Info Birmanie
Rohingya : un an … et si peu d’avancées
Vendredi 24 août 2018
Le 25 août 2018 marque les un an du
début de la violente offensive militaire
à l’encontre de la minorité Rohingya en
Birmanie, officiellement en réaction à
l’attaque simultanée de postes de police
menée par l’Armée du Salut des Rohingya
d’Arakan (ARSA). Face à l’ampleur des
violences, ce sont près de 700 000
Rohingya qui ont dû fuir la Birmanie et
trouver refuge au Bangladesh, rejoignant
ainsi les 200 000 qui avaient déjà fui
les vagues de persécution antérieures.
Une situation
humanitaire dégradée
Aujourd’hui, ce
sont toujours plus de 900 000 Rohingya
qui vivent dans des camps au Bangladesh.
Le camp de Kutupalong-Balukhali, où
vivent près de 600 000 réfugiés, est
d’ailleurs le camp de réfugiés le plus
grand et le plus densément peuplé.
Les conditions
matérielles, sanitaires et sécuritaires
y sont particulièrement difficiles et
elles tendent à se dégrader. Dans un
communiqué commun du 16 mars 2018, le
Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) et
l’OIM (Office International des
Migrations) indiquaient que plus de
150 000 réfugiés sont exposés à un
risque d’inondation et de glissement de
terrain. Et le projet de relocalisation
de réfugiés Rohingya sur l’île de Bhasan
Char annoncé par les autorités
bangladaises suscite l’inquiétude des
acteurs humanitaires, tant du point de
vue de la viabilité du site que de son
isolement géographique.
Le Bangladesh, qui
fait face à un défi de prise en charge
énorme, insiste sur le caractère
provisoire de l’accueil des Rohingya sur
son territoire. Mais dans le même temps,
ces derniers se retrouvent actuellement
sans perspective de retour sécurisé dans
leur pays. Et des Rohingya continuent de
traverser la frontière pour trouver
refuge au Bangladesh en raison de leurs
craintes de persécution en Birmanie,
comme l’indique le HCR dans ses derniers
rapports.
Les accords de
rapatriement et la difficile question du
retour
Les accords que la
Birmanie a signé pour le rapatriement
des Rohingya, tant avec le Bangladesh
(23/11/17), qu’avec le HCR et le
Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD) (06/06/18),
soulèvent bien des inquiétudes.
Théoriquement, l’accord signé avec le
HCR et le PNUD vise à permettre à l’ONU
d’aider les autorités birmanes à créer
des conditions propices à un retour
volontaire et sécurisé, mais début août
2018 le HCR et le PNUD déploraient ne
toujours pas avoir « un accès
effectif » à l’Etat d’Arakan. Cette
situation de blocage de la part des
autorités birmanes reste d’actualité.
Les Rohingya
questionnés dans les camps sur un
éventuel retour souhaitent pouvoir
rentrer chez eux, mais ils veulent
pouvoir s’assurer qu’ils ne seront plus
exposés à des violences, que leur
citoyenneté sera reconnue et leurs
droits respectés, notamment leur liberté
de mouvement (rapport HRW
« Bangladesh is not my country », Août
2018). En juillet 2018, le
secrétaire général de l’ONU, Antonio
Guterres, en visite dans un camp,
déclarait : « À Cox’s Bazar,
Bangladesh, j’ai entendu à l’instant
d’inimaginables récits de tueries et de
viols de la part de réfugiés rohingyas
qui ont récemment fui… Ils veulent la
justice et un retour chez eux dans des
conditions sûres ».
Mais quelles seront
les modalités concrètes de mise en œuvre
de ces accords de rapatriement si la
politique de la Birmanie à l’encontre
des Rohingya ne change pas ? Quelles
sont les garanties dont ils disposent ?
Aujourd’hui, les conditions d’un retour
volontaire, sûr et respectueux des
droits des Rohingya ne sont absolument
pas réunies. Ces conditions sont une
question centrale et la communauté
internationale doit s’assurer que le
retour des Rohingya ne s’effectue pas au
détriment de leur sécurité et de leurs
droits. Dans un communiqué du 21 août
2018, HRW rapporte que des Rohingya
ayant récemment traversé la frontière
pour rentrer en Birmanie ont été
torturés par les forces de sécurité
birmanes. Et les quelque 129 000
Rohingya qui se trouvent encore dans
l’état d’Arakan survivent dans des camps
dans un environnement très dégradé,
privés de toute liberté de mouvement.
