Monde
Qatar et Arabie Saoudite :
Guerre au sein de la même famille
Antoine Charpentier
© Antoine-Noura
Charpentier
Samedi 1er juillet 2017
Une crise a éclaté récemment entre
la famille royale saoudienne Al-Saoud et
la famille royale Al-Tani, au pouvoir au
Qatar. Les deux familles se proclament
de la même lignée royale, ainsi que de
la même idéologie wahhabite, développée
par l’Imam Mohamad Ben Abd Al-Wahab[1].
La crise entre les familles
royales saoudienne et qatari appartenant
à la même lignée rappelle les graves
divergences d’autrefois entre les rois
et les princes européens, appartenant
eux aussi aux mêmes dynasties à la
veille de la Première Guerre Mondiale.
L’Histoire se répète dans un autre coin
du monde.
L’Arabie
Saoudite, et avec elle le Conseil de
Coopération du Golfe, a désigné le Qatar
comme pays soutenant le terrorisme.
L’Arabie Saoudite a établi une liste de
52 personnalités ayant des liens
différents avec le Qatar, les accusant
de soutenir et financer le terrorisme. À
titre d’exemple, le Mufti Youssef Al-Kardawi
figure sur la liste des 52
personnalités, lui qui a encouragé les
jeunes à rejoindre les mouvances
takfiris armées au Moyen-Orient,
émettant des fatwas en faveur des
attentats suicides. Lui qui a émis des
fatwas contre/en faveur des attentats
suicides.
Ces manœuvres
politiques et stratégiques n’innocentent
en aucun cas ni l’Arabie Saoudite ni
certains pays du Golfe, qui s’immiscent
dans les affaires d’autres pays du
Moyen-Orient, et soutiennent d’une façon
ou d’une autre les mouvances armées
radicales, notamment en Libye, en Syrie
ou encore au Yémen.
Affirmer le
contraire ne relève que de l’hypocrisie
et du dédain envers les peuples du
Moyen-Orient, comme par exemple le
peuple syrien qui connaît la réalité des
choses. Elle la connait suite à son
expérience d’une guerre atroce où toutes
les nations du monde s’opposent les unes
aux autres, dans une allure de troisième
guerre mondiale localisée.
L’Arabie
Saoudite et ses alliés arabes ont eu
tort d’assiéger de telle façon le Qatar
sans prendre en compte ses capacités
économiques, financières ainsi que sa
présence dans le monde, notamment en
Europe, à travers les lobbies et les
investissements, ainsi qu’à travers ses
chaînes satellitaires, comme Al-Jazeera,
vitrine du Qatar.
Cependant, la
mentalité tribale a poussé les
dirigeants de l’Arabie Saoudite à mener
des aventures qui ne servent que le
projet américano-sioniste au
Moyen-Orient, croyant que cela va les
protéger d’une chute probable. Il
convient de préciser que la prospérité
financière, le développement matériel et
technologique n’a pas éradiqué la
persistance de la mentalité tribale.
Cette mentalité s’exprime quasiment chez
tous les dirigeants arabes sans
exception, et à des degrés différents,
telle une pathologie incurable.
Certains
dirigeants du monde arabe sont atteints
du syndrome de la servilité volontaire,
concept développé par Hannah Arendt, et
ont besoin en permanence de leurs
maîtres afin d’avoir une légitimité
mensongère, qu’ils sont les seuls à
croire.
Les mesures
prises[2]
par l’Arabie Saoudite contre le Qatar
ont en quelque sorte échoué, tout comme
les médiations koweitiennes.
Le danger se
situe dans des manœuvres militaires
contre le Qatar, puisque la pensée
saoudienne n’accepte pas que des pays du
Moyen-Orient, et notamment/en
l’occurrence du Golfe, ne se soumettent
pas de manière absolue à sa volonté.
L’accession de Mohamad Ben Salmane au
poste de prince héritier, c’est-à-dire
bientôt roi de l’Arabie Saoudite, fait
émettre beaucoup de craintes dans ce
domaine, surtout lorsque nous voyons la
gestion du Prince héritier, en tant que
ministre de la défense, en ce qui
concerne la crise au Yémen.
Cependant,
l’Arabie Saoudite ne considère pas les
pays du Golfe comme des États libres et
indépendants. Pour le royaume saoudien,
ils sont plus un prolongement de sa
vision politico-stratégique dans la
région. La guerre au Yémen se situe dans
cette perspective, même si ce n’est pas
l’unique raison.
L’émir du
Qatar a refusé de se rendre aux
États-Unis pour rencontrer le président
Trump de peur de subir un coup d’Etat
durant son absence, à l’instar du coup
d’État qui a eu lieu en 1995 contre le
grand-père du prince actuel Cheikh
Khalifa Ben Hamad, renversé par son fils
Cheikh Hamad Ben Khalifa. Mais il
paraîtrait que le président américain
s’est tenu au silence suite à l’achat
par le Qatar d’avions de chasse F-15,
pour un montant de 52 milliards d’euros
des États-Unis. La fin de la phrase
-‘’des Etats-Unis’’- est imprécise et
prête à confusion ; je te propose de la
supprimer.
