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Opinion
Grandeur et
décadence d'une hyperpuissance
Soraya Hélou
Maura Connelly
Mardi 18 janvier 2011
L’ambassadrice de la plus grande puissance du monde (jusqu’à
nouvel ordre), les Etats-Unis, s’est rendue dimanche malgré le
mauvais temps à Zahlé, bravant la neige de Dahr el Baïdar, non
pas pour une mission de développement ou pour voir sur le
terrain comment vit cette région du Liban. Non, Mrs Maura
Connelly a fait tout ce trajet pour rencontrer un seul député,
dont sans doute jusqu’à la veille, elle ignorait le nom. Il
s’agit de Nicolas Fattouche, lequel avait présidé la liste du 14
mars aux élections législatives de 2009, avant de prendre ses
distances avec ce camp, l’accusant de ne pas savoir ce qu’il
veut, d’être corrompu et de vouloir mettre la main sur le Liban
et ses richesses. Fattouche qui s’est retiré seul du bloc 14
mars de Zahlé n’a pas pour autant rallié le camp de
l’opposition. Mais même cette attitude a été jugée inacceptable
pour Mrs Connelly qui s’est donc rendue chez lui pour le pousser
à voter aux côtés du 14 mars dans les consultations
parlementaires destinées à désigner un successeur à Saad Hariri.
Naturellement, la démarche de l’ambassadrice des Etats-Unis, qui
se rend chez un obscur député de la Békaa s’inscrit dans le
cadre du respect de la souveraineté et de l’indépendance du
Liban. Cette initiative étrange, qui ne respecte même pas les
formes, n’a pas soulevé une seule critique, voire provoqué la
gêne du camp du 14 mars qui trouve normal que l’ambassadrice se
mêle des questions les plus internes du Liban sans honte et sans
le moindre égard pour le respect des institutions, des règles
diplomatiques en vigueur et de la courtoisie la plus
élémentaire. Ni l’ambassadrice, ni son équipe n’ont d’ailleurs
éprouvé le besoin de démentir l’objectif de la visite ou tenté
de lui trouver une autre justification. Avec beaucoup
d’arrogance, les Etats-Unis se comportent désormais au Liban en
patron qui veut imposer sa volonté à ses employés. Cela a le
mérite d’être clair, même si un tel comportement devrait être
honteux pour les Libanais et pour les Américains. Mais il est
vrai que depuis leur échec flagrant en Irak et en Afghanistan,
les Américains ne prennent plus des gants avec leurs partenaires
dans la région. C’est un véritable chantage, via le mandat
d’arrêt international qu’ils ont exercé avec le président du
Soudan Omar el Bachir, sans éprouver la moindre gêne d’utiliser
d’une façon aussi flagrante la justice internationale pour
parvenir à leurs fins, à savoir la partition du Soudan. Ils
croient aussi pouvoir rééditer le coup au Liban. Ils ont
commencé par brandir la carte de l’acte d’accusation du TSL,
dans le but de faire peur au Hezbollah, croyant le faire ainsi
renoncer à ses armes qui dérangent tellement Israël. C’était mal
connaître ce parti. Face à son refus d’obtempérer- puisque c’est
cela qu’exige les Etats-Unis des Libanais-, la machine infernale
s’est mise en branle pour lancer l’accusation et l’affaiblir au
point de pouvoir l’entraîner dans un conflit interne et paver
ainsi la voie à une nouvelle invasion israélienne. Mais le
Hezbollah a déjoué le plan en reprenant l’initiative et faisant
chuter le gouvernement de Saad Hariri. Aussitôt, toute la
planète s’est mobilisée pour ramener à son poste celui qui l’a
perdu. En quoi la désignation de Saad Hariri pour former un
gouvernement au Liban est-elle d’une importance planétaire et
constitue-t-elle un enjeu pour la Norvège, la France, les
Etats-Unis et le reste du monde ? C’est vraiment hallucinant.
Pourquoi ce jeune homme qui en est à ses débuts dans le domaine
politique est-il devenu un personnage aussi important que même
le Conseil de Sécurité s’est mobilisé en sa faveur ? Soit il
s’agit d’un génie méconnu, soit il s’inscrit dans un projet
vital pour les Etats-Unis et leurs alliés à savoir Israël. Ainsi
tout le dispositif mis en place au cours des dernières années
pour détruire le Hezbollah, moralement, politiquement et
militairement risque de s’effondrer si Saad Hariri n’est plus au
gouvernement. Voilà toute l’équation. Voilà pourquoi Mrs
Connelly s’est rendue à Zahlé et elle serait prête à aller au
Akkar, au Sud et dans le plus petit village si un député s’y
cache pour empêcher l’opposition de désigner un candidat autre
que Saad Hariri pour la formation du gouvernement. Voilà l’enjeu
est clair et les Libanais, ceux qui croyaient vraiment que le 14
mars militait pour la souveraineté et l’indépendance n’ont qu’à
ravaler leur déception. L’heure n’est plus aux émotions. Pour
les Etats-Unis, les slogans de démocratie, c’est bon pour les
idiots qui les croient. Quant au fait qu’une hyperpuissance
comme eux, se retrouve dans les ruelles de Zahlé, ils n’y voient
pas une décadence. Depuis les morts d’Irak et d’Afghanistan, ils
sont tombés très bas.
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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