Réseau Voltaire
Projet officiel de nettoyage ethnique
en Ukraine
Andrew Korybko
Durant la
Première Guerre mondiale, l’empereur
d’Autriche-Hongrie fit interner plus de
20 000 Ruthènes et Lemkos,
principalement des intellectuels, à
Telerhof. Il ne s’agissait pas à
proprement parler d’un camp de
concentration, mais plutôt d’un terrain
vague où les prisonniers dormaient à
même le sol quelque soient les
intempéries.
Mardi 24 juin 2014
Alors que le nouveau président
ukrainien, Petro Porochenko, vient de
signer un accord avec les responsables
de la République du Donbass, Andrew
Korybko revient sur les raisons du
soulèvement : il ne s’agit pas
uniquement du refus de reconnaître les
autorités putschistes de Kiev, mais bien
d’une tentative de prévenir le projet
officiel de nettoyage ethnique des
populations russophones.
Cent ans après
l’internement dans des camps de
concentration des populations
russophones (les Ruthènes) alors
établies à l’intérieur des frontières de
l’Ukraine d’aujourd’hui, l’histoire
semble sur le point de se répéter.
Le ministre de la Défense de
l’Ukraine, Mikhaïl Koval, a fait
publiquement état de son projet de
parquer les résidents du Donbass dans
des camps de « filtration » pour les
réinstaller de force dans d’autres
régions de l’Ukraine.
Quelques jours plus
tard, le Premier ministre Arseni
Iatseniouk a traité de « sous-hommes »
les défenseurs du fédéralisme des
régions orientales de l’Ukraine.
Source :
Embassy of Ukraine in the United States,
15 juin 2014.
Les patrons
états-uniens du régime de Kiev ne se
sont pas seulement abstenus de condamner
les propos scandaleux de Iatseniouk, ils
ont pris ouvertement sa défense en
déclarant, par la voix de la
porte-parole du département d’État Jen
Psaki, au mépris de la vérité, « qu’il
n’avait pas cessé de préconiser la
recherche d’une solution
pacifique [1] ». L’Agence foncière de
l’État ukrainien a laissé filtrer des
propos encore plus inquiétants, donnant
à penser qu’un nettoyage ethnique en
règle allait suivre. Il a été annoncé
que des terres allaient être allouées
gratuitement aux troupes des Services
spéciaux, du ministère de l’Intérieur et
de l’Armée qui combattent les
fédéralistes [2]. L’Ukraine étant au
seuil d’un nettoyage ethnique de grande
ampleur, il ne faut pas être grand clerc
pour deviner aux dépens de qui sera
organisé cet octroi de « terres
gratuites », évocateur du besoin
d’« espace vital » (Lebenstraum)
revendiqué par d’autres en d’autres
temps.
Au moins
un millier de prisonniers sont morts
durant leur internement à Telerhof.
C’est en 1914 que, pour la première
fois, des populations stigmatisées pour
leur russophilie ont été expédiées dans
des camps de concentration. Les
Autrichiens ont emprisonné les Ruthènes
et les Lemkos (un sous-groupe ethnique
étroitement apparenté aux Ruthènes, ou
Russyns) au prétexte que leur
obstination à revendiquer leur identité
spécifique avait des relents de
trahison. De la même façon, parce
qu’elles refusent de renoncer à leur
identité, les populations du Donbass
sont aujourd’hui accusées de trahison,
notamment par Mikhaïl Koval, le ministre
de la Défense de l’Ukraine. Ce dernier a
été promu dans ses fonctions actuelles
suite au limogeage de son
prédécesseur [3], remercié pour n’avoir
pu empêcher la réunification de la
Crimée à la Fédération de Russie. Les
déclarations d’intention extrêmement
radicales du ministre Koval témoignent
du bien-fondé des préoccupations que la
Russie avait exprimées dès le mois de
mars, avant la réunification, en
soulignant le risque du déclenchement
d’une crise humanitaire, et en exposant
les preuves de ce danger imminent dans
un Livre Blanc des Violations des
Droits de l’Homme en Ukraine [4]. Chacun sait
maintenant, après la révélation au grand
jour de l’épilogue que le ministre de la
Défense ukrainien compte apporter à la
crise, que si la Crimée n’avait pas pris
en mains la défense de ses droits et
demandé son rattachement à la Russie,
ses habitants se seraient
vraisemblablement déjà vus parqués dans
des « camps de filtration » à l’image de
ceux dont la mise en place est
maintenant programmée, puis déportés
loin de la terre qui les a vus naître, à
condition d’avoir survécu à l’épreuve de
l’incarcération.