Des crimes contre
l’humanité documentés, voire des
« éléments de génocide »
Les opérations
militaires de l’armée birmane contre les
Rohingya ont été particulièrement
violentes et meurtrières. Bien que la
Birmanie bloque l’accès à son territoire
à toute équipe d’observateurs ou
d’enquêteurs internationaux, de
nombreuses informations ont pu être
recueillies sur les crimes contre
l’Humanité visant les Rohingya grâce aux
témoignages de réfugiés et à
l’utilisation de satellites. Les
rapports tant de l’ONU que de nombreuses
ONG de défense des droits de l’Homme
documentent le « nettoyage ethnique »
subi par les Rohingya et évoquent pour
certains des « éléments de génocide ».
Dans un rapport
publié le 21 novembre 2017, Amnesty
International dénonçait par ailleurs le
« système de discrimination
cautionnée par l’Etat,
institutionnalisée, qui s’apparente à de
l’apartheid » instauré dans l’état
d’Arakan et expliquait que « la
violente campagne de nettoyage ethnique
des forces de sécurité au cours des
trois derniers mois n’est que la
manifestation extrême de cette politique
scandaleuse ». Lors de la session
extraordinaire du 5 décembre 2017 du
Conseil des droits de l’Homme des
Nations Unies sur la situation en
Birmanie, le Haut-Commissaire aux droits
de l’homme, M. Zeid Ra’ad Al Hussein, a
condamné « les attaques généralisées,
systématiques et brutales contre les
musulmans Rohingya. »
Sont attendues dans
les semaines qui viennent un rapport
d’investigation du Département d’Etat
américain, sur la base de témoignages
recueillis au Bangladesh. La mission
d’établissement des faits sur la
situation des droits humains en
Birmanie, établie en mars 2017 par le
Conseil des droits de l’Homme des
Nations Unies en réponse à l’offensive
militaire menée en octobre 2016 contre
les Rohingya, doit également remettre
ses conclusions.
La Birmanie a
entravé les déplacements de cette
mission sur son territoire, mais
celle-ci n’en a pas moins recueilli des
centaines de témoignages au Bangladesh,
en Thaïlande et en Malaisie. L’un des
membres de la mission, l’ancien
commissaire australien aux droits de
l’Homme, Christopher Sidoti, fait valoir
que « Les modèles de violence
observés depuis l’année dernière ne le
sont pas seulement dans l’Etat d’Arakan,
ils sont en ligne avec ceux des abus
contre les minorités « en général en
Birmanie » ». La mission doit
soumettre son rapport lors de la
prochaine session ordinaire du Conseil
des droits de l’Homme des Nations Unies
qui débute le 10 septembre 2018. La
situation de la Birmanie devrait y être
abordée le 18 septembre.
Force est donc de
constater que ce ne sont pas les
informations qui font défaut à la
communauté internationale.
La réponse de la
communauté internationale
Mais en dépit d’une
forte médiatisation et de nombreux
rapports et déclarations, il y a eu peu
d’actions concrètes. La volonté affichée
de ne pas porter atteinte à la
transition démocratique birmane semble
impacter les prises de position et
actions des principaux acteurs
susceptibles d’influer sur le terrain.
-
Les sanctions individuelles
Le 25 juin 2018,
l’Union Européenne et le Canada ont
adopté des sanctions visant cinq
généraux de l’armée et deux hauts gradés
de la police de sécurité et de la police
des frontières. Ces sanctions consistent
en un gel de leurs éventuels avoirs dans
l’Union Européenne, doublé d’une
interdiction de séjour sur le territoire
de l’Union. Le 21 décembre 2017, les
Etats-Unis avaient adopté des sanctions
individuelles à l’encontre d’un général
de l’armée birmane, avant d’adopter de
nouvelles sanctions le 17 août 2018 à
l’encontre de quatre haut-gradés et de
deux divisions d’infanterie militaire.
Ces sanctions américaines visent de
surcroît à empêcher les relations
d’affaires entre les entreprises
américaines et les individus visés.
Cependant, ces
sanctions, nécessaires mais tardives,
sont loin d’être suffisantes et de
nombreux hauts responsables militaires
responsables de violations des droits
humains ne sont pas visés, en
particulier le Commandant-en-chef de
l’armée gouvernementale birmane Min Aung
Hlaing, aux commandes des opérations
militaires et notamment de celles qui
ont pris place dans le nord de l’état
d’Arakan à partir du 25 août 2017.
