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Opinion
Le Bon Pasteur
Soraya Hélou
Samedi 19 mars 2011
Avec l’élection du nouveau patriarche Mgr Béchara Boutros Rahi
c’est une nouvelle page qui s’ouvre entre Bkerké et l’ensemble
des parties libanaises, régionales et bien sûr avec le Vatican.
Au bout de deux jours d’élections à huis clos, les évêques ont
finalement choisi Mgr Rahi créant ainsi une surprise totale dans
les milieux proches de Bkerké qui avaient avancé d’autres noms
comme favoris. Mgr Rahi est en effet une personnalité connue
dans les milieux ecclésiastiques pour sa force et ses positions
tranchées. Evêque de Jbeil et de Amchit, il a souvent été
qualifié
« d’aile dure » du patriarcat maronite, défendant le siège
patriarcal avec des mots très forts contre toutes les critiques
qui lui étaient adressées et se voulant un protecteur
intransigeant des droits des chrétiens. Mais cette image sans
nuances a été vite démentie par les faits et pars les premières
déclarations du patriarche nouvellement élu. Sa forte
personnalité reste certes incontestable, mais il Mar Béchara
Boutros Rahi tient visiblement à tenir un langage d’ouverture,
conscient de la grave situation dans laquelle se débattent le
pays et les maronites en particulier. Dès les premiers instants
suivant son élection à la tête de l’Eglise maronite, il a tenu à
donner la priorité au rassemblement, à l’entente et au dialogue.
C’est qu’il sait mieux que quiconque l’état de division de la
scène maronite et surtout le désamour d’une grande partie des
maronites à l’égard de Bkerké. C’est d’ailleurs sans doute à
cause de cette situation que c’est lui qui a été choisi pour
mener désormais l’Eglise maronite. Sa personnalité fait peur et
rassure à la fois. Sa connaissance parfaite de la situation
interne lui permet d’évaluer avec justesse les conséquences de
chaque pas, de chaque déclaration qu’il pourrait faire et enfin,
sa familiarité avec tous les rouages du Vatican constitue pour
lui un atout et un appui de plus.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si dès que son élection a été
annoncée, des représentants de toutes les parties politiques se
sont précipitées à Bkerké pour lui présenter leurs vœux, mais
surtout pour montrer les bonnes relations qu’ils ont avec lui.
Les premiers à se rendre au siège patriarcal d’une façon aussi
évidente ont été les représentants du 14 mars toutes tendances
confondues qui ont littéralement pris d’assaut Bkerké, allant
même à donner des qualificatifs au nouveau patriarche que lui
n’a d’ailleurs jamais revendiqué. Avec beaucoup de subtilité,
Mar Béchara Boutros Rahi a réussi à éviter ces premiers écueils
se contentant de parler d’ouverture, de dialogue, de constantes
chrétiennes, de la situation des chrétiens d’Orient et surtout
des communautés maronites dans le monde arabe, notamment en
Syrie.
Discrètement, Rahi a commencé déjà à se démarquer de son
prédécesseur, d’abord en annonçant son intention d’effectuer une
visite pastorale en Syrie, ce que Mgr Sfeir avait toujours
refusé, préférant se rendre au Koweit et en Jordanie, où les
maronites sont une poignée, mais pas en Syrie où ils restent
assez nombreux et où repose le fondateur de la communauté Saint
Maron. C’est aussi un ton nouveau qu’il a adopté avec la
délégation du Hezbollah conduite par hajj Mohammed Raad venue
lui présenter ses vœux. Il faut ici signaler qu’aucun
représentant du Hezbollah n’avait plus mis les pieds à Bkerké
depuis quatre ans suite aux positions en flèche du patriarche
Sfeir au sujet des armes. Le Hezbollah s’est toujours gardé de
critiquer la tête de l’Eglise maronite, mais il a préféré
prendre ses distances, attendant le moment propice pour
reprendre contact. Ce moment est arrivé avec l’élection de Mgr
Rahi et les deux parties ont saisi l’occasion pour ouvrir un
nouveau dialogue entre elles. La question des armes n’a pas été
évoquée, s’est contenté de préciser, en réponse à une question
le patriarche Rahi. Mais selon plusieurs sources, il a été
convenu de mettre en place un dialogue permanent via un comité
restreint, qui lui, évoquerait toutes les questions litigieuses.
Ces premières démarches montrent en tout cas la volonté du
patriarche Rahi de redonner à Bkerké un rôle rassembleur, tant
sur le plan chrétien que sur le plan national et régional. C’est
en tout cas ce que souhaite le Vatican, très soucieux de la
situation grave que traversent actuellement les chrétiens
d’Orient, avec les tueries d’Irak et d’Egypte et l’émigration
des jeunes au Liban, sans parler de la persécution claire qu’ils
subissent en Palestine. Dans ce contexte en plein
bouleversement, les chrétiens ont besoin d’un Pasteur sage,
capable de ne pas les laisser perdre le cap qui consiste dans le
maintien de leur présence dans la région. Beaucoup d’espoirs
sont ainsi placés dans l’arrivée à la tête de l’Eglise maronite
d’une personnalité comme celle de Mgr Béchara Rahi, mais la
mission qui l’attend est difficile, non seulement à cause du
contexte compliqué mais aussi de l’état de division et de
radicalisation actuelle des chrétiens et des Libanais en
général. Vendredi prochain devrait marquer un tournant dans
l’histoire de Bkerké avec une cérémonie d’intronisation qui
s’annonce grandiose, non seulement dans le rituel, mais aussi
dans la participation de toutes les parties libanaises, d’une
délégation française, d’une autre syrienne et même de
représentants iraniens. Un nouveau départ qui pourrait ouvrir
une nouvelle voie pour les chrétiens et pour le Liban, axée sur
la tolérance, le dialogue et l’entente autour des questions
essentielles.
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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