Pour répondre finalement à votre
question concernant le cas Hariri : la commission disposant
« de moyens d’investigation illimités » me semblait
servir à duper le public afin de pouvoir parachever la fraude. Il
s’agissait, pour ainsi dire, d’un crime commis dans le cadre
de l’investigation sur un autre crime. Je trouve cela
monstrueux. Et cela me hérisse toujours.
Jürgen Külbel :
Oui, mais je vais en parler dans mon prochain livre [1].
Permettez-moi de faire sur ce point une remarque concernant les
indices matériels qu’avaient rassemblés les commissions de
l’ONU. Il se pose en ce moment la question de savoir si, de façon
générale, ce matériel vaut (encore) quelque chose.
Qu’est-il advenu de ce matériel pendant la guerre de juillet
au Liban ? Qu’est-ce que le Belge Serge Brammertz a
emporté avec lui, deux jours après le début de la guerre,
lorsqu’il s’est enfui à Chypre afin d’échapper aux
bombes israéliennes ? Tant de mains ont pu toucher
librement à ce matériel pendant les bombardements que tout
cela ne peut plus être retracé et être pris au sérieux.
Il est également inexcusable
d’oublier les liens entre l’impudent John
Bolton, ambassadeur état-unien auprès des Nations Unies,
et Serge Brammertz ! Bolton, qui avait un jour souhaité
que Mehlis ait un clone comme successeur, lequel fut désigné
en la personne de Brammertz, s’est montré jusqu’ici extrêmement
satisfait de la prestation du Belge. Ceci devrait constituer un
signal d’alarme car Bolton, l’un des plus importants
criminels de guerre encore en vie, est un homme qui a
massivement contribué à la fabrication de preuves pour légitimer
la guerre en Irak.
De surcroît, nous avons pu
lire, dans tous les rapports publiés jusqu’à présent, que
les commissions de l’ONU n’ont pu présenter aucune
information pouvant servir à l’identification des coupables.
Monsieur Mehlis a lamentablement échoué l’année dernière
parce qu’il avait ignoré des avertissements non équivoques
et parce qu’il pensait pouvoir mettre Damas à genoux, avec le
soutien des USA et des Nations Unies, au bénéfice de Bush et
compagnie. Son « travail », rappelez-vous seulement
les étranges auditions des témoins, ne mérite que les
poubelles de la criminologie, ou de figurer comme exemple à ne
pas suivre dans le cadre de séminaires pour juristes ou
criminologues en herbe.
Silvia
Cattori : Sur l’essentiel, à
quelles conclusions êtes-vous arrivé et sur quels points vos
conclusions contredisent-elles celles de M. Mehlis ?
Jürgen Külbel :
De façon générale, mes conclusions n’ont rien en commun
avec celles de Monsieur Mehlis. C’est dommage que mon livre Mordakte
Hariri (Le dossier Hariri) [2],
disponible en allemand et en arabe, n’ait pas encore été
traduit en d’autres langues, car c’est une question qui
m’est souvent posée. Le but de mon travail n’a jamais été
de réfuter les deux rapports de Monsieur Mehlis. Je voulais
plutôt démontrer l’absurdité des investigations des
commissions de l’ONU, qui mènent dans un cul de sac
criminologique inadmissible. Je le démontre en prouvant qu’il
existe une autre piste très importante qui ne pouvait être
ignorée. Normalement, des investigateurs honnêtes ne
pourraient tout simplement pas se permettre d’ignorer purement
et simplement des pistes comme celles sur lesquelles j’ai
travaillé. Mais cette ignorance démontre clairement que la
commission de l’ONU procède de façon très partiale dans son
travail. Cela devrait normalement être considéré comme un
poison qui tue une enquête criminelle objective ;
cependant, pour des « investigateurs en chef » qui
ne visent qu’à satisfaire servilement les intérêts
politiques de leurs mandants, c’est comme une potion magique.
Mais de cela, tous ces messieurs impliqués -apparemment tous
des poissons morts qui nagent bouche fermée avec le courant-
doivent s’arranger eux-mêmes avec leur conscience, pour
autant qu’ils en aient une.
Je demande ici, encore une fois,
que l’on interroge Richard Perle, ou Daniel
Pipes, un homme qui, au moins en Allemagne et dans
d’autres circonstances, aurait déjà été emprisonné pour démagogie.
Ou encore que l’on interroge Abdelnour ou Najjar ou Kahl et
tous les autres qui n’ont pas les mains nettes, qui voulaient
se débarrasser d’Hariri, qui demandaient un renversement du
gouvernement libanais, et que je nomme dans mon livre. Ils
avaient déjà préparé la violence sur un plan théorique ;
et quelques-uns, parmi eux, avaient déjà tué Hariri
verbalement ou l’avaient déjà inscrit sur leur liste noire.
