Opinion
L’État islamique, l’Écosse et la
politique de mimétisme
Gilad Atzmon

Samedi 20 septembre 2014
Est-ce que les faits
que la moitié des Écossais veulent se
séparer de la Grande-Bretagne et que des
centaines de jeunes Britanniques
musulmans se battent avec des groupes
militants djihadistes en Syrie sont
connectés ?
Bien sûr qu’ils le
sont. Ces deux phénomènes sont
intrinsèquement liés, mais dans le
désert intellectuel dans lequel nous
vivons, personne n’ose aborder le sujet.
Les limites de notre curiosité sont
limitées par notre respect pour le
politiquement correct et les
sensibilités sionistes.
Du point de vue
politique, l’enthousiasme djihadiste
parmi les jeunes musulmans occidentaux
est le résultat de l’émergence du
tribalisme en Occident ; mais l’appel à
l’indépendance écossaise n’est-il pas
entraîné par une envie tribale
similaire ? D’un point de vue à la fois
philosophique et dialectique,
l’identification djihadiste et l’appel
écossais pour l’indépendance sont
l’antithèse de la Nouvelle Gauche et de
sa politique d’identité (ID) corrosive
qui a été répandue parmi nous depuis
trop longtemps.
Au cours des cinq
dernières décennies, nous avons assisté
à une lutte acharnée contre le
nationalisme et les valeurs
patriotiques. Ces attaques sont
généralement associées à la « Nouvelle
Gauche » et ont été conduites en grande
partie par l’intelligentsia juive.
C’était la thèse de l’École de Francfort
sur le caractère autoritaire (Adorno &
Cie) et la prise de position de Wilhelm
Reich sur le « conservatisme des
masses » qui a suggéré qu’il y avait
quelque chose de mal, de dangereux et
même de vil dans les masses et leur
orientation politique « réactionnaire ».
Pendant de nombreuses années, l’icône
cosmopolite contemporaine de gauche Noam
Chomsky a appelé à l’abolition des
frontières et des États (sauf, bien sûr,
l’État juif [1]).
Chomsky est fièrement hostile au
patriotisme et au nationalisme.
Pourtant, nous devons examiner
l’alternative offerte par Chomsky,
l’école de Francfort, la Nouvelle Gauche
et The Guardian – le média qui
diffuse avec enthousiasme ces idées.
Pour des raisons
que j’ai traitées à de nombreuses
reprises, la Nouvelle « Gauche » et
l’intelligentsia juive ont
vigoureusement préconisé le remplacement
du discours patriotique par la politique
identitaire. En pratique, cela avait
pour but de briser la cohésion de la
classe ouvrière et le lien national pour
le remplacer par une multitude de
discours marginaux et sectaires. La
gauche, qui avait prétendu être une voix
universelle pour la classe ouvrière, a
été détournée. Elle est devenue la
porte-parole des groupes identitaires,
la plupart d’entre eux définis par la
biologie (sexe, couleur de peau et
race), les préférences sexuelles (LGBT)
et même la religion (les juifs
seulement).
Le résultat a été
dévastateur. La politique identitaire,
qui était d’abord censée promouvoir la
pensée authentique, a fini par
promouvoir le contraire. Elle a
démantelé l’authenticité et l’a
remplacée par « l’identification ». Au
lieu d’être qui nous sommes vraiment
(John, Sue, Nahida ou Abraham), nous
avons été formés à nous identifier avec
une idéologie de groupe. Nous avons
adopté une nouvelle façon de parler.
Nous adressons nos pensées « en tant
que » : « en tant que juif », « en tant
que femme », « en tant que gay », « en
tant que noir »... au lieu d’exprimer
nos propres sentiments et croyances,
très personnels, authentiques, tels que
nous les vivons dans un mode existentiel
sans intermédiaire.
Dans la pratique,
nous avons remplacé l’authenticité par
le détachement, l’aliénation et le
mimétisme. Au lieu de célébrer l’Être
dans la manière la plus existentielle,
nous avons appris à préméditer comment
le fait d’être « femme », « juif »,
« noir », « gay » devrait être perçu.
Nous avons appris à envisager ce que
notre identification « peut entraîner »
et à réagir selon ce que notre
identification exige. Ce que je décris
ci-dessus est le résultat pratique de
« l’oubli de l’Être », un terme inventé
par le grand philosophe allemand Martin
Heidegger. Mais c’est sur ce point que
la conscience tribale, le nationalisme
et le patriotisme sont renforcés, et
semblent gagner du terrain.
Pour expliquer ce
changement, je voudrais tout d’abord
examiner le cas présenté par le
sionisme, Israël et les politiques
progressistes juives.
Ceux qui assistent
aux réunions progressistes s’accoutument
à la manière dont est prêchée la parole
juive vertueuse. Beaucoup de juifs
lancent leurs discours avec le cliché :
« en tant que juif ». Inutile de
mentionner que, ni moi ni aucun autre
spécialiste de la politique identitaire
juive n’a jamais réussi à comprendre ce
que signifie ce cliché. La raison en est
que cela ne signifie rien.
