Nouvelles d'Orient
« Terrorisme » à géométrie variable
Alain Gresh
Photo:
D.R.
Dimanche 19 octobre 2014
« Une guerre mondiale contre
le terrorisme » : c’est le mot
d’ordre de la communauté
internationale. Depuis
treize ans, cette guerre a
abouti à une augmentation de la
violence dans la région, et au
chaos. Cette fois, la campagne
rassemble à peu près tous les
pays du monde, des Etats-Unis à
l’Arabie saoudite, de la France
à la Chine, de la Russie à
l’Egypte, du Qatar au Maroc. Le
seul problème est que personne
n’est d’accord sur les objectifs
de cette guerre, ni sur ce que
recouvre ce mot —
« terrorisme ». Je l’ai écrit
souvent, dès le
début de ce blog en 2006, le
« terrorisme » est un concept
vide de sens.
Lire « “Guerre
contre le terrorisme”, acte III »,
Le Monde diplomatique,
octobre 2014, en kiosques. Nous
en avons eu ces derniers jours
deux confirmations. Le premier
au Kurdistan syrien. Les
Etats-Unis ont confirmé qu’ils
coordonnaient leurs
bombardements sur Kobané, la
ville attaquée par
l’Organisation de l’Etat
islamique (OEI), avec les
combattants locaux. Comme le
confirme Radio France
Internationale (RFI), le
17 octobre (« Les
Américains rencontrent les
Kurdes, tout en ménageant Ankara ») :
« La porte-parole du
département d’Etat a pour sa
part révélé que les Américains
avaient eu à Paris leurs
premiers contacts directs avec
des Syriens kurdes, représentant
le Parti de l’union démocratique
(PYD), dont une milice combat
actuellement les intégristes à
Kobané. Le problème est que ce
parti se rapproche, à la faveur
des récents événements, du Parti
des travailleurs du Kurdistan,
le PKK, ennemi juré de la
Turquie. » Ce que l’article
ne dit pas, c’est que le PYD,
comme le PKK, est classé par
Washington et Bruxelles sur la
liste des organisations
terroristes. Ainsi donc,
l’Occident peut avoir une
coordination militaire avec des
organisations terroristes. Quant
au régime turc, qui ces
dernières semaines a changé sa
politique à l’égard des Kurdes,
il avait lui-même ouvert
une négociation avec les
« terroristes » du PKK il y a
deux ans.
Autre exemple — en dehors de
la région qui nous occupe —, le
Nigeria. On a entendu, depuis
des mois, parler des exactions
de Boko Haram [1],
notamment l’enlèvement de jeunes
filles, mais aussi des massacres
de villageois. Or RFI
annonce, le 18 octobre, un
cessez-le-feu entre les
autorités nigérianes et Boko
Haram sous l’égide du Tchad :
« Les deux parties ont accepté
le principe d’un règlement de
leur différend par le dialogue
et convenu de poser des actes de
bonne volonté. »
« Selon Ndjamena,
poursuit l’article, “la
récente libération des otages
chinois et camerounais et
l’annonce d’un cessez-le-feu
constituent la concrétisation de
ces engagements”. Les
pourparlers, d’après les
Tchadiens, ont “prévu également
la libération par Boko Haram des
jeunes filles enlevées à Chibok
et celles de certains partisans
de ce groupe détenus dans les
prisons nigérianes”. Mais les
modalités de ces libérations
doivent encore être décidées. »
Il serait donc possible de
discuter avec cette organisation
que les médias occidentaux ont
présenté, depuis des mois, comme
la quintessence du mal. Bien
sûr, nul ne sait si le dialogue
aboutira, mais le gouvernement a
en tout cas décidé que c’était
la voie à suivre.
Le danger, avec ce terme de
« terrorisme, “à dimension
variable” », c’est qu’il empêche
la réflexion politique et donc
toute stratégie efficace [2].
Lire Jacques Derrida, « Qu’est-ce
que le terrorisme ? », Le
Monde diplomatique,
février 2004. Quelques mois
avant sa disparition en octobre
2004, il y a tout juste dix ans,
le philosophe français Jacques
Derrida rencontrait l’Allemand
Jürgen Habermas pour penser le
« concept » du 11-Septembre.
Leur dialogue philosophique,
retranscrit dans les colonnes du
Monde diplomatique,
mérite d’être (re)lu
aujourd’hui [3] :
« La terreur organisée,
provoquée, instrumentalisée, en
quoi diffère-t-elle de cette
peur que toute une tradition, de
Hobbes à Schmitt et même à
Benjamin, tient pour la
condition de l’autorité de la
loi et de l’exercice souverain
du pouvoir, pour la condition du
politique même et de l’Etat ? »
« Briser le cloisonnement
des domaines de compétence,
solliciter en même temps
l’économiste et le poète, le
sociologue et l’artiste ;
chacun enrichit la
compréhension des autres et
ferme la porte à ce poison
de la culture
contemporaine :
l’information-spectacle »
Claude Julien, ancien
directeur du « Diplo »
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