Le texte "Trop c'est
trop"
Il est des vérités
désagréables à dire, mais il est
des moments où il faut savoir
les mettre en pleine lumière.
Trop, c’est trop ! Les motifs
d’insatisfaction sur les
politiques menées depuis 2012
n’ont pas manqué, et nous-mêmes,
comme d’autres, n’avons pas
manqué d’alerter. Depuis
quelques mois, ces désaccords se
sont mués en une grande
inquiétude. La colère populaire
s’est confirmée sans appel par
quatre défaites électorales
successives. Ce n’est plus
simplement l’échec du
quinquennat qui se profile, mais
un affaiblissement durable de la
France qui se prépare, et bien
évidemment de la gauche, s’il
n’est pas mis un coup d’arrêt à
la chute dans laquelle nous
sommes entraînés.
Bien sûr, nous n’oublions pas
les succès de la COP21, la
priorité donnée à la lutte
contre les inégalités à l’école,
les avancées de la loi santé.
Mais, à côté de cela, que de
reculs !
La gauche avait déjà assisté,
incrédule, en janvier 2014, au
pacte avec le Medef qui se
révéla un marché de dupes. Nos
mises en garde avaient alors été
ignorées. Nous aurions aimé nous
tromper. Malheureusement, de
l’aveu du premier ministre
lui-même, la réalité, tellement
prévisible, est là : un million
d’emplois promis, quelques
dizaines de milliers tout au
plus effectivement créés. Bien
sûr, il fallait aider à la
reconquête de la compétitivité
de nos entreprises, mais pour
cela il eût fallu cibler les
aides sur celles exposées à la
concurrence internationale et
les lier à des contreparties
précises.
Ces 41 milliards d’euros
mobilisés pour rien, ou si peu,
auraient été si utiles à la
nouvelle économie, à l’écologie,
à l’éducation et à la formation,
aux territoires, à l’accès à
l’emploi de ceux qui en sont le
plus éloignés, au pouvoir
d’achat, aux investissements
publics et privés et donc aux
carnets de commandes des
entreprises. A chaque étape et
par des voies multiples, nous
avons fait des propositions
précises pour relancer la
croissance et l’emploi dans le
cadre d’un nouveau modèle de
développement social et
écologique, et d’une
réorientation de l’Europe,
attelons-nous-y !
Puis, nous nous sommes vu
infliger, à l’hiver 2015, ce
désolant débat sur la déchéance
de nationalité. Pourtant la
France, autour du président de
la République, s’était montrée
digne et forte après les
attentats de janvier comme de
novembre. Nous avons approuvé
l’état d’urgence comme le
renforcement des moyens d’action
de nos forces de l’ordre et des
services de renseignement face à
une menace terroriste d’un
niveau sans précédent. A
Versailles, le président de la
République a émis l’idée d’une
peine de déchéance de
nationalité pour les
terroristes. Très vite, chacun a
compris l’impasse : réservée aux
binationaux, elle est contraire
au principe d’égalité ;
appliquée aux mono-nationaux,
elle fabriquerait des apatrides.
Et, si ce débat nous heurte
tant, c’est qu’il touche au fond
à notre conception de l’identité
de la France. Pour la gauche,
l’identité française doit être
républicaine, elle se définit
comme une communauté non pas
d’origine, mais de destin,
fondée sur les valeurs de
liberté, d’égalité, de
fraternité et de laïcité.
Evitons cette fêlure profonde
Le texte adopté par l’Assemblée
nationale a gommé les aspérités
sans en supprimer les effets, et
en les aggravant en étendant la
déchéance de nationalité aux
délits. Mis entre les mains de
gouvernements futurs mal
intentionnés, il ouvre la voie à
toutes les dérives. Aller au
Congrès de Versailles dans ces
conditions serait une fêlure
profonde pour la gauche et
d’ailleurs aussi pour certains
démocrates. Evitons-la.
Substituons à cette déchéance de
nationalité une peine de
déchéance de citoyenneté ou
d’indignité nationale inscrite
dans la loi, frappant tous les
terroristes quelle que soit leur
origine.
