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Fracture
politique
Maha Al-Cherbini
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Une fois la guerre finie, l'heure, en Israël,
est au règlement de comptes et aux révisions stratégiques. En
un mot, l'heure est au bilan de cette guerre, qui en 34 jours, a
eu de graves séquelles pour une société qui ne tolère pas les
pertes humaines. Liste des dégâts : 160 morts israéliens, dont
41 civils, un millier de blessés, un million de réfugiés, en
plus des dégâts économiques importants. Un bilan qui paraît dérisoire
par rapport au millier de morts civils libanais et à la
destruction du pays du Cèdre. Cela dit, il s'agit pour les Israéliens
d'un bilan impardonnable, surtout quand les deux objectifs
principaux de la guerre, le désarmement du Hezbollah et la libération
des deux soldats israéliens enlevés, ne sont pas atteints.
Résultat : l'étau se resserre autour du
gouvernement d'Ehud Olmert et des plus hauts échelons politique
et militaire, de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer la démission
d'Olmert.
« Il est difficile de pronostiquer la chute du
gouvernement à l'heure actuelle. Mais, on peut dire que le
cabinet Olmert est dans une situation très critique car il n'a pu
ni désarmer le Hezbollah, ni tuer Hassan Nasrallah, ni même défendre
son pays contre les attaques quotidiennes du Hezbollah. Au
contraire, les Israéliens ont perdu confiance dans l'armée et
ont commencé à changer la vision qu'ils ont de leurs voisins et
de leur propre force », analyse le Dr Mohamad Abdel-Salam, expert
à l'unité militaire du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques
d'Al-Ahram (CEPS). Selon le Dr Abdel-Salam, si la popularité d'Olmert
continue de chuter, il pourrait démissionner ou bien demander
l'organisation d'élections anticipées, ce qui causerait une
crise politique « car la formation d'un nouveau gouvernement ne
serait pas du tout facile. Et puis, qui pourrait être choisi
comme premier ministre ? Personne à l'heure actuelle », conclut
le Dr Abdel-Salam.
Dans une tentative de minimiser la crise, le
vice-premier ministre travailliste, Shimon Pérès, a, lui, estimé
que son pays était sorti de la guerre « en bon état sur le plan
militaire et en meilleur état sur le plan politique ».
Or, la rue israélienne réclame des réponses
à de nombreuses questions : Pourquoi les objectifs de la guerre
n'ont pas été réalisés ? Pourquoi a-t-elle duré 34 jours,
alors qu'en principe, elle ne devait durer que 3 jours, comme
l'avait promis Olmert ? Comment le Hezbollah a-t-il réussi à
bombarder le nord d'Israël avec 3 000 roquettes en un mois ? Tant
de questions qui ne trouvent aucune réponse chez le corps
politique, d'où une chute foudroyante de la popularité du
premier ministre et de son ministre de la Défense. Selon
plusieurs enquêtes publiées cette semaine, seuls 45 % des Israéliens
sont satisfaits de la politique d'Olmert, alors qu'ils dépassaient
les 75 % au début de l'offensive israélienne contre le Liban.
Quant au ministre de la Défense, Amir Peretz, sa popularité a
chuté de 65 % à 37 %. La presse et la rue israéliennes parlent
des « graves manquements » dans la conduite de la guerre,
mettant en garde le pouvoir contre une vague de protestation
populaire semblable à celle qui avait suivi la guerre d'Octobre
1973 contre l'Egypte et la Syrie. Des centaines de manifestants
ont réclamé, vendredi, la démission du premier ministre israélien,
lui reprochant la façon dont il avait conduit la guerre.
Une crédibilité entamée
Pour calmer l'opinion publique, le ministre de
la Défense, Amir Peretz, a ordonné vendredi la création d'une
commission d'enquête sur la conduite de la guerre où lui-même,
Ehud Olmert et le chef d'état-major, le général Dan Haloutz,
doivent se justifier devant un bon nombre d'avocats et d'experts.
Un des lieutenants engagés dans la guerre a fait apparaître de
graves défaillances dans la conduite de l'offensive tant au
niveau de la logistique qu'à celui du commandement. « Les ordres
étaient trop confus. On nous dit de monter à l'assaut d'un
village. Cela se passe mal, des soldats se font tuer. On nous dit
alors d'en sortir précipitamment et de tenter notre chance dans
un autre », relate-t-il, déplorant l'image du soldat israélien
qui a paru sur toutes les chaînes de télévision, pleurant en
sanglots : « L'image d'une armée israélienne forte et sans
faille est à jamais ternie », ajoute-t-il.
Plus graves encore sont les accusations portées
à l'encontre du général Dan Haloutz soupçonné d'avoir vendu
ses actions quelques heures avant le déclenchement du conflit.
L'indice israélien avait plongé de 8,3 % dans la Bourse de
Tel-Aviv : « Il est vrai que j'ai vendu mon portefeuille
d'actions le 12 juillet, mais il est impossible de faire le lien
avec la guerre », se défend le général.
En outre, la crédibilité du gouvernement a été
affectée par des scandales dont le plus récent devrait entraîner
l'inculpation du ministre de la Justice, Haïm Ramon, pour harcèlement
sexuel.
Autre point censé affaiblir le gouvernement.
Les ratés de la guerre au Liban ébranlent le gouvernement israélien
qui a admis qu'un retrait en Cisjordanie, point central de son
programme électoral, n'était plus à l'ordre du jour. M. Olmert
a confié, cette semaine, à son entourage qu'il était «
inopportun » de relancer ce plan, et que le gouvernement
donnerait la priorité à la réparation des dommages de la guerre
dans le nord. « M. Olmert estime en effet qu'il y a trop peu de
chances pour que l'opinion accepte son plan de retrait unilatéral
en Cisjordanie après qu'Israël a été la cible par des tirs de
roquettes à partir de deux territoires d'où l'armée s'était
retirée unilatéralement, le Sud-Liban, en mai 2000, et la bande
de Gaza, en septembre 2005 », analyse le Dr Hicham Omar,
professeur à la faculté des sciences politiques, à l'Université
du Caire, ajoutant que l'annulation du plan de retrait, qui
constitue un point central du programme électoral d'Olmert,
affaiblirait davantage sa crédibilité aux yeux de son peuple.
Outre un désaveu de l'opinion publique, la
coalition au pouvoir (Kadima-Travaillistes) fait face aux
critiques des autres formations politiques. Cette semaine, le chef
du Likoud (droite conservatrice), Benyamin Netanyahu, a lancé une
critique acerbe contre le cabinet au pouvoir : « Il faut le dire
clairement. Il y a de nombreux échecs : incapacité à identifier
la menace, incapacité à se préparer pour affronter cette
menace, échec de la gestion de la guerre, échec de la gestion du
front intérieur ... ». En fait, depuis le début de l'offensive
israélienne, l'opposition s'est abstenue de critiquer la
politique du premier ministre. Même le Likoud s'était rangé
derrière le gouvernement, en prônant l'union nationale. Or,
aujourd'hui, les dirigeants de l'opposition attribuent au premier
ministre les revers militaires et diplomatiques subis par Israël
et réclament sa démission. Ils estiment notamment que le projet
de résolution adopté par le Conseil de sécurité de l'Onu équivaut
à une victoire du Hezbollah, grandement renforcé au sein du
monde arabe.
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Publié avec l'aimable
autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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