Le Courrier d’Algérie : Vous
indiquez dans votre article intitulé La guerre israélienne
est financée par l’Arabie saoudite que l’attaque israélienne
contre Gaza, est une option préparée de longue date. Que nous
faut il comprendre par « option » ? Ce serait une option à quoi
et mise en œuvre par qui et dans quelle but ?
Thierry Meyssan : Le régime en place à
Tel-Aviv attaque à intervalles plus ou moins réguliers la
population palestinienne pour décapiter sa Résistance et la
décourager pour plusieurs années. Cette stratégie, d’abord
empirique, a été théorisée par Abba Eban à la fin des années 60.
Celui-ci —qui avait été élevé en Afrique du Sud— considérait
que, pour maintenir l’apartheid en Palestine, il fallait
dialoguer avec des autorités politiques palestiniennes tout en
faisant la guerre à la société civile palestinienne. Cette
stratégie est parvenue à un certain degré de raffinement avec la
création de deux entités politiques palestiniennes,
géographiquement distinctes, la Cisjordanie et Gaza, séparées
par un Mur et des chek points, sur le modèle des bantoustans
sud-africains.
Dans cette optique, le régime sioniste se prépare en permanence
à de nouvelles actions militaires contre la population civile.
L’opération « plomb durci », quand à elle, a été préparée six
mois à l’avance, la pseudo trêve n’ayant été conclue que dans ce
but, ainsi que l’a révélé le quotidien israélien Haaretz.
C’est en ce sens que je parle d’une « option ». Restait à
définir le moment propice pour la mettre en œuvre, aussi bien en
termes diplomatiques que politiques.
Le Courrier d’Algérie : Vous indiquez
également qu’Israel a élevé cette agression au rang de cause
nationale et religieuses ?
Thierry Meyssan : Selon les cas, le régime
de Tel-Aviv mène ces expéditions punitives contre la population
palestinienne avec ou sans avoir recours aux réservistes. Cette
fois, l’ampleur de l’opération supposait la mobilisation de
dizaines de milliers d’hommes. Les autorités ont donc utilisé un
langage symbolique pour faire comprendre à leur population juive
l’importance de cet effort. D’où le nom de « plomb durci » quif
ait référence à un chanson entonnée pour Hannukka.
Cette fête religieuse célèbre le miracle de l’huile. Selon La
Bible, les juifs chassèrent les Grecs (les Séleucides, héritiers
d’Alexandre le Grand) de Palestine. À l’issue de batailles
meurtrières, les soldats juifs rendirent grâce à Dieu dans le
temple de Jérusalem, mais ils n’eurent pas le temps de se
purifier. Ils allumèrent une lampe avec de l’huile pour la nuit
en pensant revenir le lendemain pour reprendre le rituel. Or, la
lampe brûla durant huit jours, manifestant que Dieu ne leur en
tenait pas rigueur, c’est-à-dire qu’Il ne considérait pas que
massacrer les Grecs ait rendu les soldats juifs impurs.
En utilisant cette référence, le régime de Tel-Aviv suggère
qu’il n’y a rien d’impur à massacrer des Palestiniens et, comme
on peut le constater avec effroi, les soldats juifs n’ont pas
tardé à mettre ce message en pratique.
Le Courrier d’Algérie : Vous mentionner
également et dans se même article le rôle actif de l’Arabie
saoudite et de l’Égypte dans cette offensive, peut-on avoir plus
de précisions ? Et quels auraient été intérêts de ses deux États
à s’impliquer dans des manœuvres hautement dangereuses et
compromettantes ?
Thierry Meyssan : La montée en puissance du
Hamas pose un problème politique à l’Égypte et à l’Arabie
saoudite. Il s’agit en effet d’un mouvement de libération
nationale issu d’un milieu religieux sunnite progressiste et
susceptible d’influence dans le reste du monde musulman via les
organisations sunnites, actuellement contrôlées par l’Arabie
saoudite, et dans une moindre mesure par l’Égypte.
Un succès du Hamas signifierait à court terme une révolution en
Égypte, et à moyen terme une autre en Arabie saoudite.
De ce point de vue, la guerre actuelle à Gaza n’a pas seulement
pour but de maintenir l’apartheid en Palestine, mais aussi et
surtout, de maintenir un contrôle réactionnaire et obscurantiste
sur l’ensemble de la communauté sunnite ; un contrôle qui est
exercé dans l’intérêt des Anglo-Saxons et d’Israël par des
gouvernements soutenus par eux à bout de bras.
Elle fait apparaître un clivage qui n’ont rien à voir avec
l’ethnie ou la religion. Le vrai conflit n’est pas entre juifs
et musulmans, entre chiites et sunnites, entre arabes et perses,
mais il oppose la liberté et le droit d’un côté, à la domination
et à la violence de l’autre.
