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Analyse
Menaces de démolition à Jérusalem-Est,
en dépit de la crise du logement
IRIN
La
nouvelle barrière de séparation et un
immeuble d’habitation menacé de
démolition
Photo: Mya Guarnieri/IRIN
Mardi 4 février 2014
Les menaces de démolition qui pèsent sur
certains immeubles d’habitation de
Jérusalem-Est viennent exacerber la
crise du logement qui touche la ville,
avec plusieurs centaines de personnes
exposées à la perte de leur logement.
Les résidents palestiniens se disent
discriminés par le plan d’aménagement
urbain.
Depuis le début de la construction de la
barrière de séparation il y a dix ans,
les Palestiniens les plus défavorisés de
Jérusalem-Est sont nombreux à avoir
choisi de déménager à l’ouest du mur.
Fin 2013, les autorités israéliennes ont
rendu des décisions judiciaires
prévoyant la démolition d’un certain
nombre de bâtiments de Ras Shehada et
Ras Khamis – des quartiers palestiniens
situés à l’intérieur des limites
municipales de Jérusalem, mais coupés du
reste de la ville par le mur de
séparation – au motif que leur
construction s’était faite sans permis.
« Avec tout ce qui est en train de se
tramer ici, j’essaie de vendre ma maison
», a dit Shadi, 26 ans, qui possède un
appartement menacé de démolition à Ras
Khamis. « Si quelqu’un se présente
maintenant et me propose, disons 150 000
ILS (43 000 dollars US) au comptant, je
pars d’ici. »
Pression
économique
De nombreux Palestiniens de
Jérusalem-Est préfèrent vivre du côté
israélien (essentiellement pour des
raisons d’accès à l’éducation, aux soins
de santé et à l’emploi), si bien que la
demande de logements y est élevée. Mais
les restrictions draconiennes en matière
de construction, imposées par la
municipalité de Jérusalem aux quartiers
palestiniens situés dans l’enceinte du
mur, ont engendré une pénurie de
logements et une flambée des prix à
Jérusalem-Est.
Les autorités israéliennes ont longtemps
fermé les yeux sur les bâtiments édifiés
de l’autre côté de la barrière de
séparation dans les quartiers
palestiniens de Jérusalem-Est. Ces
secteurs n’ont pas été planifiés et
souffrent d’un manque d’infrastructures
et de services, d’un système de
ramassage des ordures inadapté, et de
coupures d’eau et d’électricité.
Mais ils offrent un avantage de taille
qui attire les habitants : le logement y
est moins cher que du côté israélien. Et
étant donné qu’ils sont situés dans les
limites de la ville, leurs habitants
peuvent conserver la carte d’identité
israélienne sans laquelle ils seraient
apatrides.
Shadi a expliqué qu’à Shuafat et Beit
Hanina - deux des quartiers palestiniens
les plus prisés de Jérusalem-Est, situés
à l’ouest de la barrière – une maison
vaut entre 500 000 et 600 000 ILS (entre
143 000 et 172 000 dollars US), tandis
que son appartement à Ras Khamis n’en
vaut que 120 000 (34 000 dollars US).
Les tours d’habitation bon marché ont
poussé comme des champignons dans
l’ensemble des quartiers palestiniens de
Jérusalem-Est situés à l’extérieur du
mur.
« Ici, il faut compter un versement au
comptant de 50 000 [ILS], puis 2 000
[ILS] chaque mois pendant quatre ans,
alors que là-bas [du côté israélien],
[le loyer] peut atteindre 6 000, 7 000
[ILS] par mois. » Actuellement sans
emploi, Shadi a précisé qu’il touchait
environ 5 000 ILS par mois lorsqu’il
travaillait, à peine plus que le salaire
israélien minimum.
Politiques
d’urbanisme
S’adressant à l’agence de presse
palestinienne Maan, un activiste local a
dit que 15 000 personnes risquaient de
perdre leur logement si Israël mettait à
exécution les ordres de démolition
visant Ras Khamis et Ras Shehada. La
plupart des ONG avancent des chiffres
bien inférieurs. Sari Kronish, de l’ONG
israélienne Bimkom-Planners for Planning
Rights, estime qu’entre plusieurs
centaines et 1 500 personnes seraient
menacées de déplacement.
Cependant, « il existe bien plus
d’unités sans permis que [celles] ayant
reçu un ordre de démolition à ce jour »,
a-t-elle dit. Il est donc difficile de
savoir combien de personnes seront
affectées à terme.
Selon les activistes, les ordres de
démolition – de même que les politiques
empêchant les Palestiniens d’obtenir des
permis en premier lieu – résultent d’une
volonté israélienne de maintenir
certaines statistiques démographiques à
Jérusalem. Mme Kronish a dit qu’Israël,
après avoir occupé Jérusalem-Est en
1967, avait redessiné les frontières de
la ville. Le principe directeur de ce
redécoupage était « d’ajouter le maximum
de terres et le minimum de
[Palestiniens] », afin que Jérusalem
affiche un nouveau ratio de 70 juifs
israéliens pour 30 Palestiniens.
