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Il y a deux lois : une très rigoureuse pour les Arabes et
l’autre plus tolérante pour le reste du monde »
Propos recueillis par Chaïmaa Abdel-Hamid
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Amin
Al-Mahdi, ancien juge permanent au Tribunal Pénal International (TPI)
pour l’ex-Yougoslavie, estime qu’Israël applique au Liban le
principe de la « guerre globale » qui consiste à tout se
permettre.
Al-Ahram
Hebdo : Du point de vue juridique, les actes d’Israël au Liban
peuvent-ils être considérés comme des crimes de guerre ?
Amin Al-Mahdi : Israël mène une campagne
militaire agressive au cours de laquelle il a commis des crimes de
guerre et des génocides. Cela concerne d’abord son agression
contre la Palestine et aujourd’hui, contre le Liban. Les opérations
militaires au Liban, sous l’alibi de vouloir récupérer ses
soldats enlevés, sont une réaction disproportionnée et injuste.
A supposer qu’Israël ait raison, ce qui est loin de l’être
bien sûr, il a quand même négligé tous les principes de guerre
en ne faisant aucune distinction entre les cibles civiles et les
cibles militaires. C’est l’un des principes de la guerre qui
est tombé ici, celui de la distinction. La proportionnalité a
elle aussi disparu chez les Israéliens. On ne peut pas raser
toute une ville sous prétexte que deux ou trois soldats s’y
cachent. Ce sont les deux principes de base que les Israéliens
ont violés. Ce qui se passe au Liban ou dans les territoires
palestiniens est alors qualifiable de crime de guerre.
Tel-Aviv a osé attaquer des hôpitaux, des écoles
et des institutions publiques sous prétexte qu’ils abritent des
hommes ou des armes du Hezbollah. Israël applique aujourd’hui
au Liban le principe de la « guerre globale » qui était appliquée
pendant la seconde guerre mondiale, et qui consiste à tout se
permettre durant le conflit. Il suffit de se référer aux récentes
déclarations d’Ehud Olmert dans lesquelles il a annoncé
l’intention de son armée de bombarder Beyrouth et non pas même
des objectifs dans la capitale libanaise. Par ces déclarations,
Israël avoue publiquement qu’il commet un crime de guerre par
préméditation. C’est d’ailleurs la nuance qui existe entre
le Hezbollah et les Israéliens.
— De quelle nuance parlez-vous ? Le Hezbollah
a également touché des civils en Israël ...
— Je veux dire que le Hezbollah adopte une
politique de dissuasion, qui consiste à attaquer son ennemi pour
le pousser à arrêter la violence. C’est très compliqué, mais
cela veut dire que le Hezbollah agit en hors-la-loi pour obliger
Israël à respecter le droit humanitaire. Par exemple, lorsque
les Israéliens ont déclaré qu’ils allaient attaquer Beyrouth,
le Hezbollah a répondu que dans ce cas, il attaquerait Tel-Aviv,
pour pousser Israël à revoir sa politique.
— Oui, mais Israël dispose d’une sorte
d’immunité internationale ...
— C’est tout à fait vrai. Et c’est
d’ailleurs pourquoi aucun Israélien n’a jamais été jugé. A
part une commission officielle d’enquête israélienne, qui a
jugé Ariel Sharon parmi d’autres Israéliens, en raison de leur
responsabilité dans les massacres de Sabra et Chatila. Mais la
commission de Kahan avait soigneusement évité toute accusation
de responsabilité directe, et s’est contentée, dans son
rapport publié en 1983, de reprocher à Sharon d’avoir « négligé
le danger d’acte de vengeance et de bains de sang de la part des
Phalangistes contre les populations des camps de réfugiés et
pour ne pas avoir ordonné des mesures appropriées pour prévenir
ou pour le moins réduire le danger du massacre ». On ne devait
pas d’ailleurs s’attendre à plus d’une commission israélienne.
En tout cas, je crois que désormais, il existe deux lois : une très
rigoureuse pour les Arabes et l’autre plus tolérante pour le
reste du monde. Israël est fondé en tant qu’Etat sans frontières
fixes, et c’est illégal. Le mur de séparation en Cisjordanie
est illégal d’après un jugement de la Cour Internationale de
la Justice (CIJ), mais sa construction se poursuit. Et personne ne
réagit .
— Pourquoi ni la Cour internationale de
justice ni la Cour pénale internationale ne peuvent-elles pas
juger Israël ?
— Pour la CIJ, c’est le pays victime lui-même
qui doit faire la démarche. Le Liban, par exemple, a le droit
d’aller porter plainte contre Israël. Nous savons tous qu’Israël
ne va pas se conformer à la décision de la justice, mais le procès
en lui-même ne manquera pas d’avoir un effet. L’affaire est
différente avec la CPI. Celle-ci n’est compétente qu’avec
les pays signataires du statut de Rome. Pour l’instant, seule la
Jordanie l’a signé et ratifié, alors que le reste des pays
arabes et Israël ne l’ont pas fait. Ils attendent peut-être
que cette cour fasse preuve d’efficacité, mais surtout d’indépendance.
Et puis Israël et les Etats-Unis n’ont pas ratifié le statut
de Rome, prenant donc une position claire contre la cour.
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autorisation de AL-AHRAM Hebdo
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