BDS
Ne félicitez pas le groupe islandais
Hatari
d’avoir violé le boycott de l’Eurovision
Ali Abunimah
Agiter un drapeau palestinien ne
compense pas un refus de respecter un
piquet de grève
Mardi 21 mai 2019 Le groupe islandais
Hatari a capté beaucoup d’attention
pendant la finale du concours de chant
de l’Eurovision samedi soir avec leur
coup consistant à brandir brièvement des
écharpes avec le drapeau palestinien
devant les caméras de télévision.
Ils ont été
couverts de louanges extatiques sur les
réseaux sociaux, mais cela ne devrait
pas obscurcir la réalité : à savoir que
Hatari a franchi le piquet de grève
demandé par la société civile
palestinienne.
En réalité, ce
qu’ils ont fait était un acte
d’anti-solidarité qui, en définitive,
cause du tort aux actions palestiniennes
pour mettre fin au régime de plus en
plus violent et impudent d’occupation,
de colonialisme et d’apartheid d’Israël.
La question n’est
pas difficile : si un syndicat appellait
à une grève et que quelques ouvriers
décidaient de franchir le piquet de
grève, mais braquaient leurs badges
syndicaux devant les grévistes en un
« acte de solidarité », tout le monde
comprendrait que les briseurs de grève
sont quand même des jaunes.
Leur utilisation de
symboles syndicaux pour couvrir leur
trahison serait à juste titre perçue
comme du sel sur une blessure et leur
vaudrait le mépris des ouvriers en
grève.
Le point d’une
action collective comme une grève ou un
boycott est que le coût pour
l’oppresseur de violer les droits de
l’opprimé augmente assez pour forcer
l’oppresseur à arrêter l’oppression.
Briser une grève
sape le principe et l’efficacité de
l’action collective — que ce soit une
grève par des ouvriers contre un
employeur abusif, ou un boycott demandé
par un peuple luttant pour son existence
même.
Offrir un
laissez-passez aux briseurs de grèves
envoie aux autres le message que c’est
ok de franchir un piquet de grève, que
les briseurs de grèves peuvent avoir le
beurre et l’argent du beurre en
acceptant les bénéfices de la collusion
avec l’agresseur et en même temps être
quand même félicités, alors qu’ils
causent du tort au collectif.
De plus quand le
mouvement BDS – bocyott,
désinvestissement et sanctions — subit
une attaque sans précédent d’Israël et
de ses alliés européens et américains
qui le salissent comme étant antisémite,
il est plus important que jamais de
défendre cette forme de solidarité.
Que BDS soit un
mouvement non violent, universaliste et
anti-raciste n’a pas empêché quelques
politiciens occidentaux de le
diffamer.
Priés de
boycotter
Et pourtant il
semble qu’une brève apparition d’un
drapeau palestinien engendre une émotion
si forte chez certains que leur capacité
à penser clairement à propos de ces
actes et de leurs conséquences
s’évapore.
Donc soyons clairs
sur ce qui s’est passé.
En avril, PACBI, la
Campagne palestinienne pour le boycott
académique et culturel d’Israël,
a demandé à Hatari de ne pas y
aller.
PACBI a déclaré : «
Les Palestiniens appellent tous les
concurrents de l’Eurovision à se retirer
de la compétition dans le Tel Aviv de
l’apartheid ».
« Ceci inclut le
candidat d’Islande Hatari, en
particulier, qui officiellement soutient
les droits palestiniens ».
« Les artistes qui
insistent pour franchir le piquet de
grève du boycott, se produisant à Tel
Aviv au mépris de nos appels, ne peuvent
contrebalancer le mal qu’ils causent à
notre combat pour les droits humains en
‘compensant’ leur acte complice par
quelque projet avec les Palestiniens »,
a ajouté PACBI.
« La société civile
palestinienne rejette massivement cette
addition d’une feuille de vigne, ayant
tiré les leçons de la lutte contre
l’apartheid en Afrique du Sud ».
En plus, il y a eu
en coulisses de longues discussions avec
Hatari.
Le groupe a visité
la ville de Hébron, en Cisjordanie
occupée, où un membre du groupe,
Matthias Haraldsson,
a décrit la situation comme un «
apartheid ».
Malgré cela, Hatari
est allé faire exactement ce que les
Palestiniens leur avaient demandé de ne
pas faire : ils ont franchi le piquet de
grève et ont essayé de compenser cet
acte par ce geste feuille-de-vignes que
d’agiter des drapeaux.
La réponse de PACBI
à l’action d’Hatari a été cohérente avec
la position communiquée au groupe avant
le concours.
Une louange
déplacée
Pourtant de
nombreuses personnes peut-être bien
intentionnés, y compris des Palestiniens
comme le militant
Issa Amro à Hébron, ont réagi avec
approbation.
D’autres réactions
ont peut-être été plus cyniques : le
bureau londonien de l’Autorité
palestinienne
a affirmé que « la démonstration de
solidarité de Hatari avec la Palestine a
montré que la politique de gestion de
conflit d’Israël (i. e. que les
Palestiniens peuvent rester sous
occupation et que la vie continuera) est
un échec total ».
C’est ironique
étant donné la manière dont l’Autorité
palestinienne n’a pratiquement rien fait
pour s’opposer à ce que l’Eurovision ait
lieu à Tel Aviv et qu’elle collabore
avec les forces d’occupation
israéliennes pour
supprimer manifestations et résistance,
et par là soutient l’occupation, sous la
rubrique «
coordination de la sécurité ».
Mustafa Barghouti,
un politicien cisjordanien qui a
autrefois été candidat à la présidence
de l’Autorité palestinienne, a loué
Hatari sur les ondes en Islande,
affirmant que leur agitage de
drapeau avait « touché les coeurs des
Palestiniens ».