Pourquoi, jusqu’à présent, aucun de ces individus n’a-t-il
été interrogé, au moins pour évaluation, par ces
investigateurs en chef qui se font passer pour des héros et prétendent
que leur vie est menacée au Liban ? Par ces manquements,
la commission se ridiculise et, qu’elle le veuille ou non, se
prostitue indirectement.
Les médias sérieux doivent
maintenant faire pression sur la commission de l’ONU. Je ne
parle pas de détails, de pistes, du contenu des
interrogatoires. Il s’agit de mettre en question
l’objectivité de l’enquête : elle est non existante
car les commissaires ferment sciemment les yeux devant une piste
très importante. Ainsi les responsables, et aussi le président
Chirac, peuvent continuer à répandre de belles paroles
mystificatrices.
Silvia
Cattori : Vous êtes donc arrivé
à la conclusion que la Syrie n’était pas responsable de
l’assassinat de M. Rafic Hariri comme l’avait affirmé
M. Bush ?!
Jürgen Külbel :
Les acolytes de Bush savaient ce qu’ils tramaient lorsqu’ils
laissaient leur leader dire, à Washington, sur le corps pas
encore froid d’Hariri, que les commanditaires du crime se
trouvaient à Damas. Les milieux druzes et libanais anti-syrien
donnèrent un écho immédiat à ces accusations. La chanson
entonnée ensuite par le premier commissaire, l’Irlandais Peter
Fitzgerald, en mars 2005, sur le laisser-aller des autorités
libanaises concernant la sécurisation des lieux du crime et la
conduite de l’enquête sur place, était calculée et
empreinte d’une condescendance de style colonial. Tout le
monde savait que -comparés à nos standards- la police
libanaise et les services secrets manquaient de personnel spécialisé,
d’équipements techniques, de méthodes d’enquête médicolégales
et criminologiques, ainsi que de la logistique et du savoir
faire nécessaires pour enquêter sur un crime capital d’une
telle dimension. Et d’où diable auraient-ils pu sortir tout
cela ? Les responsables du Potomac et les services ayant
planifié l’attentat contre Hariri savaient pertinemment que,
si les Libanais menaient l’enquête primaire, on pouvait dans
ce cas être sûr à cent pour cent qu’il y aurait des négligences.
D’ailleurs, dans le monde entier, il n’est pas rare de voir
ce genre d’erreurs et de négligences au cours d’enquêtes
criminelles policières. Et, dans le cas précis de l’attentat
contre Hariri, ces « erreurs et négligences »
devaient servir de prétexte à diriger les premiers soupçons
sur un prétendu complot libano-syrien.
Cette fiction a d’abord été
alimentée par un journaliste correspondant au Proche-Orient,
Robert Fisk, qui, bien avant la publication du rapport de
Fitzgerald, a donné, dans le quotidien britannique The
Independent, une image erronée de la situation en affirmant
que les investigateurs étaient convaincus qu’on avait falsifié
des preuves « dans les plus hautes sphères » des
services secrets et que le rapport de l’ONU serait « dévastateur ».
Fisk n’indiquait pas ses sources mais prédisait pourtant que
le président états-unien George W. Bush allait bientôt
annoncer que « des officiers syriens et peut-être des
officiers libanais des services secrets militaires » étaient
« impliqués » dans le meurtre. À l’époque, la
Maison-Blanche prononça un démenti, à considérer en fait
comme une hypocrisie.
Silvia
Cattori : Quels objectifs
poursuivaient les assassins de M. Hariri ?
Jürgen Külbel :
Un démon est en train de sévir partout dans le monde. Dans le
cadre de la restauration globale des relations qui existaient
avant la division en un camp communiste et un camp capitaliste,
et motivés par les intérêts géostratégiques et économiques
du capital, les défenseurs des formes de pouvoir occidentales,
considérées à tort comme démocraties, se servent de
soi-disant « révolutions démocratiques » -variante
de putsch à moindres frais- pour éliminer des gouvernements
indésirables.
En 2003, alors que les empereurs
d’outre-mer et leurs paladins anglo-saxons étaient en pleine
campagne militaire contre l’Irak, les criminels de guerre
s’aperçurent bientôt qu’ils s’y étaient mal pris :
la « pacification » de l’Irak se faisait attendre
ainsi que son effet domino, à savoir la liquidation du
panarabisme qui devait entraîner la chute d’autres
autocraties et dictatures voisines, conduire à la balkanisation
de l’Arabie, rendre ainsi plus facile sa domination et son
exploitation, et permettre d’installer Israël en position
d’hégémonie.
