"LA GUERRE est une chose trop sérieuse pour être laissée
aux militaires", selon une phrase célèbre de Talleyrand. Dans le
même esprit, on pourrait dire : les élections présidentielles
américaines sont trop sérieuses pour être laissées aux
Américains."
Les Etats-Unis sont aujourd'hui la seule
super-puissance sur terre. Elles le resteront encore un bon
moment. Les décisions du Président des Etats-Unis touchent
tous les êtres humains de cette planète.
Malheureusement, les citoyens du monde ne
participent pas à ces élections. Mais, ils peuvent, au
moins, donner leur opinion.
Usant moi-même de ce droit, je dis : je
suis pour Barack Obama.
TOUT D’ABORD, je dois l’avouer : mon
attitude envers les Etats-Unis est un amour sans partage.
Dans ma jeunesse, j’en étais un grand admirateur. Comme
beaucoup d’autres jeunes gens de ma génération, j’ai grandi
dans la légende du nouveau pays de pionniers idéalistes, le
flambeau de la liberté du monde. J’ai admiré Abe Lincoln,
qui libéra les esclaves, et Franklin Dilano Roosevelt, qui
courut au secours de la Grande-Bretagne assiégée quand elle
resta seule contre le monstre nazi, et qui entra dans la
seconde guerre mondiale au moment décisif. J’ai grandi avec
les Westerns.
Petit à petit, j’ai perdu mes illusions.
Joe McCarthy y contribua. J’appris qu’avec une régularité
désespérante, les Etats-Unis sont en proie à une hystérie ou
à une autre. Mais, à chaque fois, au bord de l’abîme, ils
reviennent en arrière.
Pendant la guerre du Vietnam, j’ai
participé à des manifestations. Je me trouvais être aux
Etats-Unis en 1967, et j’ai participé à la marche légendaire
d’un demi million de personnes sur le Pentagone. J’ai
atteint l’entrée du bâtiment et me trouvai en face d’une
rangée de soldats au regard froid qui semblaient être
démangés par l’envie de tirer. Au dernier moment, il m’est
apparu que ce serait inconvenant pour un membre israélien de
la Knesset d’être impliqué, aussi j’ai sauté du bord de
l’entrée et me suis foulé la cheville.
Je ne sais pourquoi, j’étais sur la liste
noire de la CIA (ou était-ce du FBI ?) Je n’ai réussi à
obtenir un visa qu’avec beaucoup de difficultés, et fus
radié pour toujours de la liste des invités aux réceptions
de l’ambassade des Etats-Unis à Tel-Aviv. Je ne sais pas si
cela est dû à ces manifestations, ou à cause de mon amitié
avec Henri Curiel, un révolutionnaire juif égyptien qui nous
aida dans nos contacts avec l’OLP. Les Américains le
tenaient, tout à fait à tort, pour un agent du KGB.
A la même époque, mon nom fut radié par
les Soviétiques de la liste des invités d’Israël. Peut-être
me considéraient-ils comme un agent de la CIA (comme je fus
qualifié dans un papier du parti communiste israélien).
Aussi fais-je partie des quelques personnes au monde qui
figuraient en même temps sur les listes noires des
Etats-Unis et le l’Union soviétique – j’en tire une certaine
fierté.
Mon ami Afif Safieh, aujourd’hui chef de
la délégation de l’OLP aux Etats-Unis, dit qu’il y a deux
Amérique : l’Amérique qui extermina les indigènes américains
et réduisit les Noirs en esclavage, l’Amérique d’Iroshima et
de McCarthy, et l’autre Amérique, celle de la Déclaration
d’indépendance, de Lincoln, Wilson et Roosevelt.
De ce point de vue, George Bush
appartient à la première. Obama, son contraire dans presque
tous les domaines, représente la seconde.
ON PEUT arriver au choix d’Obama par un
processus d’élimination.
John McCain est la continuation de Bush.
Il est plus séduisant, probablement plus intelligent (ce qui
ne signifie pas qu’il le soit beaucoup) mais ce qui le
caractérise le plus c’est ce qui le rapproche de lui. La
même politique – un dangereux mélange d’ivresse du pouvoir
et de simplicité d’esprit. Le même univers du mythe de la
conquête de l’Ouest avec les Bons (Les Américains et leurs
comparses) et les Méchants (tous les autres). Un monde
machiste de pseudo masculinité, où l’on voit tout à travers
le viseur d’un fusil.
