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Opinion

Egypte : une élection pour rien ?
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Mardi 26 juin 2012

La confusion règne en Egypte. La mobilisation populaire, qui avait été initiée le 25 janvier 2011, avait permis de déloger le président Hosni Moubarak et d’ébranler, apparemment, son régime dictatorial. L’optimisme était partout présent : « le printemps arabe » voyait le jour, la « révolution » était en marche, le peuple avait eu raison du dictateur et entamait fièrement sa marche vers la liberté. Les voix plus prudentes, appelant à analyser plus profondément les données de l’équation politique nationale et régionale, étaient critiquées, disqualifiées d’office, parce que colonisées par un pessimisme dangereux ou complices des intérêts inavoués de l’Occident. Plus gravement, disait-on, ces voix manifestaient un doute inquiétant vis-à-vis des peuples arabes et de leur capacité de se libérer du double joug des dictatures et des diktats des grandes puissances. Les Egyptiens, comme les Tunisiens ou les Yéménites, assurait-on, s’étaient libérés seuls et avaient collectivement pris leur destin en main. En douter revenait à douter de soi, de l’ « être arabe », douter du sens de l’Histoire : le doute était, de fait, « coupable ». Dans mon livre, L’islam et le réveil arabe(1) , j’ai formulé quelques réserves sur l’origine et la nature même de ces soulèvements. Je fus critiqué en Occident (pour une soi-disant tentation conspirationniste) comme dans le monde arabe et majoritairement islamique (pour cette même tentation et surtout pour mon manque de confiance dans le courage des peuples arabes). Et pourtant.

La situation en Egypte nous impose de dépasser l’optimisme émotif des premiers mois pour revenir à une étude plus raisonnée et raisonnable des faits et des enjeux. Depuis le début du soulèvement populaire, force est de constater que la seule institution qui n’ait jamais vraiment perdu le contrôle de la situation est bien l’Armée. Après quelques hésitations (essentiellement dues à des tensions entre le clan des pro-Moubarak et une majorité de militaires désireux de se débarrasser du gênant leader tout en protégeant leurs prérogatives et leurs intérêts), la hiérarchie a d’abord décidé de ne pas intervenir (suivant l’exemple tunisien) et de laisser le peuple protester jusqu’à la chute du dictateur. Le Conseil Supérieur des Forces Armées (CSFA) a ensuite accompagné, voire piloté, chacune des étapes de la refondation des institutions : les élections parlementaires, la commission chargée de l’écriture de la nouvelle Constitution, l’officialisation des partis politiques et de leur candidat aux élections présidentielles, le procès de l’ancien président, etc. Jamais l’armée n’a perdu le contrôle des opérations et à chaque étape elle a imposé aux représentants de la société civile et aux partis politiques de composer avec elle. Les divers candidats, les Frères Musulmans comme les salafis, ont dialogué, rassuré (quant aux possibles futurs procès des responsables de l’armée) et déterminé les termes d’un accord possible avec l’institution militaire. Il faut dire et rappeler que celle-ci ne représente pas seulement la « force armée » en Egypte mais un pouvoir financier qui a de puissants intérêts dans de nombreux secteurs de l’économie égyptienne.

