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DIEUDONNE. Le New York Times parle du
génie de l’humoriste à la verve
"incendiaire"
Allain Jules
Jeudi 13 mars 2014
Le grand
journal américain, The New York
Times, a consacré un papier sur
l’humoriste Dieudonné. Un grand moment.
Il brosse le portrait d’un gouvernement
qui ne sait comment faire pour le
contrer, sinon en violant la loi etc. A
la fin, on parle de lui comme d’un génie
-il l’est-, comparé à l’écrivain Céline.
New York Times parle du succès
phénoménale de l’humoriste de Dieudonné,
mais, affirme-t-il, il n’a pas pu le
joindre. Hum !
Trente-huit fois ces dernières
années, les autorités françaises ont
accusé le comédien Dieudonné M’bala
M’bala d’avoir violé des lois anti-haine.
Le gouvernement a fortement enjoint les
mairies des grandes comme des petites
villes à bannir ses spectacles, et
certaines l’ont fait en annulant ses
représentations, qui se donnent pourtant
à guichet fermé. Des hauts responsables
l’ont condamné comme un antisémite
négationniste qui incite à la haine.
Pourtant, à l’heure actuelle, la
campagne menée contre lui montre peu de
signes tangibles de succès. Même s’il a
été contraint de payer ses amendes, il a
échappé à la plupart des condamnations
qui l’ont visé. Les limites posées à ses
apparitions publiques, il les a
facilement contournées grâce à
l’Internet et aux réseaux sociaux. Une
de ses vidéos postée en février, une
riposte au ministère de l’Intérieur et
spécifiquement à Manuel Valls, a fait au
moins deux millions de vus en une
semaine.
Peut-être encore plus important, les
tentatives de faire taire M. M’bala
M’bala semblent avoir alimenté et
conforté le soutien de la base de ses
fidèles : un méli-mélo à la fois social
et racial de Français qui ont le
sentiment de se faire arnaquer par les
élites gouvernantes.
Avec ses blagues, chansons et
sketches antisémites, M. M’bala M’bala,
fort de son héritage à la fois français
et ouest-africain, touche à la fois des
Français musulmans et quelques partisans
de l’extrême droite qui partagent ses
opinions et apparaissent avec lui à ses
spectacles. On lui crédite l’invention
d’un signe nazi inversé connu sous la
dénomination de la quenelle [en
français dans le texte, NDT], un signe
satirique à l’encontre des élites
française dont il clame qu’elles sont
dominées par les intérêts juifs.
Lorsqu’un joueur de football français de
premier plan a effectué ce salut pour
fêter un but, les projecteurs ont alors
été attirés sur M. M’bala M’bala.
Déterminer jusqu’où aller pour
essayer d’empêcher le comédien de
rependre sa vision, tout en jaugeant
quand l’action devient
contre-productive : voilà une des tâches
ardues auxquelles les autorités
françaises font face. Au même moment,
des populistes de l’aile droite, dont
certains partagent des opinions
antisémites similaires, semblent sur le
point d’enregistrer des victoires
électorales partout en Europe. Et la
France n’est pas en reste ; le parti
d’extrême droite le Front national y a
plus d’opinions favorables que les deux
autres grands partis.
La liberté d’expression est moins
protégée en France qu’aux États-Unis et
le fait de museler M. M’bala M’bala
remporte un large soutien. Mais son cas
a déclenché un nouveau débat sur les
limites de la libre parole. Des avocats
pour les libertés individuelles
affirment notamment que le gouvernement
court un risque de sur-réaction, et
ainsi de mettre en danger les libertés
fondamentales, pour ajouter à sa
visibilité en faisant de lui un martyr.
Ces avocats disent qu’ils sont
particulièrement concernés par le fait
que le gouvernement a interdit a priori
ces spectacles.
« Ces sanctions prononcées a
priori contre ses spectacles sont
dangereuses non pas pour Dieudonné, mais
parce qu’invoquer un risque de trouble à
l’ordre public, ouvre la voie a des
sanctions similaires », explique
Agnès Tricoire, une avocate spécialisée
dans la propriété intellectuelle et la
liberté d’expression qui représente la
Ligue française de droits de l’homme, un
groupe dont les vues sur la liberté
d’expression sont davantage
anglo-saxonnes.
Madame Tricoire note que deux des
jurisprudences utilisées contre
M. M’bala M’bala sont hautement
subjectives : l’une est la menace de
trouble à l’ordre public et l’autre, que
ses spectacles portent atteinte à la
dignité humaine d’un groupe ou d’une
communauté. Il a aussi été accusé de
nier l’Holocauste, un crime en France,
et d’inciter à la haine.
« La notion de violation de la
dignité humaine est invoquée par
certains groupes de pression qui veulent
interdire les spectacles pour des
raisons morales », dit-elle, avant
d’ajouter qu’un pareil argument peut
être utilisé par l’extrême droite pour
essayer de faire interdire des
spectacles ou des représentations
artistiques avant même qu’elles aient eu
lieu pour la simple raison que ces
groupes les voient comme immoraux.
Jusqu’à maintenant le gouvernement
français n’a pas plié sous de telles
pressions et va même jusqu’à protéger
les spectateurs des manifestants quand
ces derniers s’opposent à des
représentations.
