Comment je vois le
monde
L'Ukraine : La plaque tectonique
de la recomposition du monde
Chems Eddine Chitour

Chems
Eddine Chitour
Jeudi 13 février 2013
«Nous
sommes les maîtres du monde (...) le
dollar est notre devise et c'est votre
problème»
Vision étasunienne du monde
Nous avons dans une contribution
précédente montré comment à propos de la
révolution orange - dans la plus pure
méthode de manipulation des foules- les
grands de ce monde se font la guerre et
délimitent leur territoire d'influence.
En l'occurrence, le terrain de jeu est
l'Ukraine qui fait l'objet de toutes les
convoitises de l'Empire et de ses
vassaux européens mais aussi de la
Russie qui ne veut pas avoir de danger à
sa frontière occidentale. Même la Chine,
d'une certaine façon, ne veut pas d'une
Ukraine satellisée à l'Occident.
De ce fait, il faut accueillir avec
prudence le battage médiatique de la
place Maidan. Les médias aux ordres
n'arrêtent pas de nous saturer de scoops
sur la détermination des Ukrainiens d'en
finir avec le président Ianoukovitch,
pourtant démocratiquement élu, coupable
à leurs yeux de préférer l'aide russe de
20 milliards de dollars à la «liberté»
qu'offre le partenariat d'association
avec l'Europe pour le compte de
l'Empire.
L'Ukraine: un enjeu
géostratégique planétaire
Pour Jean Geronimo, «En se rendant à
Kiev pour soutenir les opposants, y
compris d'extrême droite, au régime
ukrainien, Catherine Ashton assume un
acte hostile à la Russie qui avait
demandé à l'UE de ne pas intervenir. Ce
soutien des puissances occidentales à la
troublante «révolution» ukrainienne
vise-t-il à faire entrer ce pays dans le
giron de l'UE et de l'Otan, et aussi à
empêcher le retour de la Russie comme
grande puissance en cherchant son
affaiblissement régional? (...) Cette
stratégie «anti-russe» est attestée par
les tentatives régulières de cooptation
des anciennes républiques de l'Urss, au
moyen d'innovations politiquement
orientées telles que le «Partenariat
oriental» (via l'UE) ou le «Partenariat
pour la paix» (via l'Otan) et, plus
récemment, «l'Accord d'association» de
l'UE avec l'Ukraine. Dans ce contexte,
tout rapprochement de l'Ukraine avec
l'UE (via l'Accord d'association) peut
être considéré comme l'étape préalable
et «naturelle» à sa future intégration à
l'Otan, - comme cela a été confirmé par
Washington - véritable gifle et
provocation stratégique à l'égard de la
Russie. (...) Dans cette optique, l'Otan
reste, pour elle, un levier offensif et
injustifié de la vieille lutte contre le
communisme. Incroyable acharnement.» (1)
Jean Geronimo nous rappelle la stratégie
anti-soviétique en citant l'ancien
conseiller du président américain J.
Carter, Z. Brzezinski qui amena la chute
de l'empire soviétique en l'amenant à
s'empêtrer dans le bourbier afghan. Le
plus inquiétant est que l'évolution
ukrainienne s'inscrit dans le
prolongement des «révolutions» libérales
«de couleur» en Géorgie (2003), en
Ukraine (2004) et au Kirghizistan (2005)
encouragées et financées en partie par
l'administration américaine.»(1)
La mécanique de l'ingérence et
la réaction russe
«Cette configuration poursuit-il
explique l'existence de manipulations
occidentales via les ONG et leur soutien
à l'opposition ukrainienne, la
désinformation et le conditionnement de
l'opinion publique, ainsi que
l'ingérence troublante de dirigeants
étrangers, - dont américains et
européens - et, naturellement,
l'accusation de la «main de Moscou
(...).» Pour les dirigeants occidentaux
il s'agit de faire pression sur le
président Ianoukovitch pour l'obliger à
faire le «choix de l'Europe et de la
liberté», selon le slogan redondant de
l'opposition sous influence occidentale
et ainsi, protéger le «bon peuple
ukrainien» d'un éventuel retour de
l'impérialisme russe (...) Face à cette
instrumentalisation politique, la Russie
ne pouvait rester sans réactions.