Barghouti a dit que
même si « notre position en principe »
est que les groupes auraient dû
boycotter l’Eurovision, il avait
contacté Hatari pour les remercier de ce
qu’ils ont fait.
Barghouti aussi
veut le beurre et l’argent du beurre,
affirmant que le boycott est une affaire
de principe, mais félicitant ceux qui
violent le principe. Quelle sorte de
principe est-ce donc ?
Sa justification
était que si Hatari avait choisi de ne
pas franchir le piquet de grève, un
autre groupe aurait représenté l’Islande
et qu’alors le drapeau palestinien ne
serait pas apparu sur scène.
J’ai entendu cet
argument à de nombreuses reprises sur
les réseaux sociaux et c’est un non
sens, même quand on met de côté le
principe essentiel de ne pas franchir un
piquet de grève, lorsqu’un groupe
opprimé le demande.
A part un stimulant
émotionnel momentané, à quoi sert une
brève vision d’un drapeau palestinien ?
Etant donné la
profondeur de la complicité
internationale dans les violations
horribles et les
massacres constants de Palestiniens par
Israël, nous devrions être au-delà
du point où nous pouvons nous emballer
pour un tel symbolisme.
Après tout, le
drapeau de l’ « Etat de Palestine » a
flotté aux Nations Unies depuis des
années, et pourtant cela n’a absolument
rien fait pour que les Nations Unies
devienne une organisation plus efficace
pour faire rendre des comptes à Israël.
De fait,
la complicité onusienne avec les
crimes d’Israël n’a fait que s’aggraver.
Une opportunité
ratée
Si Hatari avait
décidé de se retirer de l’Eurovision la
nuit du concours, ou même le jour
d’avant, il n’y aurait pas eu moyen de
faire venir un numéro alternatif, étant
donné le nombre de
répétitions et la logistique
nécessaires.
Et même si des
briseurs de grève les remplaçaient, le
retrait de Hatari aurait dominé les gros
titres et mis une pression sur d’autres
— particulièrement sur Madonna — pour
qu’ils remettent en cause leur spectable.
Cela aurait boosté le mouvement BDS de
manière stratosphérique.
L’appel au boycott
palestinien et les manifestations autour
de l’Eurovision ont obtenu une
gigantesque quantité de couverture de
presse et de soutien, et le retrait
de Hatari aurait fait une histoire
encore plus importante.
Hatari aurait pu
porter un immense camouflet à la
tentative d’Israël de présenter
l’Eurovision comme « non politique » et
distrayant, même si Israël et ses alliés
de l’Union européenne
exploitent sans vergogne le concours
pour avancer leurs agenda pro-Israël.
Au lieu de cela,
tant Hatari que Madonna se sont
contentés d’actions sans effet qui
faisaient plus pour couvrir leur propre
complicité que pour avancer toute prise
de conscience ou action réelles pour
changer la réalité palestinienne.
Madonna – dans une
démarche
non autorisée – a mis deux danseurs
s’enlaçant, une avec un drapeau
palestinien dans le dos, l’autre avec un
drapeau israélien.
Il est difficile
d’imaginer un message plus creux ou plus
nuisible, qui met sur le même pied
l’oppresseur et l’opprimé.
Au-delà du
symbolisme
La solidarité
réelle signifie écouter ce que les
Palestiniens demandent — pourtant
beaucoup préfèrent sermonner et
instruire les Palestiniens plutôt que
les écouter.
Dans le cas
présent, la solidarité aurait voulu dire
boycotter l’Eurovision, ce qui n’est
vraiment pas demander grand chose. Mais
c’était plus que ce qu’Hatari pouvait
offrir. Ainsi soit-il, mais n’en faisons
pas des héros.
Plus important,
n’envoyons pas aux autres artistes le
message que la complicité avec
l’oppression des Palestiniens est une
affaire mineure facilement oubliée et
pardonnée. Ou que cela ne pose pas de
problème si vous violez le boycott, du
moment que vous agitez un drapeau
palestinien.
Si les Palestiniens
continuent à accepter des gestes vides
et un symbolisme bon marché de leurs
prétendus alliés ils resteront pour
toujours sous l’oppression israélienne.
ils doivent réclamer et attendre une
solidarité réelle et c’est ce qu’est
BDS.
Nous n’essayons pas
seulement de nous sentir bien, nous
essayons de mettre fin réellement à
l’apartheid. Pendant la lutte
sud-africaine,
tout le monde n’a pas respecté le
boycott culturel. Mais, à juste
titre, on se souvient aujourd’hui avec
dédain de ceux qui ont choisi de
profiter de l’apartheid.
C’est un cliché –
répété la nuit de l’Eurovision par
Madonna – que la musique « rapproche les
peuples ». Dans le cas de l’Eurovision,
la musique était utilisée comme une
couverture à l’oppression et à
l’apartheid.
Mais cela ne veut
pas dire qu’elle a tort. La musique, la
danse et les célébrations jouent un rôle
important dans n’importe quelle lutte de
libération et construisent la
solidarité.
Un exemple réel de
cela a été le concert alternatif «
You’re a Vision » qui a eu lieu en
Irlande à guichets fermés en soutien à
la Palestine. C’était l’un des nombreux
événements de ce genre dans toute
l’Europe.
C’est à cela que
ressemble la solidarité en musique.
Ali Abunimah est le
co-fondateur de The Electronic Intifada
et l’auteur de
The Battle for Justice in Palestine,
paru chez Haymarket Books. Il a aussi
écrit
One Country: A Bold-Proposal to End the
Israeli-Palestinian Impasse. Les
opinions exprimées ici sont les siennes
seulement.
(Traduction CG pour
BDS France Montpellier)
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