Opinion
Les banderistes
ukrainiens et l’université française :
une histoire plus vieille qu’il ne
semble
Annie Lacroix-Riz

Lundi 10 avril 2017
Paru dans la
Presse nouvelle magazine n° 345,
avril 2017, p. 5
« L’indépendance de
l’Ukraine » ‑ en bon français, la
séparation d’avec la Russie en vue du
contrôle de cette caverne
d’Ali Baba
européenne par une ou plusieurs grandes
puissances non russes ‑ constitue un
objectif remontant aux débuts mêmes de
l’ère impérialiste. Parmi les candidats
à la relève, deux alliés et rivaux se
sont imposés : 1° l’Allemagne qui, en
quête d’espace vital, a soutenu dès
avant 1914 « l’autonomisme
ukrainien », avec l’appui jamais démenti
du Vatican, muni de l’efficace machine
de guerre uniate; 2° les États-Unis, qui
l’ont, depuis les années 1930,
régulièrement accompagnée. Ancienne mais
toujours inconnue en France, cette
ambitieuse entreprise s’est intensifiée
aux États-Unis depuis l’ère Reagan[1],
et plus encore après la chute de l’URSS,
avec la phase des « révolutions
oranges » : l’épisode Maïdan de 2014 et
ses suites, décrits, au grand dam des
médias dominants français, par le
journaliste Paul Moreira (https://www.youtube.com/watch?v=gbJmjjVtqFU)
ont promu les forces banderistes-nazies,
dont Washington avait sauvé en 1945
puis utilisé sans répit les chefs,
Stepan Bandera et Mikola Lebed, et leurs
successeurs, en vue d’une désintégration
de l’URSS[2].
Cette offensive
politique a généré une énorme opération
de propagande internationale sous
l’égide des États-Unis et de l’Union
européenne, sur le thème de la « famine
génocidaire en Ukraine » de 1933, dite
« Holodomor » (ne manquez pas la
recherche Internet, entamée actuellement
par « Holodomor 7 millions de chrétiens
exterminés par les juifs »). L’offensive
ne s’est pas bornée au terrain de masse
de la presse écrite et audiovisuelle.
Des groupes « ukrainiens », dont
l’association « Ukraine 33 », hébergée à
sa fondation par l’archevêché de Lyon,
et avec Mgr Decourtray pour président
d’honneur, s’agitèrent en France dès le
début des années 2000. Du côté
séduisant, « Ukraine 33 » s’efforçait de
conquérir les associations juives et
« humanitaires » pour célébrer en
commun, via des colloques, les
« génocides des Juifs et des
Ukrainiens ». Parce que j’avais envoyé
en 2004 via Internet, dans le cadre d’un
cours de concours, un dossier d’archives
diplomatiques démontrant l’absurdité de
la thèse « génocidaire », Ukraine 33
déploya d’intenses efforts médiatiques
et politiques (jusqu’auprès du président
de la République Jacques Chirac) pour me
faire exclure de l’université comme
« négationniste ».
Du côté moins
séduisant, le groupe toujours
officiellement voué à la commémoration
de l’« Holodomor » (http://ukraine33.free.fr/web/rubrique.php3?id_rubrique=54)
est très lié au Congrès ukrainien
mondial, sis à Washington et présidé
jusqu’en 2008 par Askold Lozynskyj,
toujours actif (http://www.ukrweekly.com/uwwp/author/askold-s-lozynskyj/
), dont le New-York Times
avait publié ce courrier du 18 juillet
2002 : « quand les Soviets furent
contraints à la retraite devant
l’invasion des nazis en juin 1941, ils
massacrèrent leurs prisonniers […]
d’Ukraine occidentale arrêtés et
internés par dizaines de milliers en
1939 […]. Ce fut accompli avec l’aide
des communistes locaux, surtout
ethniquement juifs. Ce massacre ne
constituait malheureusement pas une
aberration des œuvres soviétiques en
Ukraine. En 1932-33 en Ukraine
orientale, les Soviets avaient déjà
assassiné environ 7 millions d’hommes,
de femmes et d’enfants ukrainiens au
moyen d’un génocide stratégiquement
planifié de famine artificielle. L’homme
choisi par Joseph Staline pour perpétrer
ce crime était un juif, Lazare
Kaganovitch. Le célèbre historien
britannique Norman Davies a conclu
qu’aucune nation n’avait eu autant de
morts que l’ukrainienne. Ce qui fut dans
une large mesure le résultat des œuvres
à la fois des communistes et des nazis.
Les Russes et les Allemands étaient des
barbares. Mais les juifs étaient les
pires. Ils trahirent leurs voisins et le
firent avec tant de zèle! »
Les succès remportés
par l’opération conjointe de séduction
et de châtiment poussèrent les
banderistes à l’imprudence : fin mai
2006, à l’Arc de Triomphe, ils rendirent
hommage
officiel à Petlioura sous la
protection des forces de police. La
LICRA, qui se rappelait que l’exécution
du pogromiste Petlioura par le juif
ukraino-bessarabien Schwartzbard, en
1926, était à l’origine de sa création,
protesta vivement bien que son président
appartînt au même parti que les
gouvernants français, dont le ministre
de l’intérieur Sarkozy.
L’offensive sembla
bloquée, mais la conjoncture
« ukrainienne » l’a relancée
considérablement. Sa puissance vient de
se manifester par l’organisation du 8 au
11 mars d’un colloque à couverture
universitaire : « La Shoah en Ukraine.