D'autant plus que l'intégration de
l'Ukraine à l'espace économique européen
transformera ce pays en plateforme de
réexportation des produits occidentaux -
via les firmes multinationales - vers la
Russie, dont l'économie serait ainsi
attaquée.Très vite, V. Poutine a su
trouver une réponse adéquate,
correspondant aux intérêts économiques
de l'Ukraine mais respectant les
intérêts politiques de la Russie,
encline à protéger sa zone d'influence
contre les convoitises de plus en plus
pressantes de l'UE. (...)
Indéniablement, la Russie revient de
loin et, peu à peu, elle rejoue dans la
cour des «grands», pour y défendre une
certaine éthique et, si nécessaire,
s'opposer aux fausses révolutions. La
partie d'échecs américano-russe continue
au coeur de l'Eurasie, en Ukraine.» (1)
Justement et dans le même ordre, conclut
l'auteur, «l'accord avec l'UE exclut
l'adhésion simultanée dans une union
douanière menée par la Russie et
couperait donc l'Ukraine de son
principal partenaire commercial, avec
lequel son industrie et ses voies de
transport sont étroitement connectées.
La suppression des droits de douane sur
les produits européens signifierait
aussi la faillite pour de nombreuses
industries ukrainiennes.(...) Le Fonds
monétaire international (FMI) a déjà
refusé à l'Ukraine un crédit
indispensable parce que le gouvernement
refuse une hausse du prix du gaz de 40%,
ce qui entraînerait inévitablement la
mort de nombreux chômeurs et retraités,
incapables de payer leurs factures de
chauffage.» (1)
L'avènement d'un autre acteur :
la Chine
Ce qui se passe en Ukraine intéresse
aussi la Chine qui se verra concurrencée
comme l'écrit Peter Schwarz: «(...)
L'Accord d'association transformerait le
pays en un vaste atelier pour les
entreprises allemandes et européennes,
qui pourraient produire à des taux de
salaires inférieurs à ceux de la Chine.
Dans le même temps, les ressources
naturelles du pays, son territoire vaste
et fertile et son marché intérieur de 46
millions d'habitants font de l'Ukraine
une cible alléchante pour les
entreprises allemandes et européennes.
Tant les États-Unis que l'UE ont intérêt
à l'affaiblissement de la Russie, qui
est considérée comme une alliée
importante de la Chine. Immédiatement
après son élection en mars, le président
chinois Xi Jinping s'est rendu à Moscou
pour renforcer le «partenariat
stratégique» entre les deux pays. Les
deux pays se sentent menacés sur le plan
économique et stratégique par les
incursions agressives des Etats-Unis et
de leurs alliés en Asie, au Moyen-Orient
et en Afrique.» (2)
La Chine développe également ses liens
économiques avec l'Ukraine dont les
échanges commerciaux avec la Chine
atteignent actuellement environ 5% de
son commerce extérieur. En octobre, le
South China Morning Post a rapporté que
l'entreprise publique chinoise XPCC
avait conclu un accord avec la société
ukrainienne agricole KSG Agro pour avoir
accès à 100.000 hectares de terres
arables pour la production d'aliments
destinés à la Chine. Cette zone doit
être étendue à 3 millions d'hectares, la
taille de la Belgique ou du
Massachusetts. La Chine a déjà accordé
au pays des prêts de 10 milliards de
dollars. L'Ukraine considère ses
relations économiques avec la Chine
comme si importantes que le président
Yanoukovich est parti pour une visite
d'Etat de quatre jours à Pékin, malgré
la crise politique en cours.» (2)
Le camouflet américain à
l'endroit des vassaux européens
L'apparition sur YouTube d'une
conversation interceptée entre
l'assistante du secrétaire d'État
Victoria Nuland et son ambassadeur en
Ukraine a permis de peser à sa juste
mesure le poids de l'Europe vassale vis
à vis de l'Empire américain; la
conversation montre que les États-Unis
ne sont pas intéressés par les slogans
officiels des manifestants de la place
Maidan (le rattachement à l'Union
européenne), mais qu'ils oeuvrent pour
changer le régime, placer un homme à eux
au pouvoir, et répandre les troubles. La
conversation aurait été interceptée
entre le 22 et le 25 janvier 2014.
Victoria Nuland a présenté ses excuses à
l'Union européenne, tout en suggérant
que l'interception aurait pu être le
fait des services secrets russes qu'elle
a accusés d'avoir violé une conversation
privée. Une remarque savoureuse de la
part d'un État qui espionne tout le
monde dans le monde.
