations Unies sur l’opération plomb
durci. Le Conseil des Nations Unies pour
les droits de l’homme a déjà voté pour
le lancement d’une enquête sur les
prétendus crimes de guerre d’Israël dans
le conflit actuel.
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© IRIN 2014. Tous droits réservés.
Publié le 8 août 2014 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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