|
Ha'aretz
Itzhak, tes
braises sont mortes depuis longtemps
Yossi Sarid
[mémoire
et vigilance pour Itzhak Rabin. En guise d'introduction à notre
soirée de demain (jeudi) : http://www.lapaixmaintenant.org/communique1418
à laquelle nous vous espérons nombreux]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/782071.html
Ha'aretz, 1er novembre 2006
Itzhak, tes braises sont mortes depuis longtemps
Yossi Sarid
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Demain, nous serons le 11 du mois de Heshvan dans le calendrier hébraïque,
le jour où Israël pleure l'assassinat d'Itzhak Rabin. Après 11
ans, tout le monde le sait : non seulement Rabin a été assassiné,
mais son héritage est enterré avec lui. Pour l'essentiel, cet héritage
a consisté à rechercher avec obstination toute brèche dans le
mur d'hostilité qui entoure Israël et de s'y engouffrer, avec
l'espoir de trouver, derrière ce mur, des signes d'acceptation de
l'existence d'Israël.
Rabin était déterminé à ce que la force à la fois d'Israël
et de son armée ne soit mise à l'épreuve que lorsque cela était
absolument nécessaire. Général, expert en sécurité d'Israël,
en uniforme comme en civil, il avait compris ce que Ehoud Olmert,
Amir Peretz et Dan Haloutz (chef d'état-major) ne saisiront
jamais : on ne part en guerre que si l'on n'a pas d'autre choix,
et après avoir recherché et épuisé toutes les autres options.
Une fois, dans un moment de franchise, il m'a dit : "Yossi, même
la meilleure armée du monde ne peut frapper au-delà de sa
capacité. Même une nation forte ne peut bander ses muscles sans
les relâcher, parce qu'à la
longue, elle finira par s'épuiser." Rabin savait quelle
responsabilité pesait sur ses épaules. Et il les avait larges,
ses épaules, qui devaient porter tout le poids de l'avenir d'Israël.
Ce sentiment de responsabilité l'a poursuivi sans cesse, et il ne
s'est jamais soustrait à ses devoirs. Ainsi, il a été prêt à
faire des choses qu'il n'a pas aimé faire, ou même exécré,
parce qu'il se sentait obligé de les faire.
Demain, lors de la cérémonie officielle de l'Etat, les yeux de
la nation seront tournés vers le Mont Hertzl [où il est enterré].
Olmert, Shimon Peres, Avigdor Lieberman et Benjamin Netanyahou siègeront
solennellement au premier rang. A côté d'eux siègeront les
gardiens des braises mourantes du parti de Rabin, le Parti
travailliste, qu'il repose en paix (ou en guerre), de Peretz à
Binyamin Ben-Eliezer et Isaac Herzog.
Belle brochette de travaillistes. Mais les braises de Rabin sont
mortes depuis longtemps. Entre les oraisons funèbres, lorsque le
silence des tombes et des cyprès le silence de la mort s'étendra
momentanément sur la scène, il se pourrait bien qu'on entende
Rabin se lamenter sur ses successeurs.
Vendredi dernier, le quotidien Yediot Aharonot rapportait qu'un
tiers des Israéliens souhaitait que l'assassin de Rabin soit
gracié, et que la moitié des Israéliens de la droite religieuse
était en faveur de sa libération conditionnelle. Les yeux brûlent
dans leurs orbites à la lecture de cette information, et l'on
refuse de croire ce qu'on lit. Et pourtant, qu'y a-t-il de si
surprenant? Un esprit d'amnistie se diffuse depuis les échelons
supérieurs de la société israélienne vers ses échelons inférieurs.
Les rabbins qui encouragé l'assassin, explicitement ou
implicitement, ont été depuis longtemps pardonnés. Et ceux qui
se trouvaient sur un balcon de la place de Sion à Jérusalem,
cette nuit-là où le crime a été autorisé (1), ont hérité de
la place de Rabin. On les a même déclarés ses successeurs idéologiques
: les derniers "Mapaïniks" (2).
L'assassin a bien été appréhendé et mis en prison, car c'est
lui qui avait tiré les trois balles. Mais ceux qui ont tracé une
cible sur le dos de Rabin et qui lui ont dit que le premier
ministre était une cible autorisée n'ont jamais eu (quelle idée!)
à rendre compte de leurs actes.
C'est vrai, il est dégoûtant de se vautrer dans les draps souillés
de l'assassin et de sa petite Tembovler (3). Qui voudrait réellement
s'approcher du lit où ils ont fait l'amour? Qui se préoccupe
vraiment de savoir si un enfant naîtra de cette union? Pourtant,
nous sommes nombreux à penser que l'autorisation de "visite
conjugale" qui leur a été accordée, dans une auberge meublée
avec raffinement, fait partie d'un schéma de pardon qui mène inévitablement
à la grâce.
C'est écrit sur le mur, même si le texte est caché par de la
mousse.
"Un juif, même pécheur, ne cesse jamais d'être juif."
Aujourd'hui, il faudrait ajouter : "un juif, même après
avoir assassiné un premier ministre, ne cesse jamais d'être
juif." Bien plus, il est important qu'il accomplisse ses
mitzvot (commandements de la loi juive) et que ses droits soient
protégés.
Notre Shin Bet est bien connu pour son hypersensibilité à l'égard
du respect des droits de l'homme et du citoyen, en particulier
ceux des terroristes. Nous ne devons jamais oublier que la
liquidation ciblée de Rabin a été un acte de terrorisme et non
un assassinat. Ni que le terrorisme juif qui a poussé en notre
sein est beaucoup plus dangereux que le terrorisme perpétré par
des agents extérieurs.
Il a été rapporté que le Shin Bet avait soumis au procureur de
l'Etat une opinion d'expert où il est écrit que l'assassin
victorieux "ne constitue plus une menace pour la sécurité."
On m'a dit que cette information avait mis très en colère le
Shin Bet, qui a prétendu que les faits avaient été déformés.
Pour éviter toute injustice supplémentaire envers nos
"braves jeunes gars", j'ai téléphoné au bureau de
Youval Diskin, chef du Shin Bet, pour demander le texte de
cet avis d'expert. Dix jours ont passé, et je n'ai toujours pas
reçu ce texte. Toutefois, une aimable porte-parole m'a bien appelé,
et quand j'ai demandé le document, elle s'est contentée de me
fournir des explications. Elle a promis de me rappeler le
lendemain, mais depuis, je n'ai plus jamais eu de ses nouvelles.
Je dois donc me fonder sur ce qui a été publié, car il semble
que pour l'essentiel, tout se passe dans les coulisses.
L'assassin "ne représente plus une menace pour la sécurité"
: le Shin Bet a parfaitement raison. Itzhak Rabin a déjà été
assassiné, et l'on ne peut assassiner deux fois la même
personne.
Ou peut-être que si.
(1) allusion à une manifestation de la droite contre les accords
d'Oslo au cours de laquelle des slogans "Mort à Rabin",
"Rabin traître" n'ont suscité aucune réaction de la
part des organisateurs.
(2) Mapaï : acronyme de "mifleget poalei Israel", Parti
des travailleurs d'Israël. Ancêtre du Parti travailliste. Le
suffixe "nik" (hérité du russe), indique
l'appartenance, comme "kibboutznik" signifie membre d'un
kibboutz.
(3) Larissa Trembovler a épousé Ygal Amir en prison. La
permission qui leur a été accordée de se marier, puis d'avoir
des relations conjugales, a fait les titres des médias israéliens. |