Très énervé, l’Empereur
Bush Jr. tira de sa boîte la glaciale afro-américaine Condoleezza
Rice et la nomma secrétaire d’État. Depuis, ouvertement
ou de façon cachée, Rice soutient et finance -comme le font
aussi les profiteurs de guerre et vice-président Dick
Cheney ou le Commandant en chef du pouvoir terroriste américain
et serviteur du « Big Oil » Donald
Rumsfeld- des « mouvements de résistance »
visant à obtenir, par la force, des changements de régime dans
les états de l’ex-Union Soviétique ou au Proche-Orient, et
également dans les régions à proximité desquelles on
projette de construire des oléoducs.
L’aide financière et « logistique »
est fournie, entre autres, par l’association Freedom
House, conduite par l’ancien directeur de la CIA, James
Woolsey, par l’United
States Agency for International Development (USAID) par l’Open
Society Institute de George
Soros, l’un des hommes les plus riches au monde, par la National
Endowment for Democracy (NED), et aussi par le gouvernement
de Tony Blair.
Depuis l’arrivée de Mlle Rice,
le monde entier a pu se « réjouir » de quelques éphémères
révolutions « démocratiques » sous le signe des
fruits et légumes : des oranges
en Ukraine, du velours
en Géorgie, des tulipes
en Kirghizie, ainsi que de la « Révolution des cèdres »,
déclenchée au printemps 2005 après l’attentat contre
l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Cette dernière
« révolution » a été conduite par le féodal
druze Walid Joumblatt, grand massacreur pendant la guerre civile
au Liban.
Silvia
Cattori : M. Rafic Hariri,
n’était-il pas arrivé quasiment à la fin de son mandat ?
Jürgen Külbel :
Peu importait : pour agir efficacement sur l’opinion, il
fallait abattre une figure de proue de la vie publique et
politique afin d’attiser la colère du peuple libanais. Pour déclencher
la « Révolution des cèdres » -un concept tiré de
la boîte à idées néoconservatrice- rien ne faisait mieux
l’affaire que l’assassinat d’un Hariri, c’est-à-dire,
la liquidation d’un Monsieur Liban qui dirigeait l’État
comme s’il s’agissait de sa propriété personnelle.
Silvia
Cattori : Avez-vous eu des
contacts avec la Commission Mehlis au cours de vos
investigations ?
Jürgen Külbel :
Je considérais cela comme inutile puisque je suivais justement
une toute autre piste. Après la lecture fastidieuse de
centaines de dossiers et de milliers de pages passées par les
mains de l’Allemand, (Mehlis) vous êtes gagné par
l’impression que Madame Justice s’arrache le bandeau des
yeux et essaie de vous assommer avec le fléau de sa balance. Et
là, vous n’avez plus aucune envie de contacter Monsieur
Mehlis. Malgré tout, je l’ai contacté sur un point spécifique.
Il s’agissait d’émetteurs de brouillage qui équipaient les
voitures du convoi d’Hariri et qui, selon une source anonyme,
étaient d’origine israélienne. À l’époque, il prétendit
être tenu par le secret professionnel et transmit ma demande à
Brammertz. A peine la version allemande de mon livre Mordakte
Hariri était-elle parue, qu’il rompit son « vœu de
silence » -j’ignore si c’était en accord avec
Monsieur Brammertz ou à titre personnel- et il déclara dans un
entretien avec le journal libanais Daily Star,
le 21 avril 2006 : « Les affirmations figurant dans
ce livre, comme celle que des émetteurs de brouillage utilisés
par Hariri était produit par une entreprise israélienne, sont
complètement fausses et tout simplement ridicules. Moi et
quelques-uns des membres de la commission de l’ONU avons
examiné cette question, et le système utilisé par Hariri
avait été importé d’un pays de l’Europe de l’Ouest ».
Bon, « importé » ne
veut pas dire produit. Ce qui nous renvoie à la question clé
à laquelle Gil Israeli, ancien membre des services secrets et
chef de l’entreprise israélienne qui produit ces émetteurs
de brouillage, ne m’a pas donné de réponse. Je lui avais
demandé : « Voulez-vous dire que vous ne pouvez pas
exclure qu’Hariri ait pu acquérir, par une voie détournée,
des émetteurs de brouillage produits par votre entreprise ? »
Il se pourrait aussi que l’acquisition ait eu lieu par
l’intermédiaire d’une de ces entreprises européennes qui
ne sont qu’une boîte à lettres, et pour lesquelles, « dans
certains cas » et « pour des clients spéciaux »,
les prescriptions strictes d’exportation du ministère israélien
de la Défense peuvent être contournées.
Quoi qu’il en soit, après la
mise en cause de ma thèse par M. Mehlis, je lui ai demandé,
par écrit, des précisions et explications afin d’éviter des
inexactitudes dans la traduction arabe de mon livre. Mais il
s’était déjà évanoui comme la belle au bois dormant. Je
n’ai jamais reçu de réponse.