L’opération « plomb durci » a été planifiée par Tel-Aviv avec
ses partenaires de Riyad et du Caire. Elle se résume ainsi : les
forces armés israéliennes, le blocus égyptien et les finances
saoudiennes. À cela s’ajoute le soutien de l’Égypte aux
paramilitaires du général Mohamed Dahlan. Ils sont actuellement
2 500 stationnés près de Rafah (et non 10 000 comme je l’ai
précédemment écris par erreur en comptabilisant des forces
égyptiennes). Ces mercenaires arabes sont prêts à entrer à Gaza,
une fois la résistance au sol maitrisée par les tanks
israéliens, pour faire le sale boulot à la place des Israéliens,
c’est-à-dire y massacrer les familles du Hamas
Cette opération militaire s’accompagne d’une action diplomatique
de l’Égypte et de l’Arabie saoudite pour torpiller les
initiatives de la Ligue arabe promues par le Qatar et la Syrie.
Tout cela est certainement difficile à admettre, mais il faut
regarder la réalité en face. Riyad et Le Caire ont rejoint le
camp sioniste.
Le Courrier d’Algérie : Quelles seraient
les visées de cette offensive pour Israel et les États-unis ?
Thierry Meyssan : Les États-Unis ne sont pas
responsables du déclenchement de cette opération.
L’administration Bush finissante n’en avait pas le pouvoir.
Durant la période de transition, elle ne peut qu’expédier les
affaires courantes,
Tel-Aviv a placé Washington devant le fait accompli et l’a
contraint à suivre en assurant le réapprovisionnement des
munitions. Je le redis : la décision de l’attaque n’a pas été
prise en concertation avec les Etats-Unis, mais avec l’Égypte et
l’Arabie saoudite.
Le Courrier d’Algérie : Quelles
appréciation faites vous de l’arsenal utilisés contre la
population de Gaza ? Beaucoup évoquent des raisons
expérimentales.
Thierry Meyssan : Israël est devenu un
exportateur de matériels et de savoir-faire militaires. Il n’est
pas nouveau qu’il utilise la population palestinienne à la fois
comme cobaye pour tester de nouvelles armes, et comme vitrine,
pour montrer en situation réelle à ses acheteurs les capacités
de ses matériels.
On se souvient par exemple des expérimentations conduites à
Jenine et de l’interdiction formelle édictée par les Israéliens
aux organisations internationales d’aller y enquêter même des
années plus tard.
Le Courrier d’Algérie : La donne pourra
t-elle changer une fois Barak Obama officiellement investi ?
Thierry Meyssan : Le régime sioniste et les
États arabes sionistes craignent l’évolution en cours à
Washington. Barack Obama, au départ un pur produit du mouvement
sioniste, lancé en politique il y a douze ans par Abner Mikva,
est parvenu à la Maison-Blanche en constituant une coalition
hétéroclite qui inclus des généraux non pas anti-sionistes, mais
a-sionistes. Je pense au groupe formé par l’amiral William
Fallon (ex commandant en chef du Central Command) autour du
général Brent Scowcroft (ex-conseiller national de sécurité). Il
s’agit de militaires qui entendent revoir la politique
proche-orientale en fonction des seuls intérêts US et qui, tout
en soutenant le principe d’un État juif sont opposés à l’expansionisme
sioniste. Ce groupe, qui a trouvé une expression politique avec
la Commission Baker-Hamilton, contrôle le département de la
Défense (avec Robert Gates) ; la CIA (avec Leon Panetta) et le
Conseil national de sécurité (avec l’amiral James Jones). Les
sionistes, quand à eux, contrôlent partiellement la
Maison-Blanche (avec le secrétaire général Rahm Emanuel) et le
département d’État (avec Hillary Clinton et son adjoint James
Steinberg).
Barack Obama devrait repositionner les États-Unis de manière
plus ou moins neutre, pour qu’ils redeviennent un tiers de
confiance dans la région, apte à négocier entre les uns et les
autres. Il devrait relancer le processus de la conférence de
Madrid. Il souhaite présenter un plan visant à réduire les
conflits, plutôt qu’à les résoudre. Les grandes lignes en sont
déjà été présentées à de nombreux leaders arabes, elles tournent
autour d’une interprétation nouvelle de la « solution à deux
États » :
Naturalisation
des réfugiés palestiniens dans les pays où ils se trouvent et
indemnisation financière de ces États ; renoncement de facto
par les Palestiniens à leur droit pourtant inaliénable au
retour.
Création
d’un État palestinien démilitarisé, avec une partie de Jérusalem
comme capitale et dans les frontières de 1967 ; investissements
financiers massifs pour y créer une économie viable.
Interposition
d’une force de paix de l’OTAN.
Les sionistes tentent préventivement de rendre cette
proposition impossible. Au demeurant, le plan états-unien
limiterait le nombre de personnes souffrant d’une situation
d’injustice, mais consacrerait définitivement cette situation.
Propos recueillis par Meriem Abdou.
Entretien publié dans Le Courrier d’Algérie du dimanche
18 janvier 2009.