Opinion
Le « butin de guerre »
Ahmed Halfaoui
© Ahmed Halfaoui
Lundi 1er décembre 2014
En maître des lieux, au 15ème
sommet de l’Organisation internationale
de la francophonie (OIF), prenant à son
compte l’insurrection des Burkinabés, le
président français, François Hollande, a
fait la leçon aux présidents africains
et leur a adressé des avertissements
(contre la tentation de s’accrocher au
pouvoir). Personne ne lui a demandé
d’expliquer en quoi l’OIF l’autorisait à
cela. Preuve en est que l’OIF ne fait
pas que dans la francophonie pure et
qu’elle repose sur bien d’autres
missions. Le maître des lieux pouvait
donc y aller de son arrogance. Il
pouvait montrer les crocs. A sa
décharge, on sait que Blaise Compaoré,
le dictateur déchu, a failli
compromettre le dispositif de la
Françafrique. De plus, par ses
compétences dans la servilité il était
promis à la succession du Sénégalais
Abdou Diouf, à la tête de l’OIF.
François Hollande le lui avait même
annoncé, mais Compaoré a cru jusqu’au
bout qu’il allait être soutenu par la
France. In fine, il aura tout de même eu
droit d’être exfiltré par les troupes
françaises et se croit placé en lieu
sûr, sous la protection du Makhzen. Du
moins tant que Paris n’a pas décidé de
l’extrader vers son pays, en raison de
ses intérêts bien compris. Ceci étant,
l’OIF est bâtie sur des principes qui ne
souffrent d’aucune équivoque.
Essentiellement financé par la France,
le Canada et la Belgique, son budget est
consacré pour 27% aux « actions
transversales » dont la « société
civile » et pour 23% à la rubrique
« paix-démocratie-droits de
l’homme », tandis que la rubrique
« éducation-formation » n’en
bénéficie qu’à hauteur de 13%. On voit
bien, à travers les destinations de
l’argent, que la francophonie est bien
plus complexe qu’elle n’en a l’air. Et
quand on sait, grâce au « printemps »
dit arabe, en Libye et en Syrie, ce que
signifient les concepts de
« démocratie », de « droits de l’homme »
et de « société civile », il est
loisible de saisir la réalité profonde
de l’OIF. En arrière-plan, trône
fondamentalement une ambition de
dernière instance. Le rêve d’un espace
économique francophone, dont les
retombées seraient par exemple, en
Afrique, l’intérêt des investisseurs
Chinois, en particulier, de passer par
les entreprises françaises comme
« meilleure porte d’entrée »
(lepoint.fr-29 novembre 2014). Ainsi,
les 77 pays membres de l’organisation
doivent militer pour la promotion
économique de l’un d’entre eux, au nom
de la seule langue partagée. Le Canada
et la Belgique pouvant, accessoirement,
être saupoudrés, à la faveur de leur
statut de puissances industrielles et
d’alliés stratégiques de la France. En
marge de cette affaire de gros sous,
pour entretenir le vernis culturel de
l’OIF, il est fait référence à la
prévalence de la langue française dans
le monde. L’Algérie est inévitablement
citée. Et Kateb Yacine vient à point
nommé offrir sa citation sur le « butin
de guerre », prise au pied de la lettre,
comme si c’était le colonialisme qui
avait répandu le français parmi les
Algériens et fait du pays le deuxième
pays francophone. On peut lire, à ce
propos, dans le Monde du 17
décembre2012, que « la langue
française au lendemain de l'indépendance
de l'Algérie, a été bien conservée ».
Une contre vérité criarde, qui ignore
délibérément l’école algérienne seule
acteur dans le domaine. La colonisation
a maintenu 90% de la population dans
l’illettrisme (arabe ou français) et il
est particulièrement cynique de
considérer que l’infime minorité, qui a
pu accéder à la scolarisation ou
apprendre à parler le français par le
contact avec les employeurs, pouvait
représenter un témoignage positif de
l’école coloniale. Au Sénégal,
ex-colonie française indépendante depuis
64 ans, où se tient le sommet de l’OIF,
on enregistre encore, en 2014, un taux
de 70% d’illettrés. Dont acte.
Ahmed Halfaoui
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