Analyse
Les Gazaouis
reprochent à l'Égypte de leur serrer la
vis
IRIN
Bouillonnant autrefois d’activité, les
tunnels sont maintenant bien calmes
Photo: Ahmed Dalloul/IRIN
GAZA, 3 octobre 2013 (IRIN)
Le
changement de pouvoir de ces derniers
mois a non seulement conduit à la
fermeture des frontières aux personnes
en provenance de
Gaza, mais a également entraîné une
forte baisse du transport de produits de
base et limité les droits de pêche,
isolant encore davantage les résidents
du Territoire palestinien occupé (TPO).
L’armée égyptienne a dit avoir détruit
plus de 440 tunnels — soit 80 à 90 pour
cent des tunnels détectés entre l’Égypte
et Gaza — depuis le début de ses
opérations dans la péninsule du Sinaï,
fin juin.
Selon le Bureau de la coordination des
affaires humanitaires des Nations Unies
(OCHA), seulement dix tunnels sont
actuellement en fonction. Ils étaient au
moins 300 avant que l’Égypte ne prenne
des
mesures drastiques.
« Ils sont en train de nous étrangler,
même s’ils affirment le contraire », a
dit à IRIN Jalal, un homme de 25 ans qui
travaille dans l’un des tunnels. « La
situation ne nous laisse pas d’autre
choix que de chercher d’autres manières
de faire fonctionner les tunnels jusqu’à
l’ouverture d’un point de passage viable
des marchandises à la surface. »
Les tunnels sont les principales voies
de commerce depuis et vers la bande de
Gaza. Ce sont aussi les seuls points
permettant d’entrer et de sortir de Gaza
en évitant Israël, qui limite fortement
les passages. Les Principes concertés
sur le point de passage de Rafah, signés
en 2005 par l’Autorité palestinienne et
Israël, prévoyaient la mise en place
d’échanges commerciaux formels, mais
l’accord a été suspendu à la suite de
l’accession au pouvoir du Hamas dans la
bande de Gaza en 2006.
Les autorités et les médias égyptiens
soutiennent que les tunnels facilitent
le trafic d’armes et de drogue et
permettent même le passage de
terroristes vers le Sinaï. Le Hamas a
cependant démenti ces allégations.
Jalal et ses collègues disent ne pas
avoir été payés depuis près de deux
mois. Jalal attend son premier enfant. «
Je veux que mon fils vive dans un monde
meilleur, sans limites ni frontières
comme celles qui nous font souffrir
actuellement. »
Restrictions côtières
Sur la côte, la situation est semblable.
La marine israélienne interdit aux
pêcheurs gazaouis de s’éloigner de plus
de six miles marins des côtes, ce qui
limite fortement leurs prises.
Auparavant, l’Égypte tolérait les
pêcheurs dans ses eaux, mais ces
dernières semaines, des pêcheurs
palestiniens ont été arrêtés et blessés
par la marine égyptienne et leurs
bateaux ont été endommagés.
« Ce n’est pas une façon de traiter ses
frères », a dit Nizar Ayyash, directeur
de l’association des pêcheurs
palestiniens. Il a appelé l’Égypte à
mettre un terme à cette campagne de
répression.
Le 30 août, cinq pêcheurs palestiniens
se sont fait arrêter en Égypte. Ils ont
été inculpés pour intrusion dans les
eaux internationales égyptiennes et ont
été condamnés à un an de prison et 60
dollars d’amende chacun.
« Ils sont en train de nous
étrangler, même s’ils affirment le
contraire »
« Nous avions l’habitude d’atteindre les
côtes d’El-Arich [l’une des principales
villes du Sinaï] ; les gardes nous
regardaient aller et venir. Ils nous
laissaient aller sans rien dire, mais
tout a changé maintenant », a dit
Mahmoud, un pêcheur gazaoui de 30 ans.
Après l’arrestation, les pêcheurs de
Gaza ont été avertis de ne pas
s’approcher des lignes frontalières. Or,
trois jours plus tard, deux pêcheurs ont
été blessés alors que leurs bateaux
étaient pris pour cible par la marine
égyptienne. Selon M. Ayyash, ils se
trouvaient pourtant dans les eaux
gazaouies.
Abdullah Najjar, 55 ans, a dit à IRIN
que son fils Ibrahim avait été gravement
blessé et que son bateau avait été
endommagé lorsqu’un soldat égyptien lui
avait tiré dessus ainsi que sur un autre
pêcheur. Ibrahim a dû être opéré au bras
à la suite de cet incident.