Le sort que réserve Korval aux
résidents du Donbass contrevient
gravement aux dispositions de la loi
internationale, et constitue un crime
contre l’humanité. La déportation forcée
et le déplacement des populations, leur
mise en détention au seul motif de leur
lieu de résidence, ainsi que les mesures
discriminatoires à l ‘encontre d’un
groupe ethnique et culturel sont
formellement proscrites au titre de
l’article 7 du Statut de Rome de la Cour
pénale internationale (CPI). Pour
Iatseniouk et ses acolytes de
l’Administration de Kiev, les habitants
des régions orientales de l’Ukraine qui
contestent leur politique ne sont que
des « sous-hommes ». Voilà pourquoi ils
semblent estimer que les Droits de
l’homme ne s’appliquent pas à eux. En
conséquence, ces « sous-hommes » ne se
verront pas non plus reconnaître le
moindre droit sur les propriétés dont
ils seront dépossédés après les
relocalisations forcées qui vont leur
être imposées. Ce sont donc leurs
maisons, leurs terres et leurs
entreprises qui vont constituer le
tribut (« les terres gratuites ») que la
junte de Kiev a promis d’accorder à ses
janissaires déployés dans les provinces
de l’Est.
Selon le
gouvernement russe, plusieurs centaines
de milliers d’Ukrainiens se sont
réfugiés en Russie depuis le début de la
crise. Ils y sont hébergés par leurs
familles et leurs amis. Cependant, les
autorités occidentales réfutent ce
chiffre au motif qu’ils ne sont pas
rassemblés dans des camps de réfugiés.
Les dirigeants occidentaux
ignorent superbement ces violations
flagrantes des Droits de l’homme.
Ils sont pourtant toujours les
premiers à dénoncer précipitamment
toute violation supposée de ces
droits, et à menacer d’une
intervention militaire les
contrevenants qu’ils ont eux mêmes
désignés. On voit bien, à présent,
que la rhétorique du « droit
d’intervention humanitaire » et les
slogans qui l’accompagnent n’ont
jamais été autre chose que des
simulacres au service d’ambitions
géopolitiques au long cours,
savamment dissimulées.
En réalité, à l’opposé du rôle
pacificateur que s’attribuent les
pays occidentaux, et tout
particulièrement les États-Unis, en
revendiquant un droit d’intervention
humanitaire pour protéger les
populations, ils apportent un
soutien criminel au régime de Kiev
qui s’apprête à mettre en œuvre le
nettoyage ethnique de l’Ukraine.
Depuis le coup d’État de février,
les conseillers militaires sont
arrivés en nombre, les dollars ont
coulé à flot, et le FBI et la CIA
n’ont pas lésiné sur l’aide apportée
au nouveau régime ukrainien. Tous
ces moyens vont immanquablement être
utilisés par la junte pour liquider
par la force les mouvements de
protestation qui se poursuivent dans
la partie orientale du pays, et pour
écraser les fédéralistes ukrainiens.
Ainsi, les États-Unis se rendent
directement complices de tous les
crimes de guerre que commettent les
forces conventionnelles [5] et les
mercenaires [6] à la solde du
gouvernement de Kiev, sans la
moindre exception. Cette
responsabilité vaut également pour
le plan de nettoyage ethnique et
culturel que s’apprête à mettre en
œuvre le ministre de la Défense
ukrainien Mikhaïl Koval.
Les six millions d’habitants du
Donbass sont aujourd’hui confrontés
à un désastre humanitaire de même
nature que celui infligé à leurs
ainés, il y a soixante-dix ans.
Beaucoup ont cru, à tort, que les
forces criminelles coupables de
telles horreurs avaient été
terrassées et éliminées une fois
pour toutes du continent européen,
et que ces temps barbares, que la
junte de Kiev ressuscite avec la
complicité et le soutien de ses amis
occidentaux, étaient à jamais
révolus.
Traduction
Gérard Jeannesson
Source
Oriental Review
[1]
« Daily
Press Briefing », State Department,
16 juin 2014.
[2]
“Ukraine’s
Land Agency give land to soldiers in the
east for free”, Interfax Ukraine, 16
juin 2014.
[3]
« Ukraine
fires defense minister who lost Crimea
to Russia », par Kathy Lally, The
Washington Post, 25 mars 2014.
[4]
« Le
Livre blanc sur les violations des
Droits de l’homme en Ukraine »,
Réseau Voltaire, 5 mai 2014.
[5]
“Russia’s
investigators pledge to prosecute those
guilty in civilians’ deaths in Ukraine”,
Itar-Tass, 30 mai 2014.
[6]
« Kiev
envoie des mercenaires étrangers pour
écraser l’insurrection dans le Sud-Est »,
par Natalia Kovalenko, La Voix de la
Russie, 6 juin 2014.
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