Dans cette conversation, lit-on dans une
contribution sur le Réseau Voltaire:
«Elle donne, dans un anglais trivial,
instruction pour répondre à la
proposition faite par le président
Ianoukovytch de laisser l'opposition
constituer un gouvernement. Il faut,
selon elle, placer Arseni Iatseniouk,
maintenir Wladimir Klitschko hors jeu,
et écarter le leader nazi Oleh Tyahnybok
qui devient encombrant. Au passage, on
apprend que l'ancien diplomate
états-unien, Jeffrey Feltman,
aujourd'hui secrétaire général adjoint
des Nations unies, nomme qui il veut à
l'ONU et utilise cette organisation pour
donner un vernis légal aux actions
secrètes des USA. En l'occurrence, il a
pu nommer comme représentant de l'ONU,
le Néerlandais Robert Serry, ancien
responsable des «opérations» de l'Otan.
Nous résumons les paroles de Victoria
Nuland qui décide de la composition du
futur gouvernement ukrainien: «Je pense
Yats, c'est le gars. Il a de
l'expérience économique et de
l'expérience de gouverner. C'est le
gars. Vous savez, ce qu'il a besoin,
c'est que Klitsch et Tyahnybok restent à
l'extérieur. (...) Vous savez, je pense
juste que si Klitchko entre, il va
devoir travailler à ce niveau avec
Iatseniouk, c'est juste que ça ne va pas
marcher... (...) Quand j'ai parlé à Jeff
Feltman ce matin, il avait un nouveau
nom pour le type de l'ONU: Robert Serry.
Je vous ai écrit à ce sujet ce
matin.(...) Il a obtenu aujourd'hui, à
la fois de Serry et de Ban Ki-moon, que
Serry vienne lundi ou mardi. Ce serait
formidable, je pense, ça aiderait à
souder ce projet et d'avoir l'aide de
l'ONU pour le souder et, vous savez
quoi, -Fuck- l'Union européenne.» (3)
Que répond l'Europe à cette
insulte?
Dans une contribution où on sent une
rage continue, le journal Le Monde
décrypte les cinq leçons à retenir de
l'insulte de Victoria Nuland: «Selon
l'agence Reuters citant une source
diplomatique, l'enregistrement a été
diffusé sur YouTube jeudi (...) Message
subliminal: les dirigeants occidentaux
vont et viennent en Ukraine pour
soutenir le mouvement de Maïdan, mais
les services secrets russes sont chez
eux. Les Américains sont pourtant bien
placés pour le savoir, après la fuite
géante des télégrammes diplomatiques de
WikiLeaks en 2010 et l'affaire Snowden
en 2013. C'est l'arroseur arrosé.» Les
Etats-Unis traitent l'affaire
ukrainienne comme une crise de la guerre
froide: l'Occident contre la Russie.
(...) »(4)
La familiarité avec laquelle la
vice-secrétaire d'Etat évoque les
dirigeants de l'opposition ukrainienne
et les postes qu'elle leur attribue dans
un éventuel gouvernement traduit une
étonnante maladresse, voire arrogance,
dans la méthode, compte tenu des échecs
américains à installer des équipes au
pouvoir dans des pays étrangers depuis
dix ans. Elle-même et l'ambassadeur
Pyatt parlent des protagonistes de la
crise ukrainienne comme si leur sort
dépendait d'eux, ce qui n'est pas le
cas. Inévitablement, le titre de la
bande audio sur YouTube, en russe, est:
«Les marionnettes de Maïdan.» «L'affaire
lit-on dans le journal Le Monde, enfonce
un coin supplémentaire dans les
relations entre l'Allemagne et les
Etats-Unis, de plus en plus froides.
Angela Merkel n'a toujours pas digéré
d'avoir appris par Edward Snowden que la
NSA écoutait son téléphone. La
chancelière a été la première à réagir,
en faisant savoir qu'elle considérait
les propos tenus par Mme Nuland comme
«absolument inacceptables», suivie
samedi par Herman Von Rompuy.» (4)
En gros, les 27 pays européens ont
décidé de ne rien décider! Après
l'exaspération de Merkel, rien. Le
silence de cathédrale de la France
s'explique par la volonté française de
faire en sorte que la visite de François
Hollande aux Etats-Unis ne soit pas
réduite à sa plus simple expression.