Au-delà de ces
sanctions individuelles, l’ONU n’a
toujours pas imposé un embargo sur les
armes et aucun pays n’a adopté de
sanctions économiques ciblant les
entreprises détenues ou contrôlés par
des membres de l’armée birmane.
-
La justice / la Cour Pénale
Internationale
A ce jour, le
Conseil de sécurité des Nations Unies
n’a pas davantage déféré la situation
des Rohingya à la Cour Pénale
Internationale (CPI).
Pourtant, un nombre
croissant d’acteurs, parmi lesquels des
membres de la société civile birmane et
de nombreuses ONG de défense des droits
humains, appellent à la saisine de la
CPI par le Conseil de sécurité des
Nations Unies. Dans un appel conjoint du
24 août 2018, 132 parlementaires de
l’Asie du Sud-est, parmi lesquels 22
parlementaires de l’APHR (ASEAN
Parliamentarians for Human Rights)
appuient cette revendication.
Il ressort aussi
des témoignages recueillis par les ONG
de défense des droits humains que les
Rohingya expriment une forte
revendication de justice, qui passe
notamment par la saisine de la CPI.
Il est à noter que
le Canada est le seul Etat à porter
cette revendication de manière
officielle.
Or l’enjeu est
crucial et global, car il s’agit de
mettre un terme à l’impunité en
Birmanie, face à des violations massives
des droits humains qui impactent
d’autres minorités opprimées par
l’armée, notamment dans les états Shan
et Kachin.
L’accès à la
justice internationale est rendu plus
complexe car la Birmanie n’a pas ratifié
le Statut de Rome, le traité fondateur
de la CPI. En avril 2018, la Procureure
de la CPI, Fatou Bensouda, a cependant
soulevé la question de savoir si la CPI
pourrait néanmoins exercer sa
juridiction étant donné la déportation
de Rohingya sur le territoire du
Bangladesh, qui lui est un Etat partie
au Statut de Rome. Cette procédure
inédite et incertaine, de l’aveu même de
la Procureure, est actuellement en cours
d’examen. Sollicitée par la Procureure
pour soumettre des observations, la
Birmanie a refusé de coopérer avec la
CPI.
La publication de
la mission d’établissement des faits
mandatée par le Conseil des droits de
l’Homme des Nations Unies devrait
pousser les membres du Conseil de
sécurité à prendre position pour la
justice internationale.
L’Union européenne
et la France ont un rôle important à
jouer, en particulier dans la
construction d’un consensus sur la
question, face au veto redouté de la
Chine et de la Russie. Le Conseil de
sécurité, dont la prochaine session
d’information sur la Birmanie doit avoir
lieu le 28 août 2018, doit saisir la
CPI.
La rapporteuse
spéciale des Nations Unies sur la
situation des droits de l’Homme en
Birmanie, Mme Yanghee Lee, avait
également défendu la mise en place d’un
mécanisme ad hoc d’enquête au niveau de
l’ONU dans le but de faciliter toute
procédure judiciaire à venir dans le
respect des standards internationaux. La
création de ce mécanisme doit être
soutenue.
La position de la
Birmanie n’évolue pas
Car depuis le début
des événements, les autorités birmanes
récusent l’existence du nettoyage
ethnique subi par les Rohingya et
continuent de mettre en avant une
« menace terroriste » pour justifier
leurs opérations. Elles accusent la
communauté internationale de partialité
et n’ont mené aucune enquête effective
et indépendante.
C’est la raison
pour laquelle l’indépendance et
l’effectivité de la dernière commission
nationale d’investigation en date sur la
situation dans l’état d’Arakan sont
sérieusement mises en doute. La
présidente de cette commission, Mme
Rosario Manolo, ancienne diplomate
philippine, a d’ailleurs fait valoir en
août 2018 qu’il ne s’agissait pas de
faire rendre des comptes. Face au
pouvoir des militaires en Birmanie, le
cadre légal pour mener des
investigations indépendantes n’existe
pas.
Or faire rendre
des comptes aux auteurs des crimes
perpétrés en Birmanie, un an après le
nouvel exode massif des Rohingya
victimes de nettoyage ethnique, est une
exigence première sur laquelle la
communauté internationale ne peut pas
transiger.
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