Silvia
Cattori : En somme, s’il n’y
avait pas eu des témoins qui se rétractaient, M. Bush
aurait eu le prétexte voulu pour mettre tout de suite à exécution
ses projets de déstabilisation contre la Syrie ?
Jürgen Külbel :
Certainement. Après le Liban, Bush avait misé sur l’effet
domino et croyait que la Syrie serait également une proie
facile. Il avait même déjà sous la main une marionnette
appropriée : le « leader de l’opposition syrienne »
résidant aux États-Unis, Farid
Ghadry, une sorte de Chalabi syrien, attendait son heure.
Cet homme d’affaires, né à Alep, président du Parti Réformiste
Syrien (PRS), fondé juste après le 11 septembre 2001, est
complètement inconnu en Syrie. A l’âge de huit ans, il émigra
avec ses parents au Liban, puis aux États-Unis où il suivit
des études d’économie et de marketing ; il travailla
ensuite dans l’industrie de l’armement ce qui lui apporta la
prospérité. Après le 11 septembre 2001, il a cru le moment
venu d’aider sa lointaine patrie, « par des réformes économiques
et politiques pour la démocratie, la prospérité et la liberté ».
C’est pour cette raison qu’il adhéra à l’US-Committee
on the Present Danger dont font partie des personnes comme
Newt Gingrich et l’ancien chef de la CIA James Woolsey.
Impressionné par les événements au Liban, Ghadry écrivit, en
février 2005, dans un article :
« La démocratie (en Syrie) ne restera qu’une illusion
tant que le gouvernement américain ne sera pas disposé à
soutenir publiquement et à financer convenablement les réformes.
Une rencontre à la Maison-Blanche avec un leader syrien démocrate
pourrait envoyer un signal fort à Damas lui indiquant que les
changements ont été mis en marche ».
A fin mars déjà, ses vœux
furent exaucés par Elizabeth Cheney, fille du vice-président
et chargée
du Proche-Orient au département d’État. Elle avait
autrefois mis en place, en collaboration avec le secrétaire à
la Défense Donald Rumsfeld, la Middle
East Partnership Initiative (MEPI) qui, sous couvert de
« réformes économiques, politiques, et de
l’enseignement », fournit des fonds aux forces de
l’opposition dans le monde arabe. Pour l’année 2003
seulement, ces fonds se chiffraient à 100 millions de dollars.
Cette tenante d’une ligne dure, âgé de 36 ans, présida, à
Washington, une réunion « non officielle » à
laquelle participèrent Farid Ghadry et des « Syriens
d’opposition ». L’équipe de Ghadry-tous des
dissidents résidant aux États-Unis et réunis dans la « Syrian
Democratic Coalition » (SDC)- discutèrent avec des
fonctionnaires du bureau du vice-président, du Pentagone et du
Conseil national de sécurité, de la question de savoir
« comment affaiblir le régime à Damas » et
« comment prouver que des fonctionnaires syriens étaient
impliqués dans des machinations criminelles ». Ghadry,
qui demandait que le président des États-Unis lui-même
augmente la pression sur Damas, résuma cette réunion en disant
que l’appel à la démocratie en Syrie « avait été
pris très au sérieux au plus haut niveau du gouvernement Bush ».
Il voulait, pour sa part, « en étroite collaboration avec
le gouvernement américain et l’Union Européenne »,
renverser « le régime syrien tyrannique du Baas ».
À noter que Ghadry, qui collaborait étroitement avec Abdelnour,
a disparu de la scène après avoir menti au Parlement européen
et après avoir été détrôné par son propre parti pour ses
« pratiques douteuses ».
Tout le monde croyait cet homme
fini. Mais il a refait surface. Et cela, à l’occasion du
forum mondial de l’American
Enterprise Institute (AEI), un « think tank » néoconservateur,
qui se tint du 16 au 18 juin 2006 à Beaver Creek (Colorado), et
au cours duquel aurait été planifiée une attaque aérienne
israélo-américaine contre l’Iran. En outre, à l’occasion
de cette réunion, Cheney donna, à l’ancien Premier ministre
israélien Benjamin Netanyahou qui y était également présent,
son feu vert pour déclencher la guerre contre le Liban. Parmi
les soixante quatre participants à la conférence de l’AEI,
on comptait le secrétaire à la Défense Rumsfeld et d’autres
membres de l’administration Bush. Lors de cette conférence,
Cheney rencontra également Farid Ghadry. Ceci n’est
certainement pas de bon augure.
Silvia
Cattori : Quel rôle a joué Saad
Hariri, le fils de Rafic, lors de cette enquête ? N’était-il
pas du côté de ces Libanais qui ont incité des membres des
services secrets à témoigner contre la Syrie ?
