Article
PayPal censure les journalistes qui
critiquent Israël
Ali Abunimah
Amir Cohen Reuters
Samedi 28 juillet 2018 Ali Abunimah – The
Electronic Intifada – 25 juillet 2018
Un agent de la
campagne mondiale de censure que conduit
Israël reconnaît avoir amplifié ses
allégations d’antisémitisme dans le but
d’ourdir des mesures drastiques contre
celles et ceux qui défendent les droits
des Palestiniens.
Dans cet exemple le plus récent,
Benjamin Weinthal a apparemment réussi à
persuader PayPal de fermer le compte de
la publication en ligne Agence Média
Palestine.
Cet acte constitue une censure car
il refuse à des journalistes les moyens
de recueillir des fonds pour faire leur
travail, et il exerce des représailles à
leur encontre pour les idées qu’ils
expriment.
L’Agence Média Palestine fait
savoir qu’elle envisage d’intenter une
action en justice.
Weinthal présente
ses initiatives comme étant un reportage
pour The Jerusalem Post sur les
actions d’entreprises comme PayPal, mais
en réalité, il s’agit d’une incitation à
prendre des mesures drastiques en
alimentant une information – de son
propre aveu, dénaturée – sur ceux qu’il
cible.
Weinthal est
« chercheur universitaire » à la
Fondation pour la défense des
démocraties, un groupe néoconservateur
américain qui travaille en étroite
collaboration avec le gouvernement
israélien, et qui a tenté de nuire au
mouvement de boycott, désinvestissement
et sanctions pour les droits des
Palestiniens en le disant lié au Hamas
et à l’Iran.
Dans une
conversation en 2018, dévoilée ici pour
la première fois, sur les activités du
lobby israélien en Europe, Weinthal
explique de quelle façon il persuade des
politiciens de sévir contre ceux qu’il
prétend être des antisémites en raison
de leurs critiques d’Israël.
« Il vous faut
exagérer pour faire passer ces idées,
car ils ne comprennent pas ce qu’est
l’antisémitisme contemporain, pour
beaucoup d’entre eux », explique
Weinthal.
Tout en admettant
que de telles pratiques diffamatoires
constituent une part nécessaire de son
travail, Weinthal s’attribue le mérite
d’avoir fait interdire les journalistes
Max Blumenthal et David Sheen au
Bundestag, le parlement allemand, en
2014.
Weinthal décrit
comment il a envoyé du « matériel » au
responsable du Parti des Verts
allemands, Volker Beck, qui décrit
Blumenthal – d’origine juive – comme
étant Horst Mahler, un ancien militant
de gauche qui est devenu nazi.
Weinthal explique
aussi comment il a contacté Paypal et
les banques qui fournissent des services
à la société civile et aux groupes de
défense des droits de l’homme, dans le
but de faire pression sur eux afin
qu’elles clôturent leurs comptes.
Il indique que son
travail prend pour cible des groupes
civiques à travers la France,
l’Allemagne et l’Autriche.
Une enquête
secrète
The Electronic
Intifada a vérifié de façon
indépendante les déclarations de
Weinthal recueillies lors d’une enquête
secrète d’Al Jazeera sur les
activités du lobby israélien aux
États-Unis.
Le film d’Al
Jazeera de cette enquête reste
encore à être diffusé en raison de la
censure ordonnée par les dirigeants du
Qatar – qui finance et héberge le réseau
– sous la pression intense du lobby
israélien.
En mars, The
Electronic Intifada a publié
exclusivement les détails du contenu de
ce film non diffusé.
Le documentaire révèle que la
Fondation pour la défense des
démocraties, où Weinthal est chercheur
associé, a fonctionné comme un agent du
gouvernement israélien, alors même
qu’elle n’était pas habilitée à agir à
ce titre comme l’exige la loi des
États-Unis.
Sima Vaknin-Gil, directrice générale
du ministère des Affaires stratégiques
d’Israël, a affirmé à l’État que la
Fondation « travaille » sur des
projets pour Israël, incluant « la
collecte de données, l’analyse de
l’information, un travail sur les
organisations militantes, le cheminement
de l’argent ».
