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Accords de Minsk: le choix de l’Eurasie
?
Alexandre Latsa
© AP Photo/ Alexander
Zemlianichenko, Pool
Lundi 16 février 2015
Lorsque le mur de Berlin s’est
écroulé, et avec lui l'URSS, rien ne
semblait pouvoir empêcher
l’américanisation de l’ancien monde
soviétique, c’est-à-dire la victoire de
McDonald's, de l’anglais comme langue
globale et quasi-unique, et du dollar
comme seule monnaie de référence.
Rien ne semblait
surtout pouvoir entraver la marche en
avant du capitalisme ultralibéral et de
la démocratie à la mode américaine. Dans
le monde unipolaire ainsi créé, la prise
de contrôle par l'Otan des gigantesques
territoires qui s'étendent de l'est de
la Vistule et jusqu'au pacifique
paraissait inévitable.
En une décennie,
cet "agenda idyllique" a été totalement
bouleversé par des événements
historiques complètement imprévus. Il y
a eu le 11 septembre 2001 et les efforts
de guerre qui en ont découlé pour les
occidentaux. Les interventions
militaires dans le monde musulman n'ont
pas eu le succès attendu, elles ont
coûté très cher, et ont finalement semé
le chaos dans la région. Sur le plan
économique, l'essor implacable de la
Chine a largement dépassé toutes les
prévisions, et le modèle économique et
financier "capitalatlantiste" a montré
ses limites en provoquant la crise de
2008, appelée "great recession" par les
anglo-saxons.
Pourtant, la
politique américaine à l'égard de
l'Europe et de l'Eurasie n'a pas changé.
L'extension de l'Otan vers l'Est s'est
poursuivie, se superposant à l'extension
de l'Union européenne. En conséquence,
nombre de commentateurs voient désormais
Bruxelles comme un simple sas d'entrée
destiné à pré-intégrer des Etats au sein
de la communauté euro-atlantique et de
l'Alliance militaire sous domination
américaine.
Durant la première
décennie du siècle, les vagues
d'extension de l'Union européenne et de
l'Otan et les déstabilisations
orchestrées au cœur de l'ancien monde
soviétique n'ont pourtant pas empêché
Moscou de chercher à se rapprocher de
l'Europe, considérée en Russie comme un
partenaire stratégique et économique
prioritaire. Mais le réveil russe et la
volonté de Moscou de réanimer sa sphère
d'influence tout autant que de
pérenniser et sécuriser son étranger
proche se sont malgré tout heurtés avec
une intensité croissante à l'extension
politico-militaire de l'Otan et de
Bruxelles.
Sans trop de
surprise, on a constaté que les
opérations militaires de 2008 en Géorgie
et la lente dégradation des relations
entre Russie et Occident, mais aussi
entre Russie et Europe, ont incité
Moscou à accélérer la constitution d'un
pôle eurasien russo-centré, qui permet
désormais à Moscou d'affirmer sa
spécificité entre Europe et Asie et son
agenda propre.
Le coup d'Etat de
2013 en Ukraine a entraîné une
réorientation stratégique du pays, ce
qui a fait naître plusieurs menaces
évidentes pour la Russie. Dès le début
des événements, les occidentaux ont
considéré que c'était un coup d'Etat
démocratique qui augurait en Ukraine la
fin de la "période prorusse", un accord
économique avec l'Union européenne et un
éventuel rapprochement avec l'Otan.
La Russie ressent
actuellement des menaces directes sur le
plan militaire puisque la rapide
dégradation de la situation en Ukraine a
plongé le pays dans une guerre civile
qui se déroule loin des USA, tout près
de l'Union européenne, mais à proximité
immédiate de la frontière russe. De même
sur le plan économique, puisqu'en cas
d'intégration de l'Ukraine dans une zone
de libre-échange avec l'UE, ce sont tous
les accords bilatéraux qui existent
entre la Russie et l'Ukraine qui
seraient menacés. Enfin, pour Moscou,
cette déstabilisation sur sa frontière
se déroule au cœur du monde russe, parce
que les liens entre Russie et Ukraine
sont tout autant civilisationnels que
charnels.
Le conflit
militaire en Ukraine, qui met
indirectement aux prises le monde
occidental américano-centré et le monde
russo-centré, a placé l'Europe devant un
dilemme historique. D'un côté nos
gouvernements européens se sont soumis à
l'atlantisme régnant qui a fait de
l'Europe une tête de pont américaine;
mais d'un autre côté, la facture
s'annonce très lourde pour les nations
européennes. Les sanctions instaurées et
les mesures de rétorsion russes ont
engagé Europe et Russie dans une
relation perdant-perdant qui s'aggrave,
sans apporter aucune amélioration à la
situation sur le terrain en Ukraine.
D'un point de vue historique et plus
global, l'affaire ukrainienne a surtout
réduit à néant le projet de partenariat
qui aurait dû émerger entre l'Europe et
la Russie, partenariat imaginé par les
élites russes et européennes depuis les
années 90.
La volonté
manifeste de Paris et Berlin de trouver
une solution au conflit traduit
parfaitement l'évolution de la situation
sur le terrain. En effet, la situation
militaire ne tourne pas à l'avantage de
Kiev (ses troupes sont encerclées au
nord de Donetsk, l'armée est démoralisée
et les fédéralistes gagnent du terrain)
et le printemps pourrait donner lieu à
un nouvel assaut des fédéralistes, qui
pourraient sans doute considérablement
agrandir la zone qu'ils contrôlent.
Il y a urgence
parce que la proposition américaine de
livrer des armes au gouvernement
ukrainien pourrait être interprétée par
le président Poroshenko comme sa
dernière chance de poursuivre et surtout
de gagner cette guerre. Mais ces
livraisons d'armes seraient un pas de
plus vers une intensification du conflit
que ni Berlin, ni Paris ne souhaitent.
Un tournant s'est
peut-être produit à Minsk dans la nuit
du 12 au 13 février 2015. Berlin et
Paris ont peut-être arraché un accord de
cessez-le-feu décisif, au moment où les
USA proposaient des livraisons d'armes.
Comme en 2003 lors de la guerre en Irak,
la vieille Europe témoigne de sa
capacité à déployer une politique
indépendante, au moins sur le plan
diplomatique. Peut-on espérer qu'il s'agisse d'un retournement politique et stratégique
de fond, et que Berlin et Paris sont à
nouveau disposés à réanimer le projet
d'un axe « Paris-Berlin-Moscou » qui
projetterait l'Europe vers l'Eurasie? Il
est sans doute trop tôt pour le dire,
mais ce serait un pas décisif vers un
monde multipolaire.
© 2015 Sputnik Tous droits réservés.
Publié le 21 février 2015 avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire d'Alexandre Latsa
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