McCain continuera les guerres, et pourra
en engager de nouvelles. Son agenda économique est le même
"capitalisme dégueulasse" (phrase de Shimon Pérès), qui a
aujourd’hui amené au désastre l’économie américaine et
l’économie de nous tous.
Huit ans de Bush, ça suffit. Merci.
Hillary ? Certes, il y a quelque chose de
très positif dans le fait qu’une femme soit une candidate
potentielle à la direction du pays le plus puissant du
monde. Comme le dit la vieille prière juive : Béni sois-Tu
Seigneur, notre Dieu, qui nous permet de vivre pour voir ce
jour. Je crois que la révolution féministe fut de loin la
plus importante du XXe siècle, puisque qu’elle a renversé
les critères sociaux de milliers d’années. Cette révolution
se poursuit encore, et l’élection d’une Présidente en serait
une pierre angulaire.
Mais il ne suffit pas qu’elle soit une
femme. Il est aussi important de savoir de quelle femme il
s’agit.
J’ai passé un certain nombre d’années à
combattre Golda Meir, le pire Premier ministre qu’Israël ait
connu. Presque toutes les femmes qui, dans les années
récentes, ont été à la tête de pays, ont lancé des guerres :
Margaret Thatcher a lancé la guerre des Falklands, Golda
Meir porte la responsabilité du déclenchement de la guerre
du Kippour, Indira Gandhi a fait la guerre du Pakistan, les
présidentes actuelles des Philippines et du Sri Lanka mènent
des guerres internes.
L’explication habituelle est que, pour
réussir dans un monde d’hommes, une femme politique doit
prouver qu’elle est au moins aussi dure que les hommes.
Quand elle arrive au pouvoir, elle veut montrer qu’elle
aussi peut faire la guerre et commander des armées. Hillary
l’a déjà fait en votant pour la désastreuse guerre d’Irak.
(Il y a des années, alors qu’elle s’était
prononcé pour un Etat palestinien, Gush Shalom avait
manifesté en son honneur face à l’ambassade des Etats-Unis à
Tel-Aviv. Nous voulions lui offrir une gerbe de fleurs. Les
gens de l’ambassade nous ont traités comme des ennemis et
ont refusé d’accepter nos fleurs. Depuis lors, Hillary n’a
plus prononcé une seul mot en faveur des Palestiniens.)
Je ne sais pas dans quelle mesure elle
était associée aux décisions de son mari à la Maison
Blanche. La femme du Président peut être la plus proche de
son oreille – et le mari de la Présidente sera probablement
le plus proche de son oreille. Quoi qu’il en soit, au cours
des huit ans de Bill Clinton, rien de bon pour la paix
israélo-palestinienne n’est survenu. Dans son "équipe pour
la paix", il y avait beaucoup d’Américains juifs, mais pas
un seul Américain arabe . Il était totalement soumis au
lobby pro-Israël, et sous ses yeux le nombre des colons
israéliens dans les territoires palestiniens a plus que
doublé.
Israël n’a vraiment pas besoin d’une
nouveau mandat de Billary.
Hillary est une séquence du moulin
politique. Si McCain est une continuation de Bush, Hillary
est une prolongation de l’ensemble du système politique
américain actuel, de la politique actuelle et de la routine
actuelle. Mais le monde a besoin d’une autre Amérique.
LE NOM d’une autre Amérique est Obama.
Nom complet : Barack Hussein Obama.
Le fait même que cette personne puisse
être un prétendant sérieux à la présidence me redonne foi
dans les possibilités inhérentes à l’Amérique. Après les
excès du sénateur McCarthy, on a eu le Président John
Kennedy. Après Bush, on peut avoir Obama. Cela n’est
possible qu’en Amérique.
Le grand message d’Obama est Obama
lui-même. Une personne qui a ses racines dans trois
continents (plus un demi : Hawaï). Une personne dont
l’éducation s’est passée dans le monde entier. Une personne
qui peut voir la réalité des points de vue de l’Amérique, de
l’Afrique et de l’Asie. Une personne qui est à la fois noire
et blanche. Une nouvelle sorte d’Américain, un Américain du
XXIe siècle.
Je ne suis pas aussi naïf que j’en ai
l’air. Je me rends compte que dans ses discours il y a plus
d’enthousiasme que de contenu. Nous ne savons pas ce qu’il
fera une fois élu président. Le Président Obama peut nous
décevoir. Mais je préfère prendre un risque avec une homme
comme celui-ci que savoir à l’avance ce que les deux
routiniers de la politique, ses concurrents, feront.