« Nous avons la FDD, » dit
Vaknin-Gil, en appelant le groupe par
ses initiales. « Nous en avons
d’autres qui travaillent là-dessus ».
La censure par PayPal
L’Agence Média Palestine est
un site internet qui publie des articles
en français sur la Palestine, dont
beaucoup sont des traductions de sources
en d’autres langues, et notamment de The
Electronic Intifada.
Parmi celles et ceux qui la
soutiennent figurent d’éminentes
personnalités, comme le regretté auteur
et rescapé des camps de concentration
Stéphane Hessel, le cinéaste Eyal Sivan,
et la militante des droits humains,
Mireille Fanon-Mendès-France.
Le 12 juillet, l’Agence Média
Palestine a reçu un courriel du
Département chargé de la gestion des
risques pour l’image de PayPal, courriel
qui déclarait :
« Nous avons récemment examiné
votre utilisation des services de
PayPal, telle que reflétée dans nos
dossiers et sur votre site http://www.agencemediapalestine.fr.
En raison de la nature de vos activités,
nous avons choisi de cesser de vous
fournir le service, conformément à
l’accord de l’utilisateur de PayPal ».
L’email ne donne aucun détail sur
les violations présumées des conditions
de PayPal pour son service, qui permet
aux utilisateurs du monde entier de
s’envoyer de l’argent facilement à
moindres frais.
Du fait de sa position dominante sur
le marché, il existe peu d’alternatives
à PayPal. Cela rend la vie
particulièrement difficile pour les
Palestiniens dans la Cisjordanie et la
bande de Gaza occupées, eux qui,
contrairement aux colons israéliens,
n’ont aucun accès aux services de
l’entreprise.
Et cela rend la vie difficile aussi
pour les journalistes ou militants des
autres pays qui se trouvent eux-mêmes
ciblés par les actions arbitraires de
cette entreprise.
Le 16 juillet, l’Agence Média
Palestine répond à PayPal,
affirmant : « Nous sommes une ONG
française (organisation non
gouvernementale), dûment enregistrée en
France, basée à Paris, agissant au sein
de la société française dans le strict
respect des lois et règlements français ».
Le site demande à
PayPal : « Expliquez clairement
quelle est l’activité qui soulève vos
objections, et sur quelle base légale ».
Pas de réponse de
PayPal.
Dans une autre
réponse à PayPal, vue par The
Electronic Intifada, l’Agence Média
Palestine accuse l’entreprise d’ « acte
arbitraire », ajoutant qu’elle « ne
pouvait pas ignorer les liens existant
entre PayPal et le propagandiste
d’extrême droite Benjamin Weinthal ».
L’Agence Média
Palestine déclare qu’à moins que
PayPal ne justifie son action, le site
« se réserve le droit d’intenter une
action en justice ».
Le site ajoute
qu’il pourrait monter « une campagne
d’information sur cet acte
discriminatoire au profit d’un État qui
vient juste d’adopter une loi
d’apartheid », faisant référence à
la récente loi constitutionnelle
d’Israël élevant les droits des juifs
au-dessus de ceux des autres citoyens.
En réponse à une
demande de renseignements de The
Electronic Intifada, un porte-parole
de PayPal déclare dans un courriel ce
mardi : « Nous ne fournissons pas
d’informations sur l’état des comptes,
conformément à la politique de
l’entreprise ».
« PayPal évalue
régulièrement les activités au regard de
notre politique d’utilisation acceptable
et examine avec soin les comptes,
fermant ceux qui violent notre politique »
ajoute le porte-parole.
L’entreprise ne
fournit aucun détail sur les prétendues
violations qui auraient conduit à la
clôture du compte de l’Agence Média
Palestine.
L’action de PayPal rappelle la
répression contre les interventions
politiques et le journalisme
indépendant, en particulier contre les
publications de gauche et axées sur la
Palestine, qui a été conduite par
d’autres géants de la Silicon Valley,
comme Facebook et Google.
