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France-Irak
Actualité
Livre: Histoire des services secrets
algériens :
du MALG au DR
Gilles Munier
Samedi 11 juin 2016
Par Gilles Munier (préface du livre
de Lyès Laribi, parue sous le titre :
L’Algérie enchaînée – Ed. Erick Bonnier
- Encre d’Orient – 2016)*
Lyès Laribi, auteur
de ce livre, n’a pas froid aux yeux car
il sait ce qu’il en coûte de dénoncer le
système policier qui tient le peuple
algérien en coupe réglée – pour le
meilleur et surtout le pire -
depuis l’indépendance du pays.
Arrêté, humilié,
torturé, parce qu’animateur d’un
syndicat étudiant indépendant réclamant
plus de démocratie, Lyès Laribi n’a eu
de cesse - depuis sa libération et
son départ avisé pour l’exil - de
témoigner de ce qu’il a vu et subi –
avec ses compagnons de misère -
dans les prisons de la région d’Alger et
dans un camp de concentration du désert
du Sahara.
Cet ouvrage, écrit
dans le français parlé par les algérois,
s’adresse d’abord au peuple algérien,
victime – comme il l’a été –
d’une machine répressive devenue démente
entre les mains de militaires dépravés.
Il s’attaque cette fois au saint des
saints du régime : son service de
renseignement et de répression, son
faiseur de rois, connu sous différents
acronymes depuis sa fondation pendant la
guerre d’Algérie : MALG, SM, DRS, et
récemment DSS.
Autant le dire tout
de suite, l’Histoire des services
secrets algériens est un bâton de
dynamite jeté sur la camarilla de
généraux prédateurs, d’hommes politiques
corrompus et d’affairistes véreux qui
dirigent actuellement le pays et qui
sont prêts à tout – vraiment à tout
- pour garder le pouvoir.
Infiltrations
Au départ était le
MALG - créé par Abdelhafid Boussouf
–, colonne vertébrale du Front
de Libération National (FLN). Il a
approvisionné les combattants en armes
et munitions, écouté les transmissions
de l’armée française, démasqué et
éliminé les agents infiltrés par Roger
Wybot, directeur de la DST, Paul Grossin,
chef du SDECE… ou mieux par le capitaine
Paul Léger qui était parvenu,
clandestinement, à prendre un temps en
main la Zone Autonome d’Alger (ZAA).
Depuis, nombreux sont les Algériens qui
croient à la survie d’un réseau
clandestin - Hizb al França, le
parti de la France - composé de
moudjahidine retournés, de soldats et
officiers algériens déserteurs de
l’armée française (dits
péjorativement DAF), conduisant
leur pays à sa perte. Ils n’ont
peut-être pas tout à fait tort,
l’Algérie étant quelques cinquante
années plus tard, véritablement « au
bord du gouffre », pour reprendre
une expression employée par Kaïd Ahmed,
un temps secrétaire général du Parti du
FLN.
La chasse
aux fondateurs du FLN
En 1962, le MALG,
instrumentalisé par certains de ses
membres, a dépossédé son fondateur, les
dirigeants des maquis et le GPRA –Gouvernement
provisoire de la République algérienne
siégeant à Tunis - de leur
victoire. Le colonel Houari Boumediene,
basé à Oujda, au Maroc, formé par
Boussouf et promu chef de l’armée des
frontières, a fomenté avec succès un
coup de force pour porter au pouvoir
Ahmed Ben Bella, un des chefs
historiques du FLN, « nationaliste
arabe et progressiste » comme on
disait à cette époque.
Une main de
fer
Bâtir une nation
indépendante n’est pas une mince
affaire, surtout lorsque le pays est
miné par les ambitions des uns, les
insatisfactions des autres, les
séquelles léguées par la colonisation,
la guerre et le jeu des puissances
étrangères : celui de la France d’abord,
des Etats-Unis, de l’Egypte de Nasser
ensuite, et accessoirement ceux de
l’URSS. Le 17 juin 1964, le colonel
Boumediene s’est débarrassé de Ben Bella
avant que ce dernier ne l’écarte, puis a
éliminé physiquement, ou neutralisé
politiquent, les pères fondateurs du FLN
qui s’opposaient à lui. Lyès Laribi en
décrit la chasse impitoyable.
Le président
Boumediene, austère et intègre, tenait
son pays d’une main de fer. On peut
regretter qu’à cette époque le
développement du pays – prometteur
- ne se soit pas déroulé dans des
conditions plus démocratiques, notamment
par la reconnaissance de l’amazighité –
la berbérité - comme composante
de l’identité algérienne. Jusqu’au décès
du président Boumediene en décembre
1978, suite à une maladie peut-être
provoquée, la SM (nouvelle
appellation du MALG), dirigée par
Kasdi Merbah – formé dans les écoles
du KGB - veillait à ce que les
intellectuels communistes moscoutaires
ou trotskystes, ou les adeptes du grand
penseur musulman Malek Bennabi, à
l’origine de la renaissance du courant
islamique algérien, ne dépassent pas les
lignes rouges qui leur étaient
assignées.