Par une regrettable accélération
du temps, la semaine dernière,
ce fut la meurtrissure de
l’indécent discours de Munich, à
propos des réfugiés. Se
revendiquer d’une liberté de ton
n’autorise pas tout. Non, Angela
Merkel n’est pas naïve, Monsieur
le premier ministre. Non, elle
n’a pas commis une erreur
historique. Non, elle n’a pas
mis en danger l’Europe, elle l’a
sauvée. Elle l’a sauvée du
déshonneur qui aurait consisté à
fermer totalement nos portes à
toutes ces femmes, ces hommes et
enfants fuyant les persécutions
et la mort et en oubliant ceux
qui chaque jour perdent la vie
en Méditerranée.
La fermeté, c’est le langage
qu’il faut tenir à ceux des
Etats européens qui s’exonèrent
de toute solidarité, de toute
responsabilité à l’égard des
réfugiés. La France ne doit pas
être de ceux-là. La France,
quand elle s’appuie sur ces
valeurs comme elle l’a fait dans
son histoire en accueillant les
opposants des dictatures par
exemple, est un pays respecté,
admiré et aimé. Cela oblige les
femmes et les hommes qui le
dirigent. La mission de la
France n’est pas de dresser des
murs, mais de construire des
ponts. Sans nier un seul instant
l’ampleur du problème, nous
attendons de la France qu’elle
se tienne aux côtés de ceux qui
agissent.
Et, aujourd’hui, voici que l’on
s’en prend au code du travail !
La gauche a appris des
mouvements ouvriers qu’il n’y a
pas de liberté sans égalité. Ce
n’est pas une affaire de tabous.
Le droit n’enferme pas, il
libère. Il libère en arrêtant la
liberté des autres où commence
la sienne. Il libère en
apportant aux plus faibles les
droits qui visent à rééquilibrer
les rapports dans l’entreprise.
C’est pour l’avoir ignoré que,
partout au sein de la gauche,
l’avant-projet de loi dit « El
Khomri » a provoqué non plus de
la déception, mais de la colère
! C’est toute la construction
des relations sociales de notre
pays qui est mise à bas en
renversant la hiérarchie des
normes, et en privilégiant
l’accord dans l’entreprise dans
un pays où le taux de
syndicalisation est faible et où
le patronat n’a jamais aimé la
négociation. Les salariés vont
subir un chantage permanent et
les entreprises seront soumises
à des distorsions de
concurrence, alors que l’accord
de branche unifie les conditions
générales de travail pour les
entreprises d’un même secteur.
Et, à qui fera-t-on croire qu’en
multipliant les facilités de
licenciements, comme le prévoit
le projet de loi – limitation du
pouvoir d’appréciation du juge
sur le motif économique, prise
en compte des seules filiales
françaises pour apprécier les
difficultés économiques d’une
multinationale, plafonnement à
un niveau très bas des
indemnités prud’homales pour
licenciement abusif… –, oui, à
qui fera-t-on croire qu’on
favorisera ainsi l’emploi ?
Réduire les protections des
salariés face au licenciement
conduira plus sûrement à
davantage de licenciements !
Pas nous, pas la gauche !
Qui peut imaginer que, en
généralisant les possibilités de
ne plus payer les heures
supplémentaires en heures
supplémentaires – calcul sur
trois ans de la durée du
travail, rémunération au forfait
dans les PME, possibilité de
déroger à un accord de branche
pour les majorations… –, on
améliorera la situation de
l’emploi en France ? Qui peut
faire croire qu’augmenter le
temps de travail va diminuer le
chômage ? Moins de pouvoir
d’achat pour les salariés, moins
d’embauche pour les chômeurs en
cas de surcroît d’activité,
est-ce bien cela que l’on veut
dans un pays de plus de 3,5
millions de chômeurs et dont les
entreprises souffrent de carnets
de commandes trop peu remplis ?
Que le patronat institutionnel
porte ces revendications,
pourquoi pas, même si elles nous
paraissent en décalage avec ce
que nous disent les entreprises
sur le terrain. Mais qu’elles
deviennent les lois de la
République, sûrement pas ! Pas
ça, pas nous, pas la gauche !