Jürgen Külbel :
Laissez-moi dire la chose suivante : début juillet 2006,
Sulaiman Franjieh, président du parti libanais Marada, a déclaré
au cours d’une interview transmise à la télévision, qu’on
avait exercé des pressions sur lui alors qu’il était
ministre de l’Intérieur. Il devait dire que la bombe qui a tué
Hariri avait été placée sous terre, afin que la famille d’Hariri
pût bénéficier de la prime d’assurance. Hariri junior a
porté plainte contre Franjieh pour calomnie.
Silvia
Cattori : Qu’en est-il aussi de
la position des socialistes druzes Walid Joumblatt et de Marwan
Hamadeh ?
Jürgen Külbel :
Je ne souhaite pas parler de Joumblatt, car je ne suis pas
psychiatre. Quant à Hamadeh, s’est-il posé la question de
savoir s’il pouvait avoir été lui-même une sorte de ballon
d’essai pour le meurtre d’Hariri ? Assurément, il n’était
pas la victime idéale pour provoquer une émeute populaire généralisée
susceptible d’être canalisée dans la direction souhaitée.
Mais, du moins en tant que personnalité encore en vie, il n’était
pas indispensable pour Tel Aviv. À l’époque où il était
ministre de l’Immigration, Hamadeh avait déclaré, quand Elie
Hobeika fut victime d’un attentat : « Il est clair
qu’Israël ne souhaite pas avoir de témoins contre lui lors
de ce procès historique en Belgique qui va certainement juger
Ariel Sharon coupable pour les massacres dans les camps de réfugiés
de Sabra et Chatila. Nous, à Beyrouth, avons déjà souffert de
Sharon, ce criminel, et les Palestiniens endurent aujourd’hui
la même chose de sa part ». C’étaient là des propos
très durs vis-à-vis d’Israël. Le 1er octobre 2004, Hamadeh
fut lui-même victime d’un attentat à la voiture piégée à
Beyrouth ; il y survécut, mais son chauffeur mourut.
Silvia
Cattori : Qu’en est-il des généraux
arrêtés à la suite de l’enquête menée par M. Mehlis ?
Jürgen Külbel :
Où sont donc les organisations des droits de l’Homme ?
Dans son rapport,
Brammertz a écarté le résumé rédigé par Mehlis, selon
lequel le meurtre d’Hariri n’avait pas pu être mené à
bien à l’insu de membres de haut rang des services secrets
syrien et libanais. Alors que Mehlis avait coutume de sortir de
son chapeau des « preuves » au conditionnel,
Brammertz s’exprime, lui, de façon inhabituellement « mystérieuse »
et cherche à faire passer pour neuf ce qui est déjà connu :
il parle d’un « acte terroriste hautement complexe »,
affirme que les personnes impliquées ont agi de façon très
« professionnelle », que le crime « a été
planifié de façon très efficace et réalisé avec une
discipline individuelle et collective extraordinaire » et
que « au moins quelques unes des personnes impliquées
devaient avoir de l’expérience dans ce genre d’actes
terroristes ».
Ainsi, rien ne changera, comme
nous l’assure Joumblatt : « Brammertz se base sur
le travail effectué par Mehlis. Le fait que le rapport(…) établit
un lien entre toutes les explosions qui ont eu lieu avant et après
l’assassinat d’Hariri est une accusation formelle contre le
régime syrien(…)qui dominait le Liban au moment de
l’assassinat d’Hariri ». Il s’agit, pour ainsi dire,
d’une « condamnation tacite du régime syrien »
car, dixit Joumblatt, « Brammertz est très professionnel ».
Ce qui se mijote là, dans les coulisses, doit nous indiquer
l’avenir. En tous les cas, Brammertz n’a aucune objection
contre la poursuite de la détention des quatre chefs de haut
rang de la sécurité libanaise arrêtés l’été dernier à
l’instigation de Mehlis, bien que les preuves avancées contre
eux se soient complètement effondrées en décembre dernier. Au
contraire, en collaboration avec l’ONU, le Liban se prépare
à se présenter devant un tribunal. Est bien naïf celui qui
pense que Brammertz pourrait suivre une voie personnelle, ou même
une voie « amicale vis-à-vis de la Syrie ». Seule,
la « voie hiérarchique » européenne peut nous
ouvrir les yeux : Carla del Ponte, procureur général
contre Milosevic, avait proposé, au printemps 2005, son frère
de cœur Detlev Mehlis pour le poste d’enquêteur en chef,
lequel a, pour sa part, recommandé, en décembre 2005, son ami
Serge Brammertz pour assurer sa succession. On ne mord pas la
main qui vous nourrit ! Il n’est pas sûr que le député
syrien Mohammad Habash, qui se réjouissait que le rapport de
Brammertz soit « sans aucun doute une mauvaise nouvelle
pour les ennemis de la Syrie », ait raison. Les hyènes se
sont donc installées sur le coupable souhaité par Bush, et ne
sont pas près de le lâcher. Naji Boustani, l’un des défenseurs,
m’a dit : « Depuis des mois, j’adresse
ponctuellement, tous les dix jours, une demande au juge
d’instruction responsable qui, en été 2005, a suivi la
recommandation de Mehlis de procéder à l’arrestation des
quatre personnes. Mais il ne réagit pas. Notre système
judiciaire n’offre aucune possibilité de s’opposer à des décisions
prises par un juge d’instruction. Et Mehlis le savait bien.