Nouvelles perspectives sur les malheurs
du 20e siècle », sous l’égide
des publicistes, notoires pour leurs
écrits russophobes, Philippe de Lara et
Galia Ackerman. Ces solides défenseurs
de l’Ukraine de Maïdan ont entraîné dans
l’opération l’Inalco, Paris 2 et la
Fondation pour la Mémoire de la Shoah,
associée à son financement. L’opération,
promue par Libération (http://comite-ukraine.blogs.liberation.fr/2017/02/23/un-nouveau-regard-sur-la-shoah-en-ukraine/
), quotidien auquel la russophobie tient
lieu de ligne de politique extérieure, a
été tuteurée par l’ambassade d’Ukraine.
Celle-ci a fourni, outre la masse de
l’assistance fort excitée, les
intervenants ukrainiens, dont Volodymyr
Vyatrovych, singulier « historien »
banderiste connu de longue date (https://en.wikipedia.org/wiki/Volodymyr_Viatrovych
). Celui-ci, au cours d’une intervention
dont une vidéo va sans doute être mise
en circulation, y a notamment déclaré,
entre autres énormités, et sans que les
chercheurs français prissent
l’initiative de quitter la salle :
« nous, Ukrainiens et juifs, nous avons
de quoi avoir honte pour nos ancêtres »,
les uns et les autres ayant également
procédé à des massacres.
Les mises en garde
d’universitaires étrangers n’avaient pas
manqué contre de tels partenaires, ce
dont témoignent les articles des 10 et
13 mars du site lescrises.fr
http://www.les-crises.fr/une-histoire-faussee-ne-cree-pas-damis-par-andreas-umland/
http://www.les-crises.fr/un-revisionniste-ukrainien-a-la-sorbonne-ce-week-end-action/
http://www.les-crises.fr/volodymyr-viatrovich-l-historien-qui-blanchit-le-passe-historique-de-l-ukraine-par-josh-cohen/
;
Une des participantes
de la session, Delphine Bechtel,
germaniste civilisationniste de Paris 4,
http://www.les-crises.fr/mensonges-et-legitimation-dans-la-construction-nationale-en-ukraine-2005-2010-par-delphine-bechtel/,
attirée dans ce piège, avait cru pouvoir
« contrer » cette prévisible
tempête banderiste. Elle a admis, au
terme d’un colloque sur lequel on attend
information complète, que « tout cela
[était] très grave et entach[ait] notre
université et nos institutions ».
Accablée, elle a projeté un « texte
commun » de protestation des
universitaires français associés à ce
désastre, texte qui n’a, à ma
connaissance, pas été rédigé. Le
serait-il qu’il ne réglerait pas
l’essentiel : une fraction de
« l’université française » spécialiste
de la « destruction des juifs d’Europe »
a été associée à cette opération
banderiste, aux côtés de pro-banderistes
français notoires; et elle n’a, à cette
date, ni admis s’y être fourvoyée, ni
mis en garde contre les périls
imminents. Elle redoute plus que tout
une protestation officielle qui mettrait
les Ukrainiens invités et leur relais
politiques et de presse en mesure « de
dire que [les universitaires français
participants sont] un ramassis de
bolchéviques. »
J’ignore comment les
participants français pourront justifier
en termes académiques leur présence à
une telle session, effarante, tant par
son contenu que par sa conclusion :
« après le dernier dîner » dudit
colloque, qui avait eu lieu « dans un
restaurant de la rue Racine, choisi
précisément pour son emplacement, les
participants ont été invités à se réunir
à l’endroit où Petlioura avait été tué
par Schwartzbard en 1926. » Il n’a pas
été précisé si des Français étaient
présents à cette ultime étape des
festivités.
La situation est
d’autant plus grave qu’une nouvelle
étape du mensonge historique assorti du
badigeonnage des banderistes se prépare,
plus grave encore car sous la seule
bannière universitaire : le Mémorial de
Caen vient d’annoncer qu’il organisera,
les 22-24 novembre 2017, un colloque sur
la « mémoire des génocides », d’où
« l’histoire » avérée
des génocides sera strictement
bannie, et où « [les]
famines programmées et
[les] grandes purges de la Russie
soviétique des années 1930 »
voisineront, entre autres, avec
l’« extermination des Juifs et des
Tziganes par l’Allemagne nazie et [la]
guerre d’anéantissement à l’Est durant
la Seconde Guerre mondiale ». J’en
reparlerai.
Annie
Lacroix-Riz, professeur émérite
d’histoire contemporaine, université
Paris 7
[1]
http://www.historiographie.info/ukr33maj2008.pdf,
Tottle Douglas,
Fraud, Famine and Fascism.
The Ukrainian Genocide
Myth from Hitler to Harvard,
Toronto,
Progress Book,
1987, en ligne; mon
ouvrage Le Vatican, l’Europe
et le Reich de la Première
Guerre mondiale à la Guerre
froide (1914-1955), Paris,
Armand Colin, 2010.
[2]
Richard Breitman et
Norman Goda, Hitler’s Shadow:
Nazi War Criminals, US
Intelligence and the Cold War,
National Archives, 2010,
http://www.archives.gov/iwg/reports/hitlers-shadow.pdf,
chap. 5 « Collaborators : Allied
intelligence and the
Organization of Ukrainian
Nationalists », p. 73-97 et
https://vimeo.com/151994776
(« La campagne internationale
sur “La famine en Ukraine”, de
1933 à nos jours », 14 janvier
2016)
Le dossier Ukraine
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