BDS
La campagne BDS est-elle un échec
?
Ben White
Dimanche 4 novembre 2018
En mars dernier, Natan Sharansky,
le président sortant de l’Agence juive,
déclarait que la campagne BDS
(Boycott, Désinvestissement et
Sanctions) a été “presque totalement
vaincue”. La déclaration de
Sharansky intervenait deux ans après que
le Premier ministre israélien, Benjamin
Netanyahou, ait annoncé que BDS avait
été «battu».
Les annonces prématurées sur “l’échec” de
la campagne BDS ne sont pas
l’apanage des responsables israéliens.
Dans
un récent article sur la tentative
d’expulsion de l’étudiante américaine
Lara Alqasem par les
autorités israéliennes, Anshel
Pfeffer, membre de la rédaction
du quotidien [de centre-gauche]
Haaretz – qui écrit également
pour The Economist – a
décrit le traitement de l’affaire par le
ministre des Affaires stratégiques,
Gilad Erdan, comme un
exceptionnel stimulant pour la campagne
BDS.
“Et quelle
victoire pour le mouvement BDS
et sa réalité virtuelle”, écrivait
Pfeffer, pour qui “en 11
ans [sic] n’a pas réussi à
obtenir quoi que ce soit d’autre que
d’intimider quelques artistes pour
qu’ils ne se produisent pas en Israël et
d’obtenir de conseils locaux – qui n’ont
jamais fait aucun investissement en
Israël – d’en désinvestir”.
Le rejet d’une
campagne mondiale de la société civile
lancée il y a 13 ans, sur base d’une
aussi piètre information, est assez
typique de la prose de Pfeffer,
qui répète sans cesse le même message :
le BDS est un échec et
inefficace. Il n’est bien sûr qu’un
journaliste, mais ce qu’il exprime
représente une vision plus large de BDS
qui mérite une réponse.
La principale
preuve avancée du prétendu échec de
BDS est la robustesse de
l’économie israélienne. Pfeffer,
par exemple, a cité des
études récemment publiées qui
prétendaient démontrer que les dommages
économiques causés à l’économie
israélienne par la campagne BDS
depuis 2010 sont «totalement
négligeables».
Mais de telles
données économiques correspondent-elles
à “l’échec” du mouvement
BDS ? En fait, l’argument de
Pfeffer va encore plus
loin : la campagne a-t-elle eu si peu de
résultats ?
Des décennies
d’impunité
La campagne
BDS
a été lancée en 2005
par des dizaines d’organisations
palestiniennes, après des décennies
d’impunité pour les violations
systématiques du droit international et
des droits de l’homme commises par
Israël – violations commises dans le
contexte d’une forme d’apartheid, de
colonialisme et d’occupation.
La campagne visait
à obtenir une réponse de solidarité de
la part de la société civile mondiale et
l’isolement d’Israël, jusqu’à ce que
trois revendications précises soient
concrétisées :
-
la fin de l’occupation,
-
l’égalité pour les citoyens
palestiniens d’Israël et
-
le droit de retour des réfugiés
palestiniens 1.
La campagne
BDS est donc clairement «une
stratégie de résistance à long terme»,
ainsi que l’explique Cherine
Hussein, spécialiste des
relations internationales,
dans son livre «The Re-Emergence
of the Single State Solution in
Palestine/Israel» 2 paru
en 2015. Il s’ensuit qu’une évaluation
crédible de ses réalisations à ce jour
devrait être fondée sur la mesure dans
laquelle la campagne a contribué à la
réalisation de ces exigences à long
terme.
Je dirais que, à
court et à moyen terme, la campagne
BDS vise trois objectifs :
-
un changement de discours,
-
la promotion de la responsabilité et
-
l’isolement croissant d’Israël.
Depuis 2005, des
progrès ont clairement été réalisés sur
les trois fronts.
En ce qui concerne
un changement de discours, BDS
a eu un impact significatif, y compris
dans des contextes où BDS
n’est pas adopté ou fait même face à une
opposition explicite. En 2015,
réfléchissant sur les progrès du
mouvement, le co-fondateur, Omar
Barghouti, a identifié le “rôle
critique” de BDS dans «l’évolution
du discours sur la question de la
Palestine après plus de deux décennies
d’un “processus de paix”
frauduleux qui a sapé les droits des
Palestiniens et a été utilisé comme une
feuille de vigne pour l’expansion et
l’enracinement du régime israélien
d’occupation, de colonialisme de
peuplement et d’apartheid».
Noura Erakat,
juriste et militante des droits humains
étatsunienne, a déclaré qu’après une
décennie de militantisme en solidarité
avec la Palestine aux États-Unis, milieu
dans laquel le lancement de l’appel
BDS avait provoqué une
division, elle a noté qu’en général, la
plupart des campagnes de boycott et de
désinvestissement ne peuvent démontrer
l’impact de leur travail. en unités
mesurables. Mais, a-t-elle poursuivi, “la
vertu du BDS réside dans sa
capacité à défier l’autorité morale
d’Israël, l’arme la plus convoitée de
son arsenal”.