Pendant des années,
j’ai demandé à beaucoup de juifs de
répondre à cette question et je n’ai pas
reçu de réponse audible. Le « en tant
que Juif » semble exprimer un logos
significatif, mais en pratique, il est
utilisé pour empêcher toute discussion
critique sur la vacuité de la notion
d’identité progressiste juive. En
vérité, il n’existe pas de système de
valeur juif et comme le grand philosophe
israélien Yeshayahu Leibowitz l’a
observé dans les années 1970, une chose
telle que l’éthique juive n’existe pas.
Le juif est tenu de respecter les
Mitsvot et les lois (halakha) au
lieu d’agir selon son jugement éthique.
La conclusion est dévastatrice : « en
tant que Juif » est une expression vide.
Il s’agit d’un mode trompeur utilisé
pour véhiculer l’image d’un patrimoine
éthique juif qui n’existe pas.
C’est là que le
sionisme et Israël interviennent. Ils
offrent au juif l’occasion de se
débarrasser de l’imposture des clichés
et offrent un aperçu de rédemption
authentique. Le sionisme et Israël
disent aux jeunes juifs de la diaspora –
au lieu de parler « en tant que Juif »,
pourquoi ne pas simplement « être un
juif » ? Prenez le premier vol El Al,
venez en Israël, rejoignez l’armée
israélienne, apprenez à conduire un
tank. Lorsque votre transformation sera
accomplie, vous serez en mesure de
« verser votre fureur sur les Goyim » au
nom du peuple juif et conformément à
l’héritage juif (comme le sioniste
interprète ce patrimoine). Que cela nous
plaise ou non, Israël et le sionisme
donnent un sens à la judéité. L’appel
sioniste est très attrayant pour les
jeunes juifs de la Diaspora (américains,
britanniques, français, australiens).
L’armée israélienne est saturée de
soldats isolés qui arrivent en « Terre
promise » juste pour porter l’uniforme
et servir leur peuple.
Israël et le
sionisme apportent une réponse
patriotique authentique à la mode
antipatriotique qui est devenue la voix
de la Nouvelle Gauche.
L’État islamique et
d’autres groupes djihadistes offrent à
la jeunesse musulmane un produit
similaire. Au lieu de parler « en tant
que musulman », un statut qui a très peu
de signification dans une société
consumériste, matérialiste et
multiculturelle, l’État islamique et
d’autres organisations djihadistes
offrent à leurs jeunes disciples
occidentaux la possibilité d’être de
bons musulmans. Au lieu de participer au
jeu inauthentique du « en tant que »,
l’État Islamique appelle ses partisans à
participer à une guerre sainte, la forme
ultime de la vraie plénitude
spirituelle.
Il serait insensé
de marquer les combattants occidentaux
de l’État islamique comme « mauvais
musulmans » ou « méchants
fondamentalistes » tout en fermant les
yeux sur la popularité croissante de la
culture djihadiste au sein des
communautés musulmanes dans la région et
en Occident. Je recommande que l’on
examine la popularité de l’EIIL parmi
les jeunes musulmans à la lumière de la
popularité de la cause sioniste au sein
des communautés juives occidentales. Je
ne vois pas pourquoi un jeune musulman
combattant britannique en Irak est pire
qu’un citoyen britannique juif servant
dans l’armée israélienne et ruinant la
vie des Palestiniens à Gaza et en
Cisjordanie.
La montée du
nationalisme et du tribalisme se répand
dans toute l’Europe et une grande partie
du monde. Cette semaine, la
Grande-Bretagne est au bord de la
rupture. La moitié des Écossais
préfèrent se séparer du Royaume. Ce qui
se passe en Écosse est une répétition du
même motif. Au lieu de souscrire à un
« collectivisme » britannique larmoyant
et insensé, l’Écosse a comme lien
symbolique d’unification beaucoup plus à
offrir à sa population.
Pour résumer, il
semble que la tentative de la Nouvelle
Gauche d’affaiblir l’État-nation par la
promotion de la politique d’identité
s’est retournée contre elle. Cela a
conduit à une forte hausse de
l’orientation tribale et du patriotisme
local. Cette lecture peut aussi nous
aider à comprendre les échecs
historiques de la Nouvelle Gauche et de
ses mentors de l’école de Francfort.
Comme nous le savons, les masses n’ont
jamais rejoint la gauche. La révolution
promise n’a jamais eu lieu non plus. Et
la raison est simple. La classe ouvrière
réelle n’a jamais eu aucune raison de se
personnifier en tant que classe
ouvrière : les ouvriers étaient la
classe ouvrière.
Le plaidoyer de la
Gauche pour le mimétisme ne fût pas sans
bénéfices. Il lui a amené une certaine
popularité parmi la classe moyenne
lecteurs du Guardian et les juifs
progressistes. Mais l’explosion actuelle
du tribalisme suggère que notre société
est en train de changer de direction. La
société pourrait ne plus jamais être la
même, et ce pourrait être un événement
très positif.
Note:
[1]
Dans une contradiction complète de son
opposition à l’État-nation, Chomsky
s’oppose à la solution d’un seul État en
Palestine, il préfère les deux États,
conformément à la « loi
internationale ».
Source :
gilad.co.uk
Traduction E&R
Publié le 4 octobre 2014
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