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Opinion
Ben Jeddo, une leçon
de dignité
Soraya Hélou
Ghassan Ben Jeddo
Mercredi 4 mai 2011
Dans le triste paysage médiatique actuel, où les plus grands
médias se transforment en instruments de propagande et
d’incitation à la révolte, il existe encore de petites lueurs
d’espoirs, des personnes fidèles à leurs principes et à la
mission sacrée du journaliste qui est de transmettre honnêtement
les informations sans chercher à les fabriquer ou à les déformer
pour des objectifs politiques ou autres.
Ghassan Ben Jeddo, l’ancien chef du bureau d’Al Jazeera au Liban
en fait partie et il vient de donner à tous les journalistes du
monde et à ceux qui les contrôlent une belle leçon de dignité et
de professionnalisme. L’événement mérite d’être relevé, non
seulement en hommage à un acte de foi dont peu de personnes
auraient été capables, mais aussi pour saluer un homme rare qui
a réussi à conserver toute son intégrité en dépit de toutes les
tentations, dans un monde où les luttes pour le pouvoir, pour
l’argent et pour les intérêts priment toute autre considération.
En Europe, certains disent que la télévision rend fou. Que dire
alors d’Al Jazeera, qui en très peu d’années avait réussi à
devenir un véritable symbole pour le monde arabe, entrant dans
tous les foyers dotés d’un dispositif pour capter les chaînes
satellitaires et devenant pratiquement le principal véhicule
d’opinion dans le monde arabo-musulman ? Y travailler, ou plutôt
y apparaître était devenu une garantie de célébrité planétaire.
Il serait donc normal que les journalistes qui y travaillent
aient la grosse tête, d’autant qu’ils gagnent aussi beaucoup
d’argent. A peine entrés dans le monde d’Al Jazeera, ils
changent forcément de train de vie et parfois de look.
Seul Ghassan ben Jeddo était resté le même depuis ses premières
apparitions en tant que correspondant de la chaîne en Iran
jusqu’à ses grandes entrevues au Liban et dans le monde arabe.
Professionnel, posant des questions incisives et n’hésitant pas
à traiter les sujets les plus délicats, il ne s’est jamais
départi de sa courtoisie extrême dans un média où la tendance
est de croire que plus on crie plus on est fort et plus le
message porte. A Al Ajazeera, devenue célèbre pour ses talks
shows où les invités n’arrêtent pas de hurler devant un
présentateur qui jette de l’huile sur le feu, Ghasan ben Jeddo
tranche par son calme, son sérieux et sa politesse. Des qualités
rares qui lui ont valu le respect unanime de ses nombreux
invités et de ses tout aussi nombreux téléspectateurs.
Paraître dans « dialogue ouvert » était considéré comme une
promotion, sans parler de sa couverture magistrale à la fois
professionnelle et profondément humaine de la guerre de 2006 au
Liban et de tous les événements traversés par ce pays dont
beaucoup n’ont pas été heureux.
Ben Jeddo a toujours placé son professionnalisme en tête de ses
priorités dans le travail, mais cela ne l’a jamais empêché
d’être aussi un homme de convictions et de principes. Il en a
donné une nouvelle preuve il y a quelques jours lorsqu’il a
choisi de présenter sa démission d’une chaîne devenue une
institution dans le monde arabe et occidental, d’un travail
respecté et qui lui rapporte de l’argent, tout simplement parce
qu’il estimait que la ligne éditoriale de la chaîne ne
correspondait plus à ses propres critères professionnels.
Combien de journalistes l’auraient fait ? Sans doute Louna Chebl,
mais c’est bien tout.
Seulement, Ghassan Ben Jeddo a refusé les déclarations
fracassantes, le lavage de linge sale en public, il est parti
sans vagues ni cris, digne jusqu’au bout. En dépit de toutes les
sollicitations médiatiques pour lui soutirer des « confidences
juteuses » ou des « propos désobligeants », il n’a pas dit un
mot de trop, respectant la ligne qu’il s’est fixée lorsqu’il a
commencé sa carrière professionnelle : fidélité aux principes et
courtoisie. Ghassan ben Jeddo a montré ainsi qu’il était à lui
seul une école journaliste, celle de la dignité et du souci de
vérité. Le Liban, mais aussi le monde arabe attend avec
impatience la naissance de la chaîne qu’il a promis de fonder et
qui sera basée à Beyrouth, selon ses propres termes, redonnant à
cette capitale son rôle de pionnière des libertés, responsables.
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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