Le BDS
a également pour objectif de promouvoir
le principe et la pratique de la
responsabilité, un défi direct à
l’impunité dont jouissent les autorités
israéliennes depuis des décennies.
“Lorsque nous
demandons aux institutions et aux
organisations de se désengager des
entreprises impliquées dans les crimes
israéliens, nous ne demandons rien
d’héroïque”, a déclaré
Omar Barghouti en 2015.
“Nous demandons simplement à ces
organisations de s’acquitter d’une
obligation morale fondamentale. C’est la
logique éthique et convaincante de
BDS, et c’est un facteur
essentiel de la croissance
impressionnante du mouvement”.
Des
développements positifs
Dans une analyse
approfondie du mouvement BDS
pour
The Guardian publiée en août,
Nathan Thrall du
International Crisis Group, a
expliqué comment les organisations
internationales “ont été influencées
par le mouvement BDS pour passer
progressivement de condamnations
inefficaces à des appels à des mesures
concrètes plus énergiques”.
Thrall
a souligné l’appel lancé par
Amnesty International en 2017 «pour
une interdiction mondiale des produits
des colonies peuplement et un embargo
sur les armes imposé à Israël et aux
groupes armés palestiniens», tandis
que Human Rights Watch a «appelé
les investisseurs institutionnels dans
les banques israéliennes à veiller à ce
qu’elles ne contribuent pas à favoriser
des colonies et autres violations du
droit international».
Enfin, s’agissant
de l’isolement progressif d’Israël dans
différents domaines – économique,
culturel, universitaire, etc –, la
campagne BDS a également eu
un
impact manifeste, chaque année
apportant des développements positifs
(voir par exemple: ces résumés pour
2017 et
2016).
“Comparée à la
campagne qui a duré plusieurs décennies
en Afrique du Sud, la progression [de
BDS] a été plutôt
rapide”, a conclu Thrall,
même compte tenu de l’absence jusqu’à
présent d’un “impact économique
majeur sur Israël”.
«Les
investisseurs institutionnels tels que
le fonds de pension néerlandais PGGM et
l’Église méthodiste unie se sont retirés
des banques israéliennes», écrit-il.
«L’Église presbytérienne, l’Église
unie du Christ et le plus grand fonds de
pension privé de Norvège se sont retirés
des sociétés qui tiraient profit de
l’occupation israélienne. Et de grandes
entreprises telles que Veolia,
Orange, G4S et
CRH se sont totalement ou
majoritairement retirées d’Israël à la
suite de campagnes de boycott”.
Thrall
a également souligné la manière dont “des
dizaines de parlements des étudiants et
de nombreuses associations
universitaires ont approuvé des
initiatives de boycott et de
désinvestissement. Et de nombreux
musiciens et artistes ont annulé des
spectacles ou se sont engagés à
boycotter le pays” 3.
D’innombrables victoires
Ces innombrables
victoires et soutiens témoignent, en
partie, du bon sens stratégique des
organisateurs palestiniens du mouvement
BDS, qui encouragent et
promeuvent des campagnes «adaptées
au contexte».
Dans son livre
susmentionné, Hussein a
souligné le rôle important du fait que BDS se
décrit lui-même comme «un simple
programme d’action dans le cadre duquel
les partisans européens et
nord-américains de la libération
palestinienne pourraient canaliser leur
énergie et leurs activités en solidarité
avec le peuple palestinien».
Tous les opposants
de BDS ne sont pas aussi
obstinément mal informés que
Pfeffer.
En 2010, le groupe
de réflexion israélien, l’Institut
Reut, a reconnu le pouvoir du
BDS de susciter «des
critiques de plus en plus sévères
[d’Israël] dans le monde entier,
entraînant une érosion de son image
internationale et un prix stratégique
tangible». Cinq ans plus tard, les «avancées
notables… faites contre Israël» en
2010 s’étaient transformées en un
mouvement BDS «prenant
de l’ampleur dans le monde entier».
En 2017, en outre,
un
rapport conjoint de l’Institut
Reut et de la Anti-Defamation
League 4 reconnaissait
qu’aux boycotts explicites s’ajoute “un
dommage collatéral plus répandu
[qui] se présente sous la forme d’un
boycott silencieux – des décisions non
déclarées d’organisations, d’entreprises
et de particuliers, des entités motivées
par une idéologie ou simplement par le
désir d’éviter des problèmes et des
critiques inutiles”.
Compte tenu de la
quantité abondante de preuves concernant
à la fois les objectifs de la campagne
BDS et sa croissance régulière, comment
peut-on en conclure que le mouvement est
“un échec” ?
