Opinion
Le retour livresque d’un ex du FMI
Ahmed Halfaoui
© Ahmed Halfaoui
Dimanche 7 décembre 2014
Michel Camdessus, Directeur général du
Fonds monétaire international (FMI) de
janvier 1987 à février 2000, vient de
sortir un livre où il est à la fois
témoin et juge de ce que son institution
a fait et du comportement des pays qui
ont subi son emprise. La sortie de
l’ouvrage lui a valu des interviews et a
donné de la matière à la presse
libérale, tant son regard peut pointer
du doigt certains « mauvais élèves ».
Rappelons que Camdessus a dû
démissionner de son poste, avant la fin
de son mandat, et pour cause. Un vent
nouveau s’était mis à souffler, provoqué
par les douloureuses expériences vécues
par les « bons élèves » du FMI. Le 1er
Octobre 1998, au siège du Fonds, M.
Camdessus y allait de son lyrisme, à
propos de l’un de ses « bons élèves »,
il a dit : « L’Argentine a une
histoire à raconter au monde : une
histoire sur l’importance de la
discipline fiscale, des changements
structurels, et une politique monétaire
rigoureusement maintenue ». Quelques
mois après, l’Argentine a raconté au
monde ce qu’il lui est arrivé grâce aux
bons offices du monsieur et de ses
experts. Entre 1998 et 2001, elle avait
mis en œuvre sept plans d'austérité
successifs. En 2002, son produit
intérieur brut chute de 10,9% et 57% de
la population vit en dessous du seuil de
pauvreté, tandis que le taux de chômage
s’emballe. La même année la dette
publique passe de 63% à 135% du PIB. Des
"piqueteros" (pauvres et chômeurs)
revendiquent du pain et du travail en
coupant les routes. Jusqu’à l’explosion
sociale qui a plongé le pays dans le
chaos. Depuis, l’Argentine s’en est
sortie, tant bien que mal, et ne veut
plus entendre parler du FMI, même si
elle en est membre. A ce propos, ces six
dernières années, elle refuse même que
soient menées les évaluations
économiques annuelles du Fonds. Et ce
sera une cascade de catastrophes qui
vont jalonner les pérégrinations du FMI.
Rappelons encore le satisfecit accordé
au régime tunisien de Zine El Abidine
Ben Ali, jusqu’à son effondrement sous
la pression d’une population excédée par
sa politique dévastatrice de ses moyens
de vie. Devant de telles réalités,
l’attitude serait ordinairement au
silence, au mois à l’humilité. Il n’en
est rien. M. Camdessus se permet même de
persifler sur les pays qui ont pu
résister, quelque peu à ses recettes,
même s’ils ont souffrent. Ecoutons-le à
propos de l’Algérie : « ce pays, en
fait, ouvre l’histoire économique de son
indépendance handicapé d’une double tare
: les mirages soviétiques d’une
planification centrale conduisant à de
formidables gaspillages de la rente
pétrolière et un interventionnisme
colbertiste de la pire espèce, hérité de
son colonisateur, dont il ne fera
qu’accentuer les travers ». Le
verdict semble intelligent et bien
intentionné. Il faut comprendre que le
gaspillage de la rente pétrolière est dû
à l’effort de développement d’un secteur
public économique et qu’il aurait pu
être évité, si l’argent du pétrole avait
financé l’investissement privé. Pour le
Colbertisme, il reproche essentiellement
à l’Etat algérien d’avoir protégé le
marché national. En réponse, nous
savons, au moins, que c’est grâce à ses
conseils, qu’une grande part de
l’industrie nationale publique et privée
a été détruite quand l’Algérie a levé le
monopole sur le commerce extérieur. Nous
savons, aussi, que les investissements
privés attendus des réformes structurels
ne sont pas près de se pointer. Il le
sait Camdessus. Interrogé par
magazine-decideurs.com (26 septembre
2014), sur les effets néfastes des
méthodes du FMI, il descend de son
piédestal et avoue qu’il n’est que le
commis d’un système. Voici ce qu’il a
répondu « nous n’avons fait
qu’appliquer les principes d’inspiration
libérale soutenus par la communauté
internationale ». Où est
l’expertise ? S’il y en a une.
Ahmed Halfaoui
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