« Depuis lors, les gouvernements
israéliens successifs ont décidé que la
planification urbaine devait maintenir
cet équilibre », a dit Mme Kronish. Cela
a donné lieu à des politiques qui
favorisent l’expansion des quartiers
juifs, et freinent celle des quartiers
palestiniens.
« Ça s’apparente à un déplacement
passif. Les quartiers palestiniens n’ont
jamais été planifiés correctement.
Certains d’entre eux l’ont été, mais il
s’agit de planification restrictive », a
expliqué Mme Kronish. Par exemple, sur
les plans d’aménagement israéliens
relatifs aux quartiers palestiniens, les
terres affectées au logement sont
souvent déjà construites. Mme Kronish a
ajouté que, paradoxalement, « parfois,
même des maisons existantes sont exclues
du plan, de façon à affecter leurs
terres au logement ».
Les plans israéliens ont tendance à
privilégier les espaces verts dans les
zones palestiniennes, indépendamment des
besoins des habitants ou de l’usage
qu’ils font de la terre.
En outre, les Israéliens appréhendent
les quartiers palestiniens comme s’il
s’agissait de zones rurales, en dépit de
leur urbanisation croissante. Les droits
de construction sont limités en zone
rurale et des restrictions s’appliquent
à la largeur et à la hauteur des
édifices. Les plans d’aménagement de ces
zones ne soutiennent pas le rythme de la
croissance démographique palestinienne.
« Avec tout ce qui est en train de
se tramer ici, j’essaie de vendre ma
maison »
Prises ensemble, ces politiques limitent
drastiquement le nombre de permis de
construction délivrés dans les quartiers
palestiniens. Les rares permis accordés
s’accompagnent de taxes et de droits
municipaux exorbitants, largement
au-dessus des moyens de la plupart des
Palestiniens de Jérusalem-Est, ce qui
contribue au flux régulier de personnes
passant de l’autre côté du mur.
La municipalité de Jérusalem a dit à
IRIN que les secteurs palestiniens de la
ville avaient été négligés
historiquement, mais qu’elle avait
investi 3 millions de shekels israéliens
pour le rezonage des quartiers de
Jérusalem-Est rien qu’en 2011.
« Sous le mandat du maire Nir Barkat, la
municipalité de Jérusalem a consacré des
efforts considérables à l’amélioration
de la qualité de vie des résidents
arabes de la ville. L’objectif de M.
Barkat est de combler le fossé qui s’est
creusé en raison de décennies de
négligences dans certaines parties de la
ville », a indiqué un porte-parole dans
un communiqué écrit.
Bien que les politiques israéliennes
poussent les Palestiniens du côté ouest
de la barrière de séparation, ce
mouvement n’altère pas l’équilibre
démographique global de la ville. Mais
certains habitants de Ras Khamis pensent
que les quartiers de Jérusalem situés à
l’extérieur du mur finiront par passer
sous le contrôle de l’Autorité
palestinienne.
Problèmes
sécuritaires
La crise du logement qui touche
Jérusalem et les menaces de démolition
israéliennes à Ras Khamis sont «
politiques », estime Riad Julani, 40
ans, un autre habitant dont la maison
est menacée de destruction.
« [Les Israéliens] ont fait de cet
endroit une jungle. On n’est plus en
sécurité ici », a dit M. Julani. Lui et
d’autres habitants ont dit que le trafic
et la consommation de drogue étaient
endémiques dans le quartier, et que les
autorités israéliennes choisissaient de
ne pas intervenir.
« Il y a des enfants de 14, 15 ans qui
prennent de la drogue ici, et nous
sommes vraiment juste en face de la
police. On pourrait faire une
expérience. On pourrait mettre quelque
chose qui ressemble à de la drogue dans
des sacs et aller au poste de contrôle
[de Shuafat], vous pourriez sortir de
l’argent sous le nez des soldats, est-ce
qu’ils viendraient vers vous ou vers moi
? Non. Ils s’en fichent. Ils se fichent
des Arabes ».
Les habitants rapportent également que
des maisons et des commerces sont
régulièrement cambriolés, et que la
police israélienne n’intervient pas.
Saed Abu Asab, 58 ans, vit dans le même
immeuble que M. Julani. Il dit préférer
Ras Khamis à l’appartement qu’il louait
autrefois dans la vieille ville de
Jérusalem où lui, sa femme et leurs cinq
enfants s’entassaient dans une même
pièce.
« Ça donnait "Sois gentil, j’aimerais
rentrer, recule un peu, je dois aller à
la salle de bain" », se souvient-il. En
réfléchissant à sa situation actuelle,
il a ajouté : « Maintenant [les
Israéliens] parlent de démolition, mais
alors pourquoi laissent-ils [les juifs
israéliens] construire à Pisgaat Zeev
[une colonie israélienne] et ne [nous]
laissent-ils pas le faire ici ? »
Pourtant, malgré les menaces imminentes
de démolition, le boom du logement se
poursuit de l’autre côté de la barrière
de séparation.
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© IRIN 2013. Tous droits réservés.
Publié le 4 février2014 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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