Je ne suis pas particulièrement
impressionné par les discours électoraux. J’ai moi-même mené
quatre campagnes électorales et je sais qu’il y a des choses
qu’il faut dire et des choses qu’il ne faut pas dire. Tout
est à responsabilité limitée. Mais au-delà de tous les beaux
discours, un fait est plus important qu’un million de mots :
Obama fut opposé à l’invasion de l’Irak, depuis le début,
quand il fallait pour cela de l’intégrité et beaucoup de
courage. Hillary a voté pour la guerre et n’a changé de
position que quand l’opinion publique a changé. McCain
soutient la guerre encore aujourd’hui.
Nous en Israël nous savons l’énorme
différence qu’il y a entre s’opposer à une guerre dans ses
débuts, au moment décisif, et s’y opposer au bout d’un mois,
d’un an ou de cinq ans.
D’un autre côté, peut-être que ce fait
même, plus encore que la couleur de sa peau, son deuxième
prénom et son "manque d’expérience" – travaillera contre
lui. Les électeurs n’aiment pas les gens qui ont eu raison
quand eux avaient tort. C’est comme admettre : il a été
raisonnable et nous avons été stupides. Quand un politique
veut être élu, il devrait bien faire attention de cacher le
fait qu’il avait raison.
Une note personnelle : étant optimiste de
naissance, j’aime l’optimisme d’Obama. Je préfère un
candidat qui apporte l’espoir qu’un candidat qui détruit
l’espoir. L’optimisme entraîne à l’action, le pessimisme ne
produit que du désespoir.
L’Amérique a besoin d’une rénovation
complète. Pas seulement un lessivage, pas seulement un
travail d’huilerie, pas seulement une nouvelle couche de
peinture. Elle a besoin d’un nouveau moteur, d’un changement
total de direction, d’une révision de sa position dans le
monde, d’un changement de valeurs.
Obama peut-il le faire ? Je l’espère. Je
n’en suis pas sûr. Mais je suis tout à fait sûr que les deux
autres non.
ICI UN JUIF posera la question
classique : Est-ce bon pour les Juifs ?
Les gens qui prétendent parler pour les
Juifs américains, les "leaders" qui n’ont été élus par
personne, les chefs des "organisations" pourries, conduisent
une sale campagne de diffamation et de d’allusions
sournoises contre lui. Si son deuxième prénom est Hussein et
qu’il est noir, il doit être un partisan des Arabes. De
surcroît, il ne se distancie pas lui-même assez de
l’antisémite Louis Farakhan.
Les mêmes "leaders" couchent avec les
plus détestables racistes des Etats-Unis, fondamentalistes
obscurantistes et néo-conservateurs tâchés de sang. Mais la
plupart des Juifs américains savent que leur place n’est pas
là. L’alliance contre nature avec ces types va
inévitablement se retourner contre eux. Les Juifs doivent
être là où ils ont toujours été : dans le camp progressiste,
luttant pour l’égalité et pour la séparation entre Etat et
religion.
ON PEUT se demander : Est-ce bon pour
Israël ?
Les trois candidats ont rampé aux pieds
de l’AIPAC. La flagornerie des trois devant le pouvoir
israélien est dégoûtante. Ils ont tous fait preuve d’une
absence d’intégrité. Mais je sais qu’ils n’ont pas le choix.
C’est ainsi aux Etats-Unis.
Malgré cela, Obama a réussi à prononcer
une phrase courageuse. Parlant devant une auditoire
principalement juif à Cleveland, il a dit : "Il y a une
pression à l’intérieur de la communauté pro-Israël pour dire
que, si vous n’adoptez pas une approche inconditionnellement
pro-Likoud envers Israël, vous êtes anti-Israël. et ceci ne
peut pas être le critère de notre amitié avec Israël."
J’espère que le Barack américain (béni,
en arabe), s’il est élu, ne deviendra pas une réplique du
Barak israélien (foudroyant, en hébreu).
La véritable amitié signifie ceci : quand
vous voyez que votre ami est ivre, vous ne l’encouragez pas
à conduire. Vous lui proposez de le raccompagner chez lui.
J’aspire à un président américain qui aura le courage et
l’honnêteté de dire à nos dirigeants : Chers amis, vous êtes
ivres de pouvoir ! Vous êtes en train de conduire sur une
autoroute qui vous mène à l’abîme !
Peut-être Barack Obama sera-t-il un tel ami.
Ceci pourrait être une bénédiction pour nous aussi.
Article publié, en hébreu et en anglais, le
21 mars 2007, sur le site de Gush Shalom. Traduit de l’anglais "Two
Americas" pour l’AFPS : SW