«Les Vingt-Huit ont décidé de ne pas
créer d'incident avec Washington après
les récentes et déjà célèbres
déclarations («Fuck Europe») de Victoria
Nuland, la secrétaire d'Etat adjointe
chargée de l'Europe et de l'Asie. Les
ministres des Affaires étrangères ont
évité, lundi 10 février, de répondre
directement à cette responsable, qui
s'entretenait, la semaine dernière, avec
l'ambassadeur des Etats-Unis en Ukraine.
«Ce ne sont pas ces deux mots qui nous
gênent mais l'idée que l'Union
européenne n'est capable de rien et
devrait laisser tous les pouvoirs aux
Etats-Unis et à la Russie pour tracer
une voie à ce pays», confiait toutefois,
lundi, l'un de ces ministres.(5)
Plus officiellement, les Vingt-Huit ont
simplement exprimé leur «préoccupation»
face à la crise politique en Ukraine et
souligné, au détour d'une phrase
sibylline - «l'UE est prête à une
réponse rapide en cas de détérioration
rapide sur le terrain» - l'idée de
possibles sanctions contre le régime.
(...) L'idée d'une éventuelle médiation
des Nations unies pour résoudre le
conflit entre le président Victor
Ianoukovitch et l'opposition est un
autre sujet de division entre Washington
et Bruxelles. (...) Les Européens
proposent toujours à Kiev la signature
d'un accord d'association et, au détour
d'une autre phrase sibylline - demandée
par la Pologne - tracent pour Kiev la
«perspective européenne» réclamée par
certains, dont le commissaire à
l'élargissement Stefan Füle: «Le Conseil
exprime sa conviction que cet accord ne
constitue par le but final des relations
UE-Ukraine.» (5)
L'Ukraine compte 46 millions d'habitants
dont la grande majorité est avec le
gouvernement. Les soi-disant 70.000
manifestants qui sont contre, sont
sponsorisés, soutenus, alimentés, payés
par l'Europe qui s'ingère en jouant à la
fois les boutefeux et les bons offices
avec une stratégie différente des
Etats-Unis qui veulent composer un
gouvernement ukrainien, eux qui ont
échoué en Afghanistan, en Irak, en
Libye, et en Syrie, qu'ils ont
déstabilisés. La guerre froide est
terminée. Au jeu d'échecs les russes
restent champions et les Chinois
veillent.
Camille Loty Mallebranche résume en
quelques lignes ce qui se joue en
Ukraine: «Les révolutions ne se font ni
par procuration ni par corruption de
quelques voyous à la solde de puissances
étrangères, prédatrices d'État, jouant
d'ostentation de populaces excitées, de
populaces téléguidées par une opposition
affairiste à la solde d'hégémonistes.
Les révolutions authentiques ne se
peuvent qu'endogènes, enracinées dans
une vision nouvelle, révolutionnaire,
dûment ancrée, assumée par les peuples
conscientisés et motivés qu'orientent de
vrais leaders. Ainsi, la stratégie du
chahut que mène un Occident lui-même en
crise de tout, surtout de démocratie
face à la prépondérance russe, tant
économique que militaire, sur l'Ukraine,
pays qui a partagé l'histoire de la
Russie, ne peut, à terme, qu'échouer vu
sa contre-nature, son profil de
politique des bas-fonds et sans ancrage
social. (...) Il n'y a pas de rêve
ukrainien possible pour l'Occident, ce
ne peut être que gigotements de fous
d'hégémonie, que bellicisme inavoué, que
grivoiserie cauchemardesque, que
terrorisme politique déstabilisateur,
que pitoyable hantise hitlérophile de
domination de l'écoumène.»(6)
1.Jean Géronimo,
http://www.mondialisation.ca/lukraine-un-enjeu-geostrategique-au-coeur-de-la-guerre-tiede/5368227
2.Peter Schwarz
http://www.mondialisation.ca/la-lutte-pour-lukraine/5360890
3.http://www.voltairenet.org/auteur125416.html?lang=fr
4.
http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/02/09/les-cinq-lecons-du-fuck-the-eu-d-une-diplomate-americaine_4363017_3214.html
5.J.P. Stroobants: les Vingt-Huit ne
répondront pas à Victoria Nuland Le
Monde 11.02.2014
6.
http://www.oulala.info/2014/02/ukraine-ingerence-obsessive-geostrategie-contre-nature-de-loccident/
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechinique enp-edu.dz
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