ISRAËL
BÉNÉFICIE DE MOINS EN MOINS
DU SOUTIEN DE L’OPINION PUBLIQUE AUX USA
SURTOUT PARMI LES JEUNES ET LES FEMMESUne nouvelle
enquête d’opinion réalisée en octobre
dernier,
dont Haaretz a rendu compte, montre
que le soutien à Israël s’effondre
littéralement parmi les “libéraux”
5, les jeunes adultes et les
femmes. D’après des sondages récents de
Economist-YouGov, les
opinions généralement positives
vis-à-vis d’Israël sont en train de
s’éroder progressivement mais de
manière constante.
Par comparaison
avec une précédente enquête, au cours de
laquelle les questions posées étaient
identiques, le nombre de citoyens des
États-Unis disposés à exprimer un “fort
soutien” à Israël se réduit.
En 2015, 47% des personnes interrogées
considéraient Israël comme “un allié”
des États-Unis. En 2017, ils n’étaient
plus que 41%, et lors de la dernière
enquête ce chiffre est tombé à 37%.
Le clivage entre
les électeurs du Parti Républicain et
ceux du Parti Démocrate se creuse : le
soutien à Israël se renforce chez les
Républicains (ce qui n’est guère
étonnant vu l’attitude pro-sioniste
forcenée de l’administration Trump),
alors que les Démocrates et les citoyens
“de gauche” prennent au contraire de
plus en plus leurs distances.
Mais le clivage le
plus surprenant se manifeste entre
femmes et hommes : 46% des hommes
considèrent Israël comme “un allié”
mais cette proportion n’atteint que 29%
parmi les femmes. Quant à ceux des
citoyens étatsuniens qui voient Israël
comme un pays “amical” ils ne
sont, selon cette étude, que 25%, femmes
et hommes confondus.
25% c’est aussi la
proportion de ceux qui considèrent
Israël comme “un allié” parmi les
personnes interrogées ayant entre 18 et
29 ans. La proportion atteint en
revanche 55% parmi les plus de 65 ans.
Autrement dit, le soutien à Israël est
principalement une affaire de séniors,
et la génération montante n’a pas du
tout le même avis. C’est clairement une
menace pour les lobbies sionistes, qui
ne savent comment arrêter la progression
de la campagne BDS sur les
campus universitaires, où se forment les
futures élites politiques et
économiques.
Les résultats sont
globalement assez similaires à ceux des
sondages précédents, mais ils indiquent
une nette diminution du soutien à Israël
parmi les groupes dont le soutien était
plus faible depuis l’origine. Israël
n’est “un allié” qu’aux yeux de
37% des citoyens étatsuniens, selon
cette étude d’opinion, et ils sont même
15% à considérer qu’il s’agit soit d’un
pays “inamical” soit carrément
d’un “pays ennemi” , tandis que
23% “ne sont pas sûrs” !
Libre aux sionistes
de considérer que BDS ne
joue aucun rôle dans cette évolution de
l’opinion aux États-Unis, c’est leur
problème ! Mais alors qu’ils expliquent
pourquoi le gouvernement israélien
dépense tant d’énergie et d’argent pour
tenter de contrer la campagne BDS
de par le monde.
L.D.
Premièrement, il
s’agit d’un mouvement populaire et, en
tant que tel, peut être plus facilement
négligé par ceux qui “ne voient”
que ce qui se passe aux niveaux des
milieux dirigeants, de la prise de
décision politique et de la diplomatie
de l’élite. Deuxièmement, la croissance
de BDS en tant que
phénomène véritablement mondial échappe
également aux analystes occidentaux (ou
étatsuniens ou encore britanniques) peu
ouverts sur le reste du monde.
Mais BDS
est fondamentalement un appel à la
solidarité lancé par les Palestiniens,
un fait qui est, de manière révélatrice,
souvent omis dans les propos
condescendants de Pfeffer
et de ceux qui partagent ses vues.
Ainsi, outre le
fait de ne pas tenir compte de centaines
de réussites du BDS et de
trahir une incompréhension fondamentale
de ce qu’est en réalité le BDS,
ces accusations d’échec trahissent avant
tout un profond dédain pour les
Palestiniens qui réclament et
accueillent une forme vitale de
solidarité.
Ben
White
Cet article a été
publié le 1er novembre 2018
par Middle East Eye ( en anglais).
Traduit et adapté par Luc Delval (ainsi
que l’encadré concernant Israël et
l’opinion publique aux USA)
Ben White est un journaliste dont
les travaux ont été notamment publiés
dans le quotidien britannique The
Guardian, dans The New Statesman,
ainsi que par Al Jazeera et Electronic
Intifada.
Il est l’auteur de
plusieurs ouvrages concernant Israël et
la Palestine, dont Israeli Apartheid (Ed.
Pluto Press – 2009) et de « Être
Palestinien en Israël » (Ed.
La Guillotine – 2015)
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