Opinion
La politique française a-t-elle eu tout
faux
au Proche-Orient ?
Ibrahim Tabet
Bombardier
français en Libye juste avant la chute
de Kadhafi.
Lundi 8 août 2016
Qui se souvient du discours
prémonitoire de Dominique de Villepin à
l'Onu, le 7 mars 2003, où, s'élevant
contre la détermination affichée des
États-Unis d'envahir l'Irak, il mettait
en garde contre les conséquences
désastreuses qu'entraînerait cette
agression ? « La France, déclarait-il,
pense que l'usage de la force risque
d'attiser les rancœurs et les haines,
d'alimenter un choc des identités, un
affrontement des cultures. (...)
S'agit-il de changer le régime de Bagdad
? Personne ne méconnaît la cruauté de
cette dictature (...)
Mais la force ne constitue certainement
pas le meilleur moyen d'apporter la
démocratie. S'agit-il de lutter contre
le terrorisme ? La guerre ne ferait que
l'accroître, et nous pourrions faire
face à une nouvelle vague de violence.
(...) S'agit-il enfin de remodeler le
paysage politique au Moyen-Orient ?
Alors nous prenons le risque d'accroître
les tensions dans une région déjà
marquée par une grande instabilité.
D'autant qu'en Irak même, la
multiplicité des communautés et des
religions est une source de divisions.
(...) Le monde sera t-il plus en
sécurité après une intervention
militaire en Irak ? Je veux vous dire la
conviction de mon pays : non (*). »
Si l'on remonte plus loin dans le temps,
que reste-t-il de la posture gaullienne
d'indépendance par rapport à Washington,
de son rêve d'une Europe de l'Atlantique
à l'Oural, et de la politique arabe de
la France qu'il a initiée et dont
Jacques Chirac a été le dernier héritier
? Depuis la présidence de Nicolas
Sarkozy, et surtout celle de François
Hollande, la politique étrangère de la
France a eu tout faux au Proche-Orient.
En politique étrangère, Nicolas Sarkozy,
mettant fin à la politique
d'indépendance vis-à-vis de Washington,
a procédé à un réalignement de la France
sur les États-Unis et en faveur
d'Israël, les deux objectifs étant
probablement liés dans son esprit. En
2009, la France réintègre le
commandement de l'Otan. Elle apparaît
également comme l'un des pays le plus en
pointe contre le régime iranien sur le
dossier du nucléaire. La décision la
plus lourde de conséquences de sa
présidence a toutefois été
l'intervention militaire française en
Libye en 2011, promue par le sulfureux
Bernard-Henri Lévy, sioniste notoire.
Outrepassant le mandat de l'Onu et sous
prétexte de protéger les populations
civiles, elle a abouti à ce qui était
probablement son véritable objectif : le
renversement du régime de Mouammar
Kadhafi. Ses répercussions se font
toujours sentir aujourd'hui : chaos
tribal et désintégration de la Libye.
Plus grave, au regard des intérêts
français et européens : apparition d'un
repaire de terroristes islamistes
menaçant l'Europe et l'Afrique
subsaharienne. Enfin, afflux de réfugiés
en Europe, que le dictateur libyen avait
au moins l'avantage d'endiguer.
Comme si les leçons des répercussions
catastrophique de la politique de
changement de régime en Irak et en Libye
n'avaient pas été retenues, la politique
française vis-à-vis de la Syrie a commis
les mêmes erreurs. Plus royaliste que le
roi américain, Laurent Fabius a déclaré
au début du déclenchement du soulèvement
contre Bachar el-Assad que celui-ci « ne
méritait tout simplement pas de vivre
sur terre ! » Son parti pris flagrant en
faveur d'Israël l'a amené à surenchérir
en matière d'intransigeance sur les
Américains dans les négociations ayant
abouti à l'accord sur le nucléaire
iranien. Choix sans doute également
dicté par le souci du gouvernement
français de complaire aux riches
pétromonarchies du Golfe, alors que
l'Arabie saoudite et le Qatar wahhabites
financent généreusement les mouvements
islamistes. N'eût été la sage décision
de Barak Obama de s'abstenir de
bombarder les forces fidèles au régime
syrien, François Hollande était prêt à
le faire, ce qui aurait ouvert les
portes de Damas aux islamistes radicaux
et vidé la Syrie de la majorité de ses
habitants chrétiens comme c'est déjà le
cas en Irak.
Aujourd'hui, il apparaît de plus en plus
clairement que, grâce à l'intervention
russe, le régime syrien n'est pas prêt
de tomber et qu'il constitue, que cela
plaise ou non, un rempart contre le
terrorisme islamiste. Washington en a
d'ailleurs implicitement pris acte et
considère désormais que l'ennemi
principal n'est pas Bachar el-Assad, qui
n'a jamais constitué une menace
terroriste contre l'Occident, mais Daech
qui voue une haine inexpiable contre les
« croisés et les juifs » et dont
l'objectif déclaré est de porter la
guerre contre l'Occident considéré comme
dar el-harb. Il est temps que le
gouvernement français admette qu'il
s'est trompé d'ennemi et qu'il procède à
une révision radicale de sa politique au
Moyen-Orient. D'autant plus que la vague
d'attentats terroristes dont la France
est victime montre qu'elle est davantage
visée par Daech et les autres
organisations jihadistes que la
lointaine Amérique. Cela dit, ce n'est
pas en intensifiant les bombardements
aériens contre Daech en Syrie et en Irak
que la vague d'attentats terroristes sur
le sol français pourra être enrayée.
C'est surtout sur le front intérieur que
se situe l'enjeu de la lutte contre ce
fléau. Malheureusement, quelles que
soient les mesures sécuritaires
supplémentaires que pourra prendre le
gouvernement, il n'existe pas de risque
zéro en la matière et les Français
devront apprendre à vivre jusqu'à nouvel
ordre avec le terrorisme. Enfin le
renforcement des moyens de lutte
antiterroriste n'éliminerait pas pour
autant l'idéologie qui a enfanté les
kamikazes. Autrement plus efficace
serait un certain nombre de mesures
visant à l'émergence d'un islam
européen, telles que par exemple la
formation des imams et l'interdiction du
financement des lieux de culte musulmans
par des institutions ou des
gouvernements étrangers.
Sur un autre plan, il est temps que le
gouvernement français se rapproche de la
Russie, qui est un allié naturel dans la
lutte contre le terrorisme islamiste.
N'est-ce pas d'ailleurs ce que font les
Américains sur le dossier syrien, alors
qu'ils instrumentalisent la prétendue
menace de l'ours russe pour justifier le
maintien de l'Otan, dont la principale
raison d'être depuis la chute de l'URSS
est de garder les pays européens sous
leur coupe ? Mais le gouvernement actuel
a perdu toute crédibilité sur tous ces
dossiers, et il faudra sans doute
attendre la prochaine élection
présidentielle pour que la France ait
une chance de recouvrer une quelconque
influence au Proche-Orient.
Ibrahim TABET
*Cité par Henri Laurens dans
« L'Orient arabe à l'heure américaine »,
Hachette 2008, p. 223, et dans mon livre
« La France au Liban et au
Proche-Orient », éditions de la Revue
phénicienne, 2012, p. 271.
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