Bien sûr, comme tout texte de
régulation, le code du travail
doit évoluer, au regard des
changements du monde, mais sans
affaiblir sa force protectrice.
La gauche doit porter en la
matière de grandes réformes
sources de compétitivité pour
les entreprises et de progrès
social pour les salariés, telles
que la sécurité sociale
professionnelle, qui permettent
à chacun au XXIe siècle de
rebondir en cas de difficultés,
sans passer par la case chômage,
et de progresser tout au long de
sa vie professionnelle.
Et puis, disons-le, la méthode
n’est plus supportable. On
brandit à nouveau la menace de
l’article 49-3. Et alors, nos
députés en désaccord doivent-ils
dire que, dans ce cas, ils
voteraient la censure ? Tout
cela est déraisonnable. Une
France gouvernée sans son
Parlement est mal gouvernée. La
démocratie est atteinte.
Redonnons tout son pouvoir au
Parlement, respectant ainsi la
Constitution, les textes qui en
sortiront n’en seront que
meilleurs et leur légitimité
renforcée.
Les valeurs, l’ambition sociale,
les droits universels de
l’homme, l’équilibre des
pouvoirs, que restera-t-il des
idéaux du socialisme lorsque
l’on aura, jour après jour, sapé
ses principes et ses fondements
? Nous n’ignorons rien des
difficultés du moment, la crise
économique, la montée du
terrorisme, le réchauffement
climatique, les migrations, la
crise agricole… Nous n’ignorons
rien des difficultés de
l’exercice du pouvoir, nous
l’avons montré. De l’idéal au
réel, il y a toujours une
distance que, depuis Jaurès,
nous assumons d’accepter.
Mais prendre le monde tel qu’il
est n’est pas renoncer à le
transformer pour le rapprocher
sans cesse de ce qu’il devrait
être. Encore moins de l’éloigner
de toute idée de justice. C’est
pourtant ce qui est en train de
se passer. Il ne suffit pas de
se revendiquer du réformisme
social pour en mériter le titre.
Il n’y a ni vraie réforme ni
social dans nombre de politiques
qui sont menées depuis deux ans.
On y trouve des propositions
puisées dans le camp d’en face,
qui n’ont rien de moderne, et
qui sont inefficaces. Et,
puisqu’on nous parle du serment
de Versailles, rappelons-nous de
celui du Bourget, mis à mal une
fois de plus, et qui pourtant
fonde la légitimité au nom de
laquelle le pouvoir est exercé
depuis 2012.
Pour sortir de l’impasse, il
faut de vraies réformes,
synonymes de progrès économique,
social, écologique et
démocratique. Elles doivent être
porteuses d’émancipation pour
chacun et de vivre-ensemble pour
tous. C’est ce chemin qu’il faut
retrouver ! Celui de la gauche
tout simplement !
Les signataires de ce
texte sont : Claude
Alphandéry (résistant,
économiste engagé dans
l’insertion), Martine Aubry
(maire de Lille, PS), Daniel
Cohn-Bendit (ancien député
européen écologiste), Daniel
Cohen (économiste, membre du
conseil de surveillance du «
Monde »), Laurence Dumont
(première vice-présidente de
l’Assemblée nationale, députée
du Calvados, PS), Yann Galut
(député du Cher, PS), Jean-Marc
Germain (député des
Hauts-de-Seine, PS), Annie
Guillemot (sénatrice du Rhône,
PS),Benoît Hamon (député des
Yvelines, PS), Yannick Jadot
(député européen, EELV), Bruno
Julliard (premier adjoint à la
maire de Paris, PS), Axel Kahn
(généticien, essayiste),
Chaynesse Khirouni (députée de
Meurthe-et-Moselle, PS),
François Lamy (député de
l’Essonne, PS), Gilles Pargneaux
(député européen, PS), Christian
Paul (député de la Nièvre, PS),
Laura Slimani (présidente des
Jeunes socialistes européens) et
Michel Wieviorka (sociologue).