Les premiers
bénéficiaires de la crise actuelle entre
l’Arabie Saoudite et le Qatar sont les
États-Unis et leurs alliés israéliens.
Quant aux Européens, ils peuvent se
diviser face à cette crise, d’autant
plus que l’Arabie Saoudite et le Qatar
ont de grands investissements en Europe,
notamment en Allemagne et en France.[3]
Nous avons vu le ministre qatari des
affaires étrangères se rendre en
Allemagne, pour discuter de la crise
avec l’Arabie Saoudite, alors que le
ministre saoudien des affaires
étrangères s’est rendu en France pour
évoquer la même crise. Si l’Europe se
divise sur la crise saoudo-qatari, sur
ses issues et ses solutions, le
président Trump aura fait d’une pierre
deux coups.
Il aurait
divisé les pays du Golfe, provoquant une
crise sans précédent, tentant d’épuiser
ces pays, les engageant dans des guerres
d’usure au Moyen-Orient, et leur
extorquant de grosses sommes d’argent.
En même temps, à partir de cette crise
M. Trump aurait divisé l’Europe pour la
mettre complètement sous sa domination.
Quant à la
Turquie, alliée du Qatar, elle est
également visée à son tour par les
manœuvres américano-saoudiennes, si elle
n’obéit pas au nouveau système politique
qui est en train de se dessiner par
l’Arabie Saoudite dans la région du
Golfe.
Le centre de
ce projet politico-stratégique impulsé
par l’Arabie Saoudite est la
constitution d’un front de protection
pour le royaume. Toutefois, les pays
participant à cette coalition
risqueraient de subir littéralement un
effacement politique et militaire au
profit des Américains, et de leurs
alliés arabes et sionistes. Cela serait
un facteur de graves problèmes et la
répétition de la crise saoudo-qatari.
Il convient
de préciser que par son alliance avec le
Qatar, Erdogan a mis un pied à
l’intérieur du Conseil de Coopération
des pays du Golfe, chose qui n’a pas plu
à l’Arabie Saoudite. Cependant, le délai
qu’Erdogan a donné afin de trouver une
solution à la crise saoudo-qatari
-c’est-à-dire la fin du mois de Ramadan-
n’est que le délai qu’il faut à ce
dernier pour préparer les 5 000/cinq
milles soldats dont le parlement turc a
voté l’envoi à Doha.
De ce fait,
le Qatar voudrait signifier à l’Arabie
Saoudite qu’il n’est pas seul dans cet
affrontement, et qu’il y a de grandes
puissances régionales qui le
soutiennent. En même temps, Erdogan
refuse de laisser le monopole du monde
musulman, notamment sunnite, à l’Arabie
Saoudite.
L’une des
plus grandes farces dans la crise entre
l’Arabie Saoudite et le Qatar sont les
déclarations du ministre qatari des
Affaires Étrangères, évoquant les
mesures prises contre son pays comme le
manque de respect des lois
internationales. Cependant, le Qatar a
demandé une réunion à l’ONU afin de
parler des violations visant le peuple
qatari. La vraie farce est lorsque les
lois internationales, ainsi que les
conventions des Droits de l’Homme,
deviennent des outils permettant à
certains dirigeants d’essuyer le sang
des innocents, qui tombent sur leurs
chaussures à cause des guerres qu’ils
mènent au Moyen-Orient et dans le monde.
Ils ont
habillé le Qatar de l’étoffe du
terrorisme, au moment où les
organisations terroristes en Syrie et en
Irak s’effondrent. Cela signifie que
lorsque le terrorisme perdra
complètement la bataille, l’Arabie
Saoudite et ses alliés vont revenir à la
charge, attribuant cela au Qatar
comme/en tant que soutien politique,
financier et militaire du terrorisme.
L’axe
américano-saoudo-sioniste va tâcher
d’apparaître comme un vecteur de la
paix, avec pour objectif d’investir
économiquement dans la reconstruction
des pays saccagés par les guerres que ce
même axe a mené au Moyen-Orient.
Actuellement, l’axe évoqué perd la
guerre militaire, alors il tente une
victoire par la guerre des
investissements. Mais les connivences de
l’axe américano-saoudo-sioniste sont
telles que toute manœuvre de
blanchissement est compromise.
Une chose est
certaine, la crise entre l’Arabie
Saoudite, le Conseil de Coopération des
pays du Golfe, le Qatar et ses alliés
vient de commencer. D’autres crises
pourraient avoir lieu entre l’Arabie
Saoudite et d’autres pays du Golfe ou
l’Egypte, voire la Turquie. Tout dépend
également de la stratégie que va suivre
le nouveau prince héritier saoudien,
lequel deviendra probablement le
prochain roi de ce royaume.
Antoine
Charpentier
[1]
Le
wahhabisme : le fondateur, la
doctrine, l’alliance de Mohammad
Ben Abdel Wahhab avec les Saoud.
http://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-wahhabisme-le-fondateur-la.html
[2]
Crise dans le Golfe : les
mesures prises contre le Qatar.
http://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/crise-dans-le-golfe-les-mesures-prises-contre-le-qatar_1914740.html
[3]
Quels sont les investissements
du Qatar en France ?:
http://www.ouest-france.fr/europe/france/quels-sont-les-investissements-du-qatar-en-france-1622944
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