Opinion
Lorsqu'un
patriarche conscient de ses
responsabilités prend la parole...
Soraya Hélou

Le
patriarche Béchara Raï
Samedi 10 septembre
2011
L'étincelle est venue d'une information
qui s'est glissée jeudi dans les
rédactions libanaises. Elle affirmait
que la rencontre entre le président
français Nicolas Sarkozy et le
patriarche maronite Béchara Raï s'était
plutôt mal déroulée. Le président
français aurait commencé par faire
attendre le patriarche, car il avait été
indisposé par les déclarations de Mgr
Raï sur la nécessité de préserver les
minorités. Ensuite, au cours de
l'entretien, toujours selon la même
information, le président français
aurait conseillé à son interlocuteur
libanais de ne plus soulever la question
des minorités au Moyen Orient car ces
minorités ne peuvent pas obtenir leurs
droits dans un régime totalitaire...Il
n'en fallait pas plus pour que
l'orchestre libanais se mobilise et
lance une campagne féroce contre le
patriarche Raï et ses propos considérés
comme défendant le régime de Bachar
Assad. D'une seule voix et comme un seul
homme, les députés, cadres et médias du
14 mars se sont élevés contre le
patriarche, faisant fi de sa position de
chef de l'Eglise maronite et ne
cherchant même pas à écouter son idée.
Quand on pense qu'il y a quelques mois,
si quelque partie libanaise osait
émettre une vague et tiède critique
contre le prédécesseur de Mgr Raï, le
patriarche Sfeir, elle était aussitôt
violemment prise à partie par le même
camp du 14 mars sous prétexte qu'il ne
faut pas s'en prendre au chef de
l'Eglise maronite quelles que soient ses
positions. Les temps ont bien changé.
Aujourd'hui, c'est à qui critiquera Mgr
Raï, oubliant sa fonction et le respect
dont elle est censée jouir.
Mais au-delà de la forme, nul n'a
examiné avec rationalité le contenu des
propos de Mgr Raï, aussitôt catalogués
dans la catégorie des positions
pro-syriennes et pro-Hezbollah. En tant
que responsable de l'Eglise maronite,
l'une des plus grandes Eglises
orientales du Moyen Orient, le
patriarche Raï a à cœur le sort des
chrétiens de la région, sérieusement
menacés par les développements qui se
succèdent. Cela, ce n'est pas le
patriarche qui le dit, mais les
chiffres, notamment ceux présentés au
Vatican dans le cadre du synode sur les
Eglises du Moyen Orient qui s'est tenu à
l'automne au Vatican. En gros, il y a
été noté que les chrétiens jadis
majoritaires en Palestine, ne sont plus
que 4% de la population, en Irak, près
d'un million de chrétiens a quitté le
pays depuis l'invasion américaine en
2003 et en Egypte, les chrétiens sont
régulièrement soumis à des attaques de
la part d'islamistes. En Syrie, les
chrétiens se sentent menacés par les
Frères musulmans et les groupuscules qui
évoluent dans leur orbite et s'ils
devaient à leur tour prendre le chemin
de l'exode, il ne resterait plus dans la
région que les chrétiens du Liban qui
d'ailleurs ne représentent plus que près
de 30% de la population et qui sont
prompts à prendre le chemin de
l'émigration eux aussi. Voilà le tableau
qui avait été exposé par les différents
représentants des Eglises du MO au
synode du Vatican. Et c'est ce tableau
que le patriarche Raï a en tête
lorsqu'il soulève la question des
minorités, face à la montée des
islamismes. En Palestine, en Irak et
ailleurs, on a d'ailleurs bien vu
l'importance et le poids de l'appui de
la communauté internationale aux
chrétiens, puisqu'elle n'a pas soulevé
le petit doigt pour eux. Elle s'est
contentée de fournir les couvertures et
les matelas pour les réfugiés avant de
les aider à obtenir des visas pour les
pays lointains. Le synode des Eglises,
lui, avait invité les chrétiens
d'Orient, dans ses recommandations, à
s'intégrer dans leur environnement
musulman et à y adopter leurs grandes
causes pour s'enraciner sur leur sol. La
Palestine n'est-elle pas la grande cause
arabo-musulmane ? Quel crime a donc
commis le Patriarche Raï en affirmant
que les problèmes de la région viennent
de l'occupation de la Palestine et que
la communauté internationale n'a rien
fait pour aider les Palestiniens et les
Libanais dans leur lutte pour libérer
leurs terres ? Quel crime a-t-il donc
commis lorsqu'il a rappelé que le régime
syrien, en dépit de tous ses défauts,
protège les minorités et traite de la
même manière les chrétiens et les
musulmans ? Il faut donc l'aider à
évoluer, non l'isoler pour le briser,
sans avoir la moindre garantie sur
l'identité de la relève...Mais voilà, la
communauté internationale ne se soucie
pas des chrétiens du MO. Dans leur bras
de fer avec ceux qui osent ne pas
exécuter leurs quatre volontés et servir
leurs intérêts, combien pèsent quelques
millions de chrétiens ? Rien du tout. La
question qui se pose toutefois est la
suivante : pourquoi les chrétiens du 14
mars alignent-ils leurs positions sur
celles de la communauté internationale,
critiquant le patriarche lorsqu'il ose
parler en chef d'Eglise du MO, sans
tenir compte de leur propre identité et
sans penser à leur propre avenir ?
Sont-ils à ce point aveugles...ou bien
n'ont-ils pas d'autre choix ? Le
patriarche Raï, lui, a parlé en homme
libre, conscient de ses responsabilités
envers une communauté qui dérange
désormais l'Occident. Il a exposé ses
convictions avec franchise, alors que
ses détracteurs, eux ne font que réciter
des leçons, souvent mal apprises
d'ailleurs...
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