Depuis quelques semaines, les choses se sont accélérées et ce qui était perceptible dans les coulisses est désormais apparu au grand jour de façon opportune et parfaitement calculée. La commission chargée de l’écriture de la Constitution a été jugée non constitutionnelle et stoppée. Hosni Moubarak, vieux et mourant, a été condamné et ses jeunes enfants acquittés quelques jours avant le premier tour qui consacre la courte victoire des Frères Musulmans. Impossible de fait de contester la transparence du processus électoral. Entre les deux tours, c’est le Parlement qui a été dissous (pour des irrégularités, dit-on) et les prérogatives du futur président ont été réduites de façon substantielle (le vrai pouvoir décisionnaire est transféré vers le pouvoir militaire). Alors que les deux candidats annonçaient leur victoire respective, la proclamation des résultats a été ajournée. Muhammad Morsi a été annoncé vainqueur d’une "élection démocratique historique". Voire. Les fondements institutionnels et légaux de ladite élection présidentielle ont volé en éclat au gré de ces décisions : le président élu exercera un pouvoir sans autorité et sera gratifié d’une autorité symbolique sans pouvoir. Les responsables de l’armée n’ont pas hésité à annoncer que cette élection était même temporaire et qu’il faudrait revenir aux urnes quand la Constitution et le Parlement seront rétablis, dans une période de six mois. On murmure même que le poste de Premier ministre a été négocié, avec une possible, et très opportune, réapparition de Mohamed El Baradei sur qui l’administration américaine avait beaucoup compté (2). Des élections pour rien, somme toute.

A moins qu’il s’agisse du temps nécessaire à l’armée pour reprendre définitivement les choses en main en ayant fait perdre de leur crédibilité aux acteurs politiques. Les Frères Musulmans ont commis une succession d’erreurs stratégiques qui leur a fait perdre une partie de leur popularité et, symboliquement aux commandes, les défis à relever sont inextricables. Les salafis sont un épouvantail utile (comme c’est le cas en Tunisie) et les autres forces politiques sont désorganisées, voire profondément divisées. Par ailleurs, il faut rappeler les intérêts très forts qui lient l’administration américaine et l’Union Européenne, à la hiérarchie militaire égyptienne depuis des décennies (contrairement aux analyses trop rapides formulées au gré d’un étrange oubli de l’histoire des relations internationales dans la région). La situation en Egypte est très inquiétante, comme elle l’est d’ailleurs en Syrie, en Lybie, au Yémen, au Bahreïn et, dans une moindre mesure, en Tunisie (il se pourrait d’ailleurs que les relatives avancées en Tunisie –même si rien n’est encore gagné en termes de démocratisation réelle – soient un écran quant aux échecs de tous les autres pays).

Où est donc passé le « printemps arabe » ? La seule vraie révolution qui se soit concrétisée est une « révolution intellectuelle » : les peuples ont pris conscience qu’ils pouvaient devenir maîtres de leur destin et, dans un esprit non-violent, renverser les dictateurs. Ce n’est pas rien et c’est la condition des révolutions sociales et politiques que nous appelons de nos vœux. Quand les grandes puissances semblent s’être mises d’accord pour ne pas trouver d’accord sur la Syrie, quand les anciens alliés des dictateurs prétendent aujourd’hui être les plus grands amis des peuples et des démocraties, quand rien n’est encore gagné sur le terrain politique, il appartient aux peuples de rester mobilisés, de ne rien lâcher et – en évitant le piège de la violence aveugle (que l’armée égyptienne pourrait à un moment encourager pour justifier une reprise en main du pays) – de se mettre d’accord sur les priorités de la résistance démocratique. La force des mouvements venaient de leur solide union contre les dictateurs : leur faiblesse tient au manque de leadership pour dessiner les contours d’une vision partagée du futur. Les mobilisations nationales doivent se penser au cœur de dynamiques régionales, de nouvelles relations économiques Sud-Sud, et en tirant profit des nouveaux rapports de force du nouvel ordre international multipolaire. Si l’énergie des soulèvements veut se transformer en force révolutionnaire, il faut que les voix que l’on entend sur la Place de la Libération (Midân at-Tahir) disent désormais davantage que leur espérance de la fin du régime mais détermine plus lucidement et plus clairement les priorités nationales et régionales de leur résistance. La mobilisation populaire est nécessaire, alors que le projet révolutionnaire reste encore à établir et à faire.

(1) L’islam et le Réveil arabe, Presses du Châtelet, Paris, 2011

(2) Voir mon analyse, Islam et le Réveil arabe, op. cit. chapitre 2

 

© Tariq Ramadan 2010
Publié le 26 juin 2012

 

 

   

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Source : Tariq Ramadan
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