Opinion
Mansour ou le
courage d'un ministre arabe
Soraya
Hélou
Lundi 11 mars
2013
Alors comme cela,
le ministre libanais des affaires
étrangères Adnane Mansour aurait commis
un grand crime en osant réclamer le
retour de la Syrie au sein de la Ligue
arabe et en refusant d’accorder le siège
qui lui revient à une partie de
l’opposition ? Plus encore, il aurait
commis une erreur monumentale en
s’abstenant de voter une résolution
destinée à autoriser l’armement de
l’opposition syrienne. Voilà, en gros,
il aurait dû prendre parti en faveur de
cette opposition et de ceux qui
l’appuient, au risque de mettre son
propre pays en danger, en raison de la
division interne sur le dossier syrien
et légaliser en quelque sorte l’afflux
d’armes vers l’opposition syrienne via
le Liban… Indépendamment du fait qu’une
telle proposition venant de la Ligue
arabe est indigne d’une instance sensée
regrouper les dirigeants arabes en vue
de leur permettre de s’entendre sur les
dossiers qui intéressent la région et
concernent leurs populations, elle
neutralise surtout totalement cette
Ligue qui n’a presque plus de raison
d’être. Si la Ligue continue sur cette
voie, la prochaine fois, ce ne sera pas
la coalition présidée par Moaz al Khatib
qui siègera avec les dirigeants du monde
arabe, mais les représentants du Front
al Nosra et ils seront traités comme des
rois par les dirigeants du monde arabe
qui montrent chaque jour un peu plus
qu’ils ne dirigent rien ou presque.
En refusant de la laisser glisser dans
ce sens, le ministre libanais Adnane
Mansour a quasiment sauvé la Ligue de
l’autodestruction. Et justement le
ridicule dans l’affaire est l’attaque
systématique dont il est la cible par
les parties libanaises du 14 mars.
Adnane Mansour a été ainsi traité de
tous les noms, sans que ses supérieurs
hiérarchiques, à savoir le chef de
l’Etat et le Premier ministre ne
prennent sa défense. Au contraire, ils
lui ont même adressé, selon les termes
du Premier ministre, une lettre claire
pour le rappeler à l’ordre.
Décidément, au Liban, ce n’est plus la
voix de la raison qui domine, mais celle
des intérêts et ceux-ci pour une partie
de la classe politique passe par la
volonté de plaire à ce qu’on appelle la
communauté internationale. Car en
s’absentant de voter et en refusant de
pencher vers l’opposition syrienne, le
ministre Mansour n’a fait qu’appliquer
la politique de dissociation prônée par
l’exécutif libanais et consacrée par la
déclaration de Baabda.
Mansour aurait donc dû approuver
l’octroi du siège de la Syrie à
l’opposition et couvrir l’afflux d’armes
vers celle-ci, selon ses détracteurs.
Que se serait-il alors passé au Liban,
où le régime a sans doute autant de
partisans que l’opposition parmi les
déplacés installés sur son territoire ?
Quel précédent cela aurait-il créé au
sein de la Ligue arabe qui essaie malgré
tout de préserver un minimum de
crédibilité ? Et comment une telle
instance pourrait-elle reconnaître comme
représentant officiel d’un pays
l’opposition au régime en place qui
n’est même pas constituée en
gouvernement en exil ? Et si après une
telle décision, la Ligue décidait
d’accorder le siège de l’Egypte à
l’opposition au président
Morsi ? Quelle logique institutionnelle
est-ce là ? Enfin pourquoi exiger cela
de la Ligue et pas de l’ONU ou de
nombreux pays occidentaux qui, jusqu’à
présent, se sont bien gardés de renvoyer
les ambassadeurs nommés par le régime ?
Les détracteurs du ministre Mansour se
sont-ils posé ces questions avant de
lancer contre lui leur artillerie lourde
? De quel droit osent-ils affirmer que
le ministre a violé la politique de
dissociation prônée par le gouvernement
qu’eux-mêmes n’ont cessé de critiquer et
de dénoncer depuis qu’elle a été
instaurée ? Ils veulent désormais
défendre cette politique contre les
agissements du ministre qui, pourtant au
moment du vote, s’est abstenu.
Qu’aurait-il donc dû faire ? Entraîner
le Liban fragilisé à l’extrême dans une
position offensive à l’égard du régime
syrien, foulant ainsi aux pieds la
volonté d’une partie non négligeable des
Libanais ?
Le ministre Mansour a adopté une
position dans la ligne de celle qu’il a
suivie depuis son accession au
portefeuille ministériel. Il a aussi agi
selon sa conscience de l’intérêt de son
pays et de celui des autres pays arabes
qui devraient respecter la charte qu’ils
ont eux-mêmes votée lorsqu’ils ont
décidé de former la Ligue arabe. Dans
cette charte, il est clair que jusqu’à
ce qu’un autre régime prenne le pouvoir,
c’est celui qui est en place qui
continue à siéger à la place officielle
au sein de la Ligue. Mansour a donc eu
une attitude digne et courageuse, celle
du responsable qui se situe au-delà des
considérations personnelles ou
politiciennes, et qui cherche à voir
plus loin que le bout de son nez… en
l’occurrence, pour certains, plus loin
que le portefeuille. Une notion sans
doute inconnue pour un grand nombre de
ceux qui le critiquent aujourd’hui.
D’ailleurs, le ministre Mansour a
poursuivi normalement ses activités à
son ministère, indifférent à la tempête
que son attitude noble et raisonnable a
déclenchée au Liban et au sein de
l’opposition syrienne qui souhaite
compenser par des fauteuils officiels
son incapacité à occuper de façon
déterminante le terrain en Syrie-même.
Source : moqawama.org
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