D’autres craignent que l’accusation
de trouble à l’ordre public puisse être
utilisée pour réprimer des opposants,
comme le font certains gouvernements
autoritaires.
Les groupes qui représentent les
juifs, qui ont été les cibles
principales des sketchs de M. M’bala
M’bala, défendent avec ardeur les
mesures du gouvernement, arguant que le
message empoisonné heurte la société et
sape l’objectif vénéré par les Français
– du moins en théorie – que des gens de
toutes races et toutes religions
puissent vivre ensemble.
Les groupes juifs évoquent aussi le
nombre grandissant d’actes antisémites
en France, comme une bonne raison
d’écraser le message de M. Mbala Mbala.
Il y a eu plus de six cents actes
antisémites en 2012 selon le ministère
de l’Intérieur, soit une augmentation de
presque 60 % par rapport à 2011. La
soudaine augmentation a eu lieu après
que Mohamed Merah, un Français musulman,
a tué trois enfants juifs et leur
professeur, un rabbin, dans une école
juive à Toulouse, en mars 2012. Les
chiffres pour 2013 ont quelques peu
diminué, toujours selon le ministère.
Il y a aussi toujours plus d’actes
islamophobes ; il y en avait environ 200
en 2012 selon le ministère de
l’Intérieur et à peu près 160 en 2011.
Quelques organisations
non-gouvernementales qui traquent les
actes islamophobes évoquent plus de deux
fois ce chiffre. Un des plus récents
s’est produit en février dans une ville
proche de Paris, où une tête de cochon
et ce qui semblait être du porc ont été
jetés dans la cour d’une mosquée. Le
porc est considéré comme impur par la
loi islamique.
Les récentes années ont été marquées
par des attaques contre d’autre groupes
comme les Roms, les Noirs (comme le
garde des Sceaux Christiane Taubira) et
les gays, ce qui traduit un
effilochement du tissu social et une
montée de l’intolérance.
Les Français sont particulièrement
sensibles à l’antisémitisme à cause de
la collaboration du pays avec
l’Allemagne nazie pendant la Seconde
Guerre mondiale. « Dans un pays qui a
eu l’Holocauste sur son sol, nous avons
une manière très différente de gérer la
question », indique la dirigeante de
la branche française de l’American
Jewish Comittee, Simone Rodan-Benzaquen.
Mais elle admet également qu’interdire
les paroles antisémites a ses limites :
« Si la société, dans toutes ses
composantes, ne se pose pas la question
des valeurs de la société française et
de comment combattre la haine des
minorités, tout cela aura été vain. »
M. M’bala M’bala, qui a par le passé
nié être antisémite, n’a pas pu être
joint. Dans une de ses vidéos qui a
récemment été le sujet d’une affaire
judiciaire, il a appelé de façon
provocatrice à la relaxe de Youssouf
Fofana, le tueur d’Ilan Halimi, un jeune
homme juif de 23 ans kidnappé en 2006
par un groupe surnommé Les Barbares, qui
l’a torturé pendant une semaine avant de
le mutiler et de le laisser agonisant
sur une route.
M. M’bala M’bala a rétorqué que de
jeunes juifs avaient causé la mort d’un
musulman en 2010 et qu’il y avait eu
beaucoup moins de cris d’orfraie que
lors de l’affaire Halimi.
Dans un autre de ses sketches
populaires, il chante une chanson
appelée Shoananas, un jeu de mots
qui en français sonne comme « hot
pineapple ». Le mot Shoah fait
référence à l’Holocauste et nana est
un terme d’argot qui signifie « chick »
[meuf en anglais – une
interprétation inédite duNew York
Times ! NDT]. La vidéo montre un
homme maigre et débraillé dans un
semblant d’uniforme de prisonnier de
camps de concentration avec dessus une
étoile de David jaune surdimensionnée ;
l’homme sautille sur la scène, telle une
marionnette agitée par la verve
satirique de M. M’bala M’bala.
La différence principale entre le
phénomène M’bala M’bala et les auteurs
antisémites du passé réside dans sa
capacité à toucher un plus large public.
Les opinions antisémites « ne sont
pas si importantes que ça tant qu’elles
ne trouvent pas de relais dans les
masses et c’est justement ce qu’avait
déjà fait Céline dans les années 30 et
c’est ce que fait Dieudonné maintenant »,
fait remarquer le doyen de l’université
de Londres à Paris, spécialiste de
l’histoire de l’antisémitisme en France,
Andrew Hussey.
Louis-Ferdinand Celine était un
célèbre pamphlétaire et écrivain
français de la première moitié du XXème
siècle, qui épousa des idées antisémites
virulentes. « Dieudonné a une
influence dans les banlieues et
s’adresse a ces populations par des
codes, il n’a pas à dire “l’Holocauste
n’a pas eu lieu” », continue le
professeur Hussey en se référant aux
banlieues pauvres souvent peuplées par
des immigrants. « À la place il fait
une blague à propos de la Shoah, blague
qui teste les limites de la lois
française. »
Publié le 13 mars 2014 avec l'aimable
autorisation d'Allain Jules
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