Ha'aretz
«Israël a déjà dévoré toutes les
carottes,
il ne reste que le bâton, qui s’appelle
BDS»
Gideon Levy
Gideon
Levy
Samedi 13 février 2016
Le plus
célèbre chroniqueur du monde, qui
reflète et façonne toujours l’ambiance à
Washington, vient finalement de réaliser
que la “solution deux États” est morte.
Le club vient de faire une recrue
très en vue. Comme toujours avec les
nouveaux, il se tient encore un peu à
l’écart, hésitant, incertain, peut-être
manquant de courage. Comme tous ceux qui
sentent qu’on l’observe de près, il
hésite encore à se déplacer vers le
centre de cette piste de danse agitée,
mais il est là. Laissez lui un peu de
temps pour s’habituer. Bienvenue au
club, Thomas L. Friedman.
Thomas
Friedman
Le plus fameux des chroniqueurs
politiques dans le monde a écrit la
semaine passer dans le New York Times :
« C’est terminé, les gars, alors
s’il vous plaît arrêtez d’envoyer au
responsable des tribunes libres du New
York Times vos propositions pour une
“solution à deux États” entre
Israël et les Palestiniens » (“The
Many Mideast Solutions” – 10 février
2016).
Avec cette lenteur caractéristique ce
ceux qui essaient de se positionner dans
un centre imaginaire, Friedman est
arrivé à la conclusion que le processus
de paix est mort, que le prochain
Président des États-Unis “devra
traiter avec un Israël
déterminé à occuper indéfiniment tout le
territoire compris entre le Jourdain et
la Méditerranée, y compris celui où 2,5
millions de Palestiniens de Cisjordanie
vivent” et que Israël n’est plus
celui que les grands-pères des candidats
ont connu.
Comme d’habitude avec les gens
prudents et symétriques comme les
libéraux du centre, Friedman se hâte de
rejeter la faute un peu sur le monde
entier – les colons, Sheldon Adelson,
Benjamin Netanyahou, le Hamas et Mahmoud
Abbas. Il est regrettable qu’il fasse de
nouveau cela. Il y a un grand
responsable à la situation actuelle, le
seul dont c’était la responsabilité de
mettre fin à l’occupation, et qui n’a
jamais bougé le petit doigt pour le
faire.
Israël n’a jamais eu l’intention, pas
même un moment, de réaliser une
“solution à deux États”. Israël est à la
fois la partie la plus puissante et
l’occupant, et par conséquent les
reproches ne peuvent être divisés entre
lui et la partie faible, celle des
occupés. On ne peut davantage s’en tirer
en blâmant Netanyahou, les colons et
Adelson. Est-ce que tous les autres,
de Shimon Peres à Isaac Herzog en
passant par Tzipi Livni et Ehud Barak,
sont un peu moins coupables ? Est-ce que
la plupart des Israéliens, qui ont
permis par leur indifférence que cette
situation perdure pendant tant d’années,
sont moins coupables ?
L’évolution de Friedman est
hésitante, bien entendu, pas assez
tranchés compte tenu d’une réalité
abrupte. Mais le cœur de son propos est
aussi clair qu’il est possible de l’être
: «Ils ont tous tué la “solution à
deux États”. Que commence l’ère de la
solution à un État».
Friedman n’est qu’un journaliste.
Pourtant, il est impossible d’ignorer ce
moment fondateur, le moment où un de
ceux qui ont toujours reflété l’ambiance
à Washington et l’influencent, rejette
l’idée qui l’a accompagné – et nous avec
lui – pendant des années. Friedman l’a
entendu dans les couloirs. Et s’il ne
l’a pas entendu dans les couloirs on ne
va plus y parler que de ça. Trop peu,
trop tard – mais c’est encourageant. Le
plus long bal masqué, cette “orgie à
deux États”, est arrivée à son terme, du
moins pour autant que Friedman soit
concerné. Si l’Amérique écoute son
commentateur le plus chevronné, alors il
y a de l’espoir.
L’Europe, qui continue à réciter
“deux États” dans un spasme post-mortem
incontrôlé – parce que c’est pratique
pour tout le monde – devra se trouver
son propre Firedman pour émerger de son
sommeil.
Seules l’Amérique et l’Europe peuvent
secouer la beauté endormie – Israël – et
lui révéler la nouvelle réalité, car
Israël ne le fera jamais par ses propres
moyens. Quiconque connaît Israël le
sait.
Qu’est-ce qu’on fait après avoir
enterré le mort ? Friedman n’en est pas
encore à ce stade. Attendons encore un
moment, et peut-être lui aussi
arrivera-t-il à cette conclusion
inévitable que la “solution à un État”
existe depuis près de 50 ans, qu’elle
existe pour continuer et que tout ce qui
reste à faire est de combattre le régime
d’apartheid que cet État a établi sur
une partie de son territoire. “Des
droits égaux pour tous”, tel doit être
le nom du jeu à partir de maintenant –
un homme, une voix, comme dans les
luttes contre d’autres régimes
maléfiques dans l’histoire.
Et comment arrive-t-on à réaliser
cela ? La seule méthode non-violente qui
s’offre à nous, ce sont les sanctions.
Les carottes ont déjà toutes été
dévorées par Israël, seul demeure le
bâton. Il s’appelle BDS en anglais [et
en français aussi – NDLR], ainsi que
Friedman le sait.
Eh oui, cher Tom, ce n’est pas l’État
dont nos grands-parents ont rêvé, loin
de là. Maintenant, il faut le traiter en
conséquence pour essayer de le remettre
dans le droit chemin.
Cet article a été
publié par Haaretz le 13 février
2016
Traduction : Luc Delval
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