Quand la
« gauche » devient néoconservatrice
Islamo-fascisme.
Manuel Valls meilleur que George W. Bush
Alain Gresh
Photo: D.R
Mardi 17 février 2015
« Pour combattre cet
islamo-fascisme, puisque c’est ainsi
qu’il faut le nommer, l’unité doit être
notre force. Il ne faut céder ni à la
peur, ni à la division. Mais il faut en
même temps poser tous les problèmes :
combattre le terrorisme, mobiliser la
société autour de la laïcité, combattre
l’antisémitisme (…) Il faut
désormais une rupture. Il faut que
l’islam de France assume, qu’il prenne
totalement ses responsabilités, c’est ce
que demandent d’ailleurs l’immense
majorité de nos compatriotes
musulmans. » C’est ainsi que Manuel
Valls s’est exprimé le
lundi 16 février.
Lire aussi Pierre Conesa, « Comment
tarir les sources du recrutement
salafiste armé », Le Monde
diplomatique, février 2015, en kiosques. Je
me contenterai ici, pour l’essentiel de
reprendre des extraits de textes que
j’ai déjà publiés [1].
En rappelant tout d’abord que c’est
Oriana Fallaci qui fut la première à
introduire ce terme,
« islamo-fascisme », elle qui défendra
des thèses ouvertement racistes à la fin
de sa vie, comme le rappelle sa notice
biographique
sur Wikipedia :
« De nombreuses formulations de
son essai La Rage et l’Orgueil
(Plon, 2002) lui sont reprochées, comme
“il y a quelque chose, dans les hommes
arabes, qui dégoûte les femmes de bon
goût”, ou encore : “Au lieu de
contribuer au progrès de l’humanité,
[les fils d’Allah] passent leur temps
avec le derrière en l’air à prier cinq
fois par jour.” Dans cet ouvrage, les
musulmans sont également comparés à des
nouveaux croisés et elle affirme que les
imams sont “d’une manière ou d’une autre
les guides spirituels du terrorisme”. À
propos des mosquées elle écrit que
“surtout en Italie (…) elles
grouillent jusqu’à la nausée de
terroristes ou aspirants terroristes”.
Elle affirme enfin que les Arabes sous
couvert de migrations envahissent
l’Europe pour propager l’islam et elle
conclut en affirmant que les musulmans
“se multiplient comme des rats.” »
Charlie-Hebdo publia une critique
élogieuse de ce livre.
L’administration américaine du
président Bush et les néoconservateurs
responsables du désastre irakien
reprirent ce terme, comme je l’avais
rappelé
sur ce blog. Ainsi dans un discours
prononcé le 29 août 2006, le président
George W. Bush affirmait que, en Irak,
les Etats-Unis étaient en guerre contre
le fascisme islamique. Après avoir
évoqué Al-Qaida, le Hamas, le Hezbollah,
le président expliquait : « Malgré
leurs différences, ces groupes forment
un mouvement unique, un réseau mondial
de radicaux qui utilisent la terreur
pour tuer ceux qui se mettent sur le
chemin de leur idéologie totalitaire. Et
les caractéristiques unificatrices de
leur mouvement, le lien qui surmonte les
divisions confessionnelles et les
revendications locales, est la
conviction ferme que les sociétés libres
sont une menace pour leur visions
déformées de l’islam. La guerre que nous
livrons aujourd’hui est plus qu’un
conflit militaire. C’est la lutte
idéologique décisive du XXIe siècle. »
Dans
le même blog dont cet extrait est
tiré, je rappelais le manifeste publié
par L’Express, de douze
intellectuels dont Bernard-Henri Lévy [2],
Philippe Val, Caroline Fourest, Salman
Rushdie, Antoine Sfeir…, manifeste
intitulé « Ensemble contre un nouveau
totalitarisme » qui affirmait que nous
étions engagés dans une troisième guerre
mondiale, après avoir vaincu le fascisme
et le stalinisme. Que Caroline Fourest
l’ait signé n’étonnera personne, qu’elle
soit devenue la référence de Manuel
Valls pourrait surprendre si on ne
connaissait pas
l’itinéraire de cet homme qui fait
perdre toute signification au
qualificatif “de responsable de gauche”,
pour ne pas dire qu’il le déshonore.
Pour répondre à ces absurdités
dangereuses, laissons la parole au
Counter Terrorism Communication Center,
un centre officiel américain qui a
publié, en date du 14 mars 2008, un
document tirant les leçons de la
faillite de la propagande américaine
(leçons qui ont sans doute échappé à
Valls) et fixant de nouvelles règles de
vocabulaire [3].
En voici quelques extraits :
« Ne pas invoquer
l’islam : bien que le réseau
Al-Qaida utilise les sentiments
religieux et essaie de tirer parti de la
religion pour justifier ses actions,
nous devrions le traiter (Al-Qaida)
comme une organisation politique
illégitime, à la fois terroriste et
illégitime ».
« Ne pas toujours parler
de l’identité musulmane :
éviter de désigner chaque chose comme
“musulmane”. Cela renforce le schéma
“les USA contre l’islam” que Al-Qaida
promeut. Soyons plus précis (égyptien,
pakistanais) et plus descriptifs (la
jeunesse de l’Asie du sud, les leaders
de l’opinion arabe) chaque fois que
c’est possible ». (…)
« Eviter les terminologies
floues et insultantes : nous
communiquons avec le public, nous ne
voulons pas une confrontation avec lui.
Ne l’insultons pas et n’ajoutons pas à
la confusion en utilisant des termes
comme “islamo-fascisme” qui sont
considérés comme insultants par beaucoup
de musulmans ».
Mais Manuel Valls, qui se voit en
chef de guerre à la tête d’une croisade
occidentale, n’a que faire de ces mises
en garde.
Notes
[1]
Cf. notamment « “Terrorisme” »,
31 août 2006. Lire aussi Stefan Durand,
« Fascisme,
islam et grossiers amalgames »,
Le Monde diplomatique,
novembre 2006.
[2]
Voir notre dossier Internet, « L’imposture
Bernard-Henri Lévy ».
[3]
Cf. « Words
that Work and Words that Don’t : A Guide
for Counterterrorism Communication »
(PDF) et, sur ce blog, « Terrorisme,
islam et communication ».
A quoi sert
« Le Monde diplomatique » ?
A apprendre et à comprendre.
A donner un peu de cohérence
au fracas du monde là où
d’autres empilent des
informations.
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