Cinquième
colonne
Elu président en
1979, parce qu’officier le plus ancien
dans le grade le plus élevé, le colonel
Chadli Bendjedid mesurait-il les
conséquences de sa décision de purger la
direction de la SM de ses «
Malgaches » - nom donné aux anciens
du MALG - pour les remplacer en 1990 par
des DAF aux motivations plus que
douteuses ? Abdelhamid Brahimi, ancien
Premier ministre (1984-1988),
accuse quatorze d’entre-eux d’avoir
déserté sur ordre et d’être une
cinquième colonne au service des
intérêts français. Parmi eux, le
général-major Khaled Nezzar, ancien
sous-officier de l’armée française ayant
rejoint très tardivement les rangs de
l’ALN (Armée de Libération
Nationale) qui dirigera la
répression sanguinaire du soulèvement
populaire provoqué par l’arrêt du
processus électoral qui devait porter
démocratiquement le Front islamique
du Salut (FIS) au pouvoir.
Nommé ministre de la
Défense en 1990 par Chadli qu’il allait
renverser deux ans plus tard, aidé par
un autre DAF - Larbi Belkheir,
ombrageux et puissant directeur de
cabinet présidentiel, puis ministre de
l’Intérieur - Nezzar rebaptisa les
services secrets algériens DRS –
Département du Renseignement et de la
Sécurité - et en donna la direction
au général Mohamed Mediène, dit Toufik.
Une page se tournait : c’en était fini
de « La Mecque des révolutionnaires
», l’Algérie allait entamer sa
descente aux enfers.
Des
révolutionnaires devenus tortionnaires
Après les massacres
de Sétif, de Guelma et des gorges de
Kherrata en 1945 – 45 000 morts
selon les nationalistes algériens -
le général Paul Duval, chargé de la
répression des « indigènes ,» a
déclaré qu’il avait donné à la France
« la paix pour dix ans ».
Général Nezzar…
après la guerre civile que vous avez
provoqué et qui a coûté à l’Algérie
entre 150 000 et 250 000 morts et 18 000
disparus – en grande majorité
victimes des forces gouvernementales
-, combien de temps donnez-vous encore
au régime actuel avant qu’il ne
s’effondre ?
Dans sa « Lettre
à des amis algériens devenus
tortionnaires » parue en 1992
(Albin Michel), l’avocat Jacques
Vergès, défenseur des prisonniers du FLN
pendant la guerre d’Algérie, écrit :
« Il y a trente ans, je dénonçai la
pratique de la torture par la police et
une partie de l’armée française en
Algérie. Si on m’avait dit, alors, que
la torture serait à nouveau utilisée
contre les Algériens et par ceux qui se
prétendent les héritiers de la
révolution, quoique sans illusions sur
les hommes, je ne l’aurais pas cru. Sans
doute ai-je été naïf. Nous le fûmes
tous». Lyes Laribi estime à 500 000
le nombre d’Algériens – catalogués à
tort ou à raison d’islamistes -
passés alors entre les mains des
tortionnaires de la police politique.
(1) Dans les geôles de Nezzar
(Editions Paris-Méditerranée, Paris,
2002)
Nota :
Lyès Laribi évoque
les « petits services » rendus
par les services secrets algériens à
leurs homologues occidentaux -
SDECE, CIA, KGB et même Mossad -
parmi lesquels un coup de pouce donné au
SDECE qui pourchassait Ilich
Ramirez-Sanchez, dit Carlos. Ils
auraient ainsi laissé entrer en Algérie
une équipe de tueurs chargés de
l’assassiner. J’ai écrit à Carlos pour
lui demander s’il s’en souvenait. Du
fond de sa cellule à la Maison centrale
de Poissy, il me l’a confirmé : «
Les agents français étaient piégés en
Algérie. Envoyés pour me tuer, ils
furent arrêtés par la Sureté générale et
expulsés, sous la menace d’être tués la
prochaine fois. En effet, les « services
» algériens nous ont instrumentalisés
pour identifier les agents des services
de l’OTAN, dont des Français ».
Carlos qualifie de « trahison »
le comportement du colonel Ahmed Draïa
qui dirigeait la Sureté générale et qui
avait laissé se dérouler l’opération du
SDECE sans les prévenir. Il ajoute que
les tueurs remis à la Sureté générale
avaient en fait été arrêtés par la
Sécurité Militaire (SM).
Lyès Laribi fait
également état de tentatives de
déstabilisation de l’Algérie ourdies
dans les années 70 que je peux confirmer
pour m’y être intéressé. Permanent de l’Association
de Solidarité Franco-Arabe (ASFA),
présidée par Louis Terrenoire, ancien
ministre du général de Gaulle, j’ai vite
appris - comme on dit « de sources
bien informées » - que le
mystérieux Groupe Charles Martel
qui terrorisait la communauté algérienne
immigrée à coups d’attentats et
d’assassinats émanait de cercles
gravitant autour du SDECE, du président
Valéry Giscard d’Estaing et de Michel
Poniatowski, son ministre de
l’Intérieur, tous deux anciens membres
de l’OAS. Aussi, quand une non moins
mystérieuse organisation appelée
Soldats de l’Opposition Algérienne (SOA)
fit son apparition en revendiquant un
attentat contre le quotidien El
Moudjahid et en menaçant de
soulever la Kabylie, je me doutais que
les ordres et la logistique provenaient
des mêmes milieux. L’épilogue fut des
plus pitoyables : la SM arrêta les «
pieds nickelés » manipulés par le
SDECE qui furent échangés contre on ne
sait quels engagements quelques années
plus tard.
*
Histoire des services secrets algériens
: du MALG au DRS (Erick Bonnier
Editeur – Encre d’Orient – 2016 – 20
euros)
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