Opinion
L'affaire Cokini
Hedy Belhassine
Dimanche 23 février 2014
Ami journaliste,
bonjour,
Je suis l'auteur de
deux billets en lecture sur Mediapart,
Espricorsaire, HyB...au sujet d'Eric Cokini,
retenu en otage à Moscou et menacé
d'extradition vers l'Ouzbékistan.
Ancien directeur
exportation de grands groupes français
dans le domaine des infrastructures, je
connais l'Ouzbékistan.
Plusieurs singularités dans l'aventure
dramatique de Cokini:
1. La destination
Ouzbékistan est l'une des plus
complexes. Aucun exportateur de s'y
risque seul. Tous font appel à des
poissons pilotes spécialistes du terrain
qui parlent la langue, connaissent la
culture et les usages, décryptent la
législation ubuesque et la bureaucratie
post soviétique. Les grands groupes
français sont aidés par des puissantes
organisations comme la CIFAL, ou des
cabinets de lobbying comprenant des
hommes politiques influents.
Eric Cokini était l'homme des PME
françaises, des entreprises sans grade
ni notoriété mais qui font l'essentiel
des performances de notre commerce
extérieur. Son travail sur le terrain
depuis 1994 a été remarquable, je l'ai
qualifié de "VRP du made in France" ou
"d'exportateurs aux pieds nus".
2. L'Ouzbékistan
est une dictature féroce. Il suffit de
consulter les rapports des organisations
de droits de l'homme pour être assuré
que Cokini sera torturé si jamais
ii y est extradé pour motif "économique
et fiscal".
Actuellement, le pays traverse une crise
politique. Le dictateur Karimov, vieux
et malade, sa fille ainée et quelques
généraux se disputent la succession. Les
enjeux internationaux sont importants
car l'Ouzbékistan produit du coton, de
l'or mais surtout est frontalier avec
l'Afghanistan.
3. Les relations
avec la France sont mauvaises car une
succession de contrariétés commerciales
impliquant des grands groupes français
et des sociétés d'intelligence
économique parisiennes a entrainé une
sorte de guerre froide entre Paris et
Tachkent. Eric Cokini n'est nullement
impliqué dans cette bataille de
multimillionnaires. Il est l'otage, le
lampion, le lampiste…
4. La posture du
gouvernement français est ahurissante,
elle dénote une succession d'erreurs et
d'omissions dans la chaine de réaction
diplomatique.
Le commerce extérieur est une priorité
vitale de l'économie. Pas moins de
quatre ministres sont mobilisés pour
vendre français.
Ils gargarisent l'opinion de concepts
mobilisateurs "diplomatie d'entreprise"
"patriotisme économique" "label
France"…C'est bien. Mais dans la
réalité, les milliers d'exportateurs VRP
qui balisent le terrain n'ont aucune
protection. L'affaire Cokini
est contreproductive, elle est un appel
aux exportateurs en herbe à rester chez
eux.
Une directive vielle de plus de trente
ans continue d'interdire à nos
diplomates de se mêler des affaires de
français mis en cause judiciairement. Et
ce, y compris dans les pays de
non-droit.
Envers Cokini, le pouvoir français s'est
montré bureaucratique alors qu'il
pouvait par une action discrète de
l'ambassadeur de France le faire libérer
et exfiltrer dans les heures qui
suivaient son interpellation à
l'aéroport de Moscou.
Paris est resté frileux. Pire, il a
laissé tomber un homme qu'il savait être
sans protection d'entreprise puissante.
C'est sans doute pour cela que deux
anciens ambassadeurs de France en Asie
Centrale, indigné par la passivité et
l'indifférence de leurs collègues
alertés, ont pris l'initiative inédite
d'écrire une supplique à M Orlov,
l'ambassadeur de Russie en France.
Merci d'attirer
l'attention de l'opinion et/ou de de
faire circuler parmi les confères.
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