Weinthal feint l’ignorance
Une heure environ
après avoir reçu le courriel du 12
juillet de PayPal l’informant que son
compte avait été fermé, l’Agence Média
Palestine a été contacté par mail
par Benjamin Weinthal utilisant sa
casquette de journaliste du Jerusalem
Post.
« Votre
organisation classe PayPal comme une
méthode de don, mais le paiement est
bloqué » déclare Weinthal.
« PayPal
a-t-elle fermé votre compte ? Si oui,
quelle a été la raison de la fermeture ? »
demande Weinthal, feignant l’ignorance
pour un problème dans l’instigation
duquel il a manifestement joué un rôle
clé. « Est-ce que votre compte viole
une loi antidiscrimination en France ? ».
Weinthal n’a pas
répondu à la demande d’explications de The
Electronic Intifada.
Dans un article
publié le lendemain, Weinthal cite, sans
les nommer, « des experts
juridiques » pour affirmer que les
organisations qui soutiennent le
mouvement de boycott, désinvestissement
et sanctions « violent la loi
Lellouche, ce qui rend illégal le fait
de cibler les Israéliens sur la base de
leur origine nationale ».
Il porte la même
accusation en janvier après la fermeture
par PayPal du compte du groupe militant Association
France Palestine Solidarité.
Pourtant, les tentatives d’Israël et
de ces « experts juridiques » anonymes
pour interpréter la législation français
afin d’interdire le discours ou le
militantisme en faveur des droits des
Palestiniens et du BDS n’ont aucun
fondement. Ces tentatives ne sont rien
d’autre que de l’intimidation et de la
censure, comme le reconnaissent même des
dirigeants de l’Union européenne.
Le plaidoyer pour le BDS est
légal
En 2016, la Commission européenne,
l’organe exécutif de l’Union européenne,
a affirmé que les « actions BDS »
au sein de ses États membres sont
protégées en tant que « liberté
d’expression et liberté d’association,
conformément à la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne ».
Federica Mogherini, chef de la
politique étrangère de l’UE, a récemment
réaffirmé cette position dans ce que le
journal Haaretz décrit comme « une
lettre personnelle, aux mots tranchants »
adressée au ministre israélien des
Affaires stratégiques d’Israël, Gilad
Erdan.
Le ministère d’Erdan conduit
l’effort global d’Israël visant à
contrecarrer le militantisme qui
soutient les droits des Palestiniens.
La lettre de Moguerini a repoussé
les allégations « vagues et infondées »
avancées par Israël dans un rapport
publié par le ministère d’Erdan,
accusant l’UE de financer le terrorisme
et les activités de boycott contre
Israël via des organisations à but non
lucratif.
« Les
allégations comme quoi l’UE soutiendrait
l’incitation ou le terrorisme sont
infondées et inacceptables ». Et
Mogherini ajoute : « Le titre du
rapport lui-même est également
inopportun et trompeur ; il mélange le
terrorisme avec la question du boycott
et il crée une confusion inacceptable
aux yeux du public qui fait face à deux
phénomènes distincts ».
Tenter de diffamer
les militants du BDS comme étant
associés au « terrorisme » a été une
tactique clé de la Fondation pour la
défense des démocraties, le groupe qui
œuvre avec le gouvernement israélien et
auquel Weinthal est affilié.
Alors que l’UE
elle-même s’oppose à des boycotts contre
Israël, Moherini affirme : « cependant,
qu’une organisation ou un individu soit
simplement lié au mouvement BDS ne
signifie pas que cette entité soit
impliquée dans l’incitation à commettre
des actes illégaux, ni qu’elle se rende
elle-même inéligible au financement de
l’UE ».
La représentante de
l’UE confirme une fois encore qu’un tel
plaidoyer est une expression protégée.
Alors pourquoi
PayPal aide-t-elle Israël et ses
substituts à réduire au silence celles
et ceux qui soutiennent les droits de
Palestiniens ?
Ali Abunimah est
directeur exécutif de The Electronic
Intifada.
Traduction : JPP pour l’Agence Média
Palestine
Source:
Electronic Intifada
Le sommaire d'Ali Abunimah
Le
dossier BDS
Les dernières mises à jour
|