Opinion
Coup de froid entre l'Egypte et la
France
Hedy Belhassine
Photo:
D.R.
Mercredi 26 mars 2014
L'origine de la crise diplomatique qui
menace les relations entre la France et
l'Egypte n'est pas la condamnation à
mort de 529 frères, c'est une histoire
de cornecul authentiquement
abracadabrantesque qui fait diversion.
Par une sombre journée de novembre, un
honorable citoyen égyptien en balade à
Paris pénétra dans la cour du Collège de
France.
Pour quelle raison ? Nul ne le sait.
Mais on suppose que l'érudit venait
entendre une leçon sur Thoutmotsis III
par l'éminent professeur Grimal,
titulaire de la chaire de civilisation
pharaonique.
Toujours est-il que soulagé de son envie
pressante, il s'attarda dans le jardin
devant une statue représentant un jeune
homme pensif : menton sur poing, coude
sur genoux, pied en appui posé sur une
énorme tête de....pharaon !
On imagine l'émoi du visiteur.
Qui a osé représenter Râ le Dieu des
dieux sous la semelle d'un quidam ?
Jamais depuis la glorieuse épopée
millénaire de l'Egypte un pharaon
n'avait été traité comme un vulgaire
gibier ! L'Egyptien en frissonna
d'indignation. Il lui vint des envies
furieuses de marteaux piqueurs. Il se
rêva en salafiste vengeur étreignant le
marbre outrageur d'une ceinture de TNT.
En s'approchant d'avantage, il découvrit
avec encore plus d'effroi le nom de
l'ignoble chasseur de trophée :
Champollion ! Champollion le père de
l'Egyptologie le déchiffreur des
hiéroglyphes, celui qui proclamait :
« je suis tout à l'Egypte, elle est tout
pour moi » ; Champollion « l'hypocrite »
statufié pour l'éternité.
Bien vite, le promeneur arabe se
ressaisit. C'est le sculpteur le
coupable de la posture coloniale et
raciste du grand homme, et non pas son
modèle.
Dans un coin, il décrypta le nom de
l'ignominieux artiste : B-a-r-t-h-o-l-
d- i.
Quoi ?
Le grand Frédéric Auguste, Bartholdi ?
L'ami de Ferdinand de Lesseps, celui qui
proposa sans succès à Ismaïl Pascha
d'édifier à l'entrée du canal de Suez sa
monumentale statue avant d'aller la
vendre aux nouveaux riches de New York ?
Le Bartholdi de « la Liberté éclairant
le monde » - tout s'éclaire maintenant –
qui pour se venger du kédive sculpta
Champollion en piétineur de pharaon !
Bartholdi et Champollion, une
association de malfaisants protégés par
le Collège de France, le plus glorieux
et le plus savant des propagateurs de
savoir depuis 1530. Quel scandale !
Il convenait de dénoncer le complot de
l'Histoire et de sonner sans tarder le
tocsin du haut des pyramides !
Les images du portable Facebookées ont
immédiatement soulevé l'indignation du
peuple au plus profond de lui même.
L'Egyptien est une victime de naissance.
C'est un endurci capable de subir sans
broncher tous les outrages : la faim, le
soleil, les sauterelles, l'ignorance, la
maladie, les coups de bâtons,
l'injustice... Pourtant, dès qu'on
touche à ses icônes : Oum Kalthoum,
Nasser, Taha Hussein, Abdelhalim Hafez,
Mohamad Abdel Wahhab, Cheikh Imam, Ahmad
Fouad Najm, Samia Gamal et j'en passe...
il entre en fureur. Pire encore, qu'on
souille la mémoire d'un seul poil de ses
Râ ! Alors là, il est prêt à faire
déborder le Nil !...
C'est pourquoi, avant que la révolte ne
gagne la place Tahrir, le Maréchal
Sissi, soupçonneux de quelques complots
fratricides, a ordonné une enquête
approfondie sur la personnalité des sus-
nommés Champollion, Collège et
Bartholdi. Quelques jours plus tard, à
la vue du rapport accablant des
moukhabarat, il a téléphoné à l'Elysée
et par le truchement d'un traducteur
stagiaire il a déclamé son indignation.
En tentant d'apaiser le courroux du
Généralissime à neuf étoiles, le
Président Hollande se demandait comment
il allait intervenir dans cette histoire
sans queue ni tête.
Il crut comprendre qu'elle concernait un
champion de France et une célèbre
cantatrice surpris en plein ébat
scabreux dans le sanctuaire d'un
pharaon.
Heureusement, les services français
parvinrent à décrypter le message
involontairement brouillé et l'affaire
fut transmise pour action aux ministères
des affaires étrangères de la culture.
Une commission mixte franco-égyptienne
siégea sans désemparer.
Le Collège de France se montra
intraitable. La statue ne sera pas
extradée de la cour du vénérable
établissement. Aux coups de burins
salvateurs suggérés, il opposa son véto.
A la bâche façon abaya sous prétexte de
rénovation, dito. Nul ne touchera à
l'intégrité du couple
Champollion-Bartholdi.
Face aux intransigeances savantes,
l'énarchie s'inclina. Alors on
s'achemina vers une transaction
compensatoire assortie de quelques
bakchichs d'usage.
Pour équilibrer l'offense, l'Egypte
commanderait au grand artiste Abdel Foul
une sculpture représentant Ramsès II les
fesses posées sur la tête de Napoléon.
L'oeuvre magistrale serait exposée à
l'entrée du nouveau "Collège d'Egypte"
au Caire. Financé par l'Agence Française
de Développement, l'ensemble pourrait
être inauguré par son Directeur Général
Monsieur Dov Zerah en compagnie de
l'aide de camp du Maréchal.
Et l'amitié intéressée franco-egyptienne
sera préservée !...
Le lecteur
soucieux de vérité appréciera cette
diversion à l'actualité saignante en
suivant le lien de TV5 :
http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/egypte-2013/p-24595-La-statue-parisienne-de-Champollion-indigne-l-Egypte.htm
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