L’association des pêcheurs prétend que
d’autres pêcheurs ont été pris pour
cible ces deux dernières semaines dans
les eaux gazaouies.
Lien vital
Environ 50 pour cent des besoins en
poisson de Gaza étaient, jusque
récemment, couverts par des produits
acheminés à travers les tunnels [et
pêchés par des Gazaouis dans les eaux
égyptiennes]. Ainsi, selon
OCHA, avant juillet, près de 118
tonnes de poisson étaient importées à
Gaza chaque mois via les tunnels pour
compléter les faibles prises des
pêcheurs.
Selon des travailleurs humanitaires, les
mesures de restriction contre les
tunnels pourraient menacer la sécurité
alimentaire à Gaza. Le Programme
alimentaire mondial (PAM) estime
d’ailleurs que si la totalité des
tunnels venait à fermer, il devrait être
prêt à répondre aux besoins de 50 000 à
60 000 personnes de plus.
La situation actuelle présente des
similitudes avec celle de fin 2009, lors
de l’édification par l’Égypte d’un mur à
la frontière avec Gaza. « Nous avons
fini par résoudre cette situation », a
dit Khalil, propriétaire d’un tunnel âgé
de 40 ans. « Mais ce qui se passe
maintenant est pire », a-t-il ajouté.
Selon
OCHA, les fermetures de tunnels ont
participé à « d’importantes pénuries,
notamment de combustible à des prix
abordables et de matériaux de
construction ».
Khalil reproche aux opérations
égyptiennes d’avoir paralysé son
activité. Les tunnels, qui
fonctionnaient auparavant à toute heure
du jour et de la nuit, sont désormais
bien calmes.
Dans le souci d’éviter une crise
humanitaire, les autorités de Gaza,
dirigées par le Hamas, ont appelé
l’Égypte, d’autres pays arabes et la
communauté internationale à aider à
mettre en place une zone commerciale
légale et à rouvrir la frontière aux
échanges commerciaux.
La fermeture des tunnels menace
également le récent essor du secteur de
la construction à Gaza. Moins de 100
tonnes de matériaux de construction ont
été importées chaque jour la semaine
dernière, contre une moyenne de plus de
7 500 tonnes en juin, selon les chiffres
de la Fédération des industries
palestiniennes citée par
OCHA.
La Banque mondiale a
dit récemment que les mesures de
restriction risquaient d’entraîner une
baisse importante des activités de
construction à Gaza au cours des
prochains mois.
Selon Nabil Abu Mu’aliq, directeur du
syndicat des entrepreneurs palestiniens,
environ 30 000 travailleurs du secteur
sont désormais sans emploi à cause de
l’arrêt de l’importation de matériel
depuis l’Égypte et de la hausse des prix
qui s’en est suivi.
Israël a annoncé le mois dernier qu’il
permettrait à 50 camions de matériaux de
construction à destination du secteur
privé d’entrer dans Gaza par le
poste-frontière de Kerem Shalom. Mais
selon M. Abu Mu’aliq, cela représente
moins d’un quart des besoins du marché.
Obligations humanitaires
L’organisation non gouvernementale (ONG)
Gisha, un centre juridique plaidant pour
la liberté de circulation, a dit dans un
récent communiqué que même si l’Égypte
n’était pas une puissance d’occupation
dans la bande de Gaza, elle avait
cependant des obligations humanitaires
envers ses habitants.
« Elle doit prendre en compte le droit à
la liberté de circulation des habitants
de Gaza et faire tout son possible pour
maintenir une voie de circulation fiable
et suffisante à travers son territoire.
»
« En raison du contrôle important
d’Israël sur la bande de Gaza, [le pays]
a le devoir, conformément au droit
applicable en matière d’occupation, de
permettre aux habitants de Gaza de mener
une vie normale, et notamment de
quitter Gaza et d’y revenir. »
Le réseau d’ONG palestiniennes et un
certain nombre d’organisations
palestiniennes de défense des droits de
l’homme ont exhorté la communauté
internationale à lever le blocus imposé
à Gaza. Dans un communiqué envoyé à
IRIN, ces organisations ont dit
qu’Israël, en tant que puissance
occupante, était responsable de la
détérioration actuelle de l’économie et
de la qualité de vie à Gaza due aux
fortes restrictions.
Le réseau a également appelé les
autorités égyptiennes à faciliter les
déplacements des résidents de et vers
Gaza et à prendre en compte la situation
humanitaire du territoire.
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Publié le 4 octobre 2013 avec l'aimable
autorisation de l'IRIN
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