Une fois arrêtés, ils resteront en détention tant que cela
plaira au juge d’instruction ».
Silvia
Cattori : £a votre avis, que
signifiait le suicide du ministre syrien de l’Intérieur M. Ghazi
Kanaan ?
Jürgen Külbel :
Apparemment il s’agissait de chantage. En été 2005, les États-Unis
ont gelé les comptes de Ghazi Kanaan. Ils affirmaient qu’il
était impliqué dans des affaires illégales au Liban. Kanaan
entretenait une étroite relation avec Hariri également sur le
plan financier. Après l’offensive de l’administration Bush,
non seulement les médias libanais ont renforcé la pression
psychologique sur lui, mais on l’a encore traité de « parrain
de la drogue ». On parlait d’un interrogatoire de Kanaan
par M. Mehlis. Il faut savoir comment les choses se passent :
quelqu’un vient vous voir et pose sans mot dire sur la table
des documents desquels il ressort que vous avez reçu à
plusieurs reprises beaucoup d’argent de la victime, puis il
disparaît. Je ne veux pas m’exprimer plus en détail sur ce
point et plutôt laisser parler Walid Joumblatt -ce caméléon
politique libanais- et ce, à un moment où il avait oublié
pour une fois de mentir en respirant : « Si la
publication tant attendue du rapport de l’ONU concernant
l’attentat contre Hariri devait porter atteinte à sa fierté,
cela (le suicide) était l’action courageuse d’un homme
courageux ».
Silvia
Cattori : M. Mehlis a très
vite été dépeint comme n’ayant aucune compétence
professionnelle pour conduire une enquête aussi délicate. On
lui a également reproché de s’être appuyé sur des
politiciens libanais corrompus et des sources israéliennes.
Confirmez-vous ces dires ?
Jürgen Külbel :
Plus d’un, en Allemagne, qui prétendent connaître M. Mehlis
ou encore sa méthode de travail, affirment qu’il est
professionnellement incompétent et, je le dis de façon un peu
familière, qu’il est stupide. Telle était également, en décembre
2005, l’opinion internationale à son sujet. Je n’ai pas
l’impression qu’il en soit ainsi. Comme les criminels développent
leur propre signature dans la réalisation d’un crime, dans
ses enquêtes M. Mehlis a développé son propre style. Que
ce style, qui traverse sa pratique comme un fil rouge, ne
corresponde pas à l’image que nous nous faisons généralement
de la loi et de la moralité, c’est une autre histoire.
J’aime bien comparer cela à un sportif de haut niveau très
spécialisé ; le « spécialiste » Detlev
Mehlis dispose apparemment de caractéristiques ou de « qualités »
telles qu’elles permettent à d’autres de désigner le
coupable de leur choix, coupable qu’il est en mesure de
fabriquer. Ceci rend obsolète la deuxième partie de votre
question car il devait forcément faire appel à ce genre d’éléments
corrompus que vous avez cités.
Mais laissez-moi faire une
remarque concernant Israël : Ibrahim Gambari, secrétaire
général adjoint des Nations Unies chargé des relations
politiques, a effectivement dit, à fin août 2005, que M. Mehlis
avait établi « une bonne collaboration avec Israël et la
Jordanie » mais que tel n’était pas le cas avec la
Syrie. Une vraie plaisanterie si l’on pense aux réseaux du
Mossad découverts cette année-là au Liban, et qui y avaient répandu
la terreur avec des voitures piégées et des meurtres.
Pourtant, aucun membre des Nations Unies ne s’intéresse à établir
la relation avec le dossier Hariri. On ne peut que se demander
à quoi servent tous ces gens qui siègent à New York.
Silvia
Cattori : Peut-on en conclure que
la commission d’enquête confiée à M. Mehlis n’était
qu’un instrument entre les mains des néoconservateurs qui
voulaient que l’on attribue à la Syrie l’origine de
l’attentat ?
Jürgen Külbel :
C’est sûr. Prenons l’exemple de Serge Brammertz qui est,
pour ainsi dire, l’avocat marron de John Bolton. Même si le
Belge a, jusqu’à présent, évité d’inculper Damas pour le
meurtre, un souhait exprimé de façon appuyée par Washington,
et même s’il a souligné que « la future coopération
des Syriens serait décisive pour l’enquête », ce
fameux Bolton, connu pour ses impertinences, s’est cru obligé
de traduire : « Brammertz nous a fait comprendre, de
façon diplomatique bien sûr, que la Syrie ne coopère toujours
pas pleinement ». Cela signifiait que l’on devait
« augmenter la pression sur la Syrie », si nécessaire
« avec une nouvelle résolution du Conseil de sécurité
de l’ONU ».
À première vue, semblait-il,
le Belge allait corriger les négligences et les manipulations
laissées en héritage par Detlev Mehlis. Quinze mois après
l’attentat, il a affirmé qu’Hariri a été tué par une
explosion et souterraine et au-dessus du sol. C’est ce que des
témoins affirment depuis longtemps. M. Mehlis avait réfuté
cette possibilité car elle ne s’ajustait pas à sa théorie
du complot permettant de mettre en cause les Syriens. Il privilégiait
l’attaque à la bombe au-dessus du sol, exécutée à l’aide
d’une Mitsubishi Cancer piégée avec une tonne d’explosifs.
Il attribuait cette attaque aux Syriens, faisait magiquement
sortir des « témoins » de son chapeau. Brammertz ne
fait plus mention de ces « témoins », apparemment
parce qu’ils avaient fait leurs dépositions sous menace de
tortures ou après avoir reçu des dessous-de-table et, en
outre, parce qu’ils s’étaient rétractés depuis longtemps.
Mais il n’écarte pas le matériel sans valeur réuni par
l’enquêteur allemand puisque les quatre anciens officiers
libanais, que M. Mehlis accusait, sur la base de témoignages
suspects, d’avoir organisé cet attentat en collaboration avec
les services secrets syriens, se trouvent toujours en isolement
carcéral.
Ces quatre militaires auront
vraiment la vie dure car Bolton dit que « Brammertz base
son enquête sur les conclusions de son prédécesseur, malgré
les divergences qui se présentent. Il est clair qu’il va
suivre la même voie ». Brammertz souhaite présider lui-même
le Tribunal international, à Chypre à partir de 2007, et ce
sera à lui et à ses juges d’évaluer les « dépositions »
de ces « témoins principaux » fabriqués par Mehlis.
Ce dernier a fait le sale boulot avec beaucoup de tapage médiatique,
ce pourquoi, à part des remarques méchantes, il a aussi reçu
la croix fédérale du mérite et, conformément à son devoir, il
s’est éclipsé de l’affaire comme le « vilain »
afin que son ami Brammertz puisse se glisser dans la peau du prétendu
« bon ». Un jeu de rôles digne d’un roman à
quatre sous, mais bon pour les néoconservateurs.
Silvia
Cattori : M. Mehlis a-t-il
travaillé, comme on l’a suggéré parfois, dans des centres
de recherche des services de renseignements aux USA ?
Jürgen Külbel :
Dans le cadre du dossier « La Belle » il a passé un
moment outre-Atlantique en 1996 et a apporté quelque chose avec
lui. Serait-il allé skier avec des membres de la CIA à Aspen,
Colorado ? De toute évidence, Mehlis est l’instrument
des services secrets. Sans eux, il n’aurait pas pu effectuer
son travail de sabotage dans ces domaines sensibles de la sale
politique. On peut en être aussi sûr que de l’Amen à l’église.
Croyez-vous les grandes puissances assez folles pour perdre leur
temps avec d’ « honnêtes » enquêteurs poussés
par un naïf désir de vérité ?
Pour en revenir à ses liens
avec les services secrets israéliens : Mehlis a commencé
son “travail” avec la commission Hariri, l’UNIIIC, en mai
2005. Quelques semaines après, le 20 juillet, le quotidien français
Le Figaro lui a demandé pourquoi il avait
sollicité l’assistance d’Israël et de la Jordanie. Mehlis
a répondu : « Il est connu qu’Israël possède de
bons équipement de sécurité, en particulier des équipements
technologiques. Nous leur avons demandé de nous fournir des
données concernant l’assassinat. Ils nous ont donné de
bonnes informations ».
Par la suite, dans son premier
rapport du 19 octobre 2005, il a dit dans son introduction,
au paragraphe 19 : “ …il est à regretter qu’aucun
autre État membre n’ait transmis à la Commission des
informations aussi utiles.” Mehlis, ne dit pas la vérité. Même
la presse israélienne a écrit que des agents des services
secrets israéliens avaient rencontré son équipe en Europe.
Bien sûr à aucune de ces
personnes n’est venu l’idée d’examiner si le Mossad
pouvait être celui qui avait tiré les ficelles dans le meurtre
d‘Hariri. Cela ne fait pas partie des instructions données
par leurs employeurs. Ils ne doivent répondre qu’à une seule
demande : mettre la Syrie au pilori. Ils font partie de ces
robots qui constituent le système bureaucratique :
accoutumés, derrière leur masque de propreté, à aller de
l’avant dans de sales affaires, chiens de garde du système,
se soumettant docilement à n’importe quelle obscénité. En
1914 déjà, Henrich Mann, écrivain allemand et frère du
fameux Thomas Mann, avait décrit de façon impitoyable ce genre
d’hommes dans son roman Le Sujet.
Aujourd’hui, ses constatations ne s’appliquent plus
seulement aux Allemands.
Silvia
Cattori : M. Brammertz est-il
mieux à vos yeux ?
Jürgen Külbel :
Monsieur Brammertz a assurément bluffé l’opinion publique
avec ses premier et deuxième « rapports techniques”. On
dit qu’il a, ces toutes dernières semaines, « réchauffé »
un des « principaux témoins » de Mehlis, Mohammad
Zuheir Siddiq. Ce dernier a affirmé à Al Arabiyya, le 9
september 2006, que le « président syrien Bachar Assad et
sa contrepartie libanaise Emile Lahoud ont donné l’ordre d’éliminer
l’ancien ministre Rafic Hariri », et il a ajouté que
les « assassins sont actuellement en prison et les autres
sont en Syrie ». Il s’agit des quatre anciens chefs de
la Sécurité générale libanaise qui sont détenus depuis plus
d’une année sur la base de sa « déclaration » et
sur la recommandation de Mehlis, à savoir : le brigadier-général
Jamil Sayyed ; le général Raymond Azar, ancien chef du
renseignement de l’Armée de terre ; le brigadier Mustafa
Hamdan, ancien chef de la Garde présidentielle ; et Ali
Hajj, ancien chef des Forces de Sécurité générales internes.
Mais le magazine politique
allemand Der Spiegel avait déjà révélé,
le 22 octobre 2005, que Siddik était une personne douteuse qui
avait été reconnue coupable de crime et d’escroquerie. Ce prétendu
ancien officier des Services secrets syriens avait, en réalité,
été plus d’une fois condamné pour des délits financiers.
Ce magazine avait indiqué que la Commission d’enquête des
Nations Unies était bien au courant qu’elle avait était
trompée par Siddik, qui avait tout d’abord affirmé avoir
quitté Beyrouth un mois avant l’attaque contre Hariri, mais
qui avait dû ensuite admettre, à fin septembre 2005, son
implication directe dans l’exécution du crime.
Siddik avait déclaré à Mehlis
qu’il avait mis son appartement de Beyrouth à la disposition
des conspirateurs pour tuer Hariri, parmi eux les fonctionnaires
syriens des services secrets emprisonnés. À son propre sujet,
il avait déclaré avoir recueilli des informations pour les
services syriens touchant les camps de réfugiés palestiniens
au Liban. Pourtant, des semaines auparavant, le gouvernement
syrien avait envoyé de la documentation au sujet de Siddik à
divers gouvernement occidentaux, espérant que Mehlis ne
tomberait pas dans le piège d’un imposteur notoire.
Il est devenu évident par la
suite que Siddik avait reçu de l’argent pour ses dépositions,
ses relevés ayant révélé qu’il avait reçu, à la fin de
l’été, un appel téléphonique de Paris au cours duquel il
avait annoncé « je suis devenu millionnaire ». Des
doutes concernant la crédibilité de cet homme avaient de plus
été alimentés par la révélation que Siddik avait été
recommandé à Mehlis par le renégat syrien de longue date
Rifaat al-Assad, un oncle du président syrien qui, plus d’une
fois, s’est proposé comme une « alternative au président
de la Syrie ».
Le Liban lança un mandat
d’arrêt contre Siddik, qui fut par la suite désigné comme
suspect par les enquêteurs de l’ONU, mais les autorités françaises
refusèrent d’extrader Siddik car la peine de mort est encore
en vigueur au Liban.
Aucun des quatre chefs de la sécurité
emprisonnés n’a été formellement inculpé et aucun
d’entre eux n’a été confronté à Siddik, comme la loi
l’exige.
Le 9 septembre 2006, Siddik a répété
ses allégations depuis Paris : « J’ai vu la
voiture (suspectée de transporter des explosifs) alors qu’on
la préparait dans le camp des services de renseignements syrien
de Zabani dans la Bekaa, et j’ai donné à l’ancien chef des
enquêteurs de l’ONU des documents et des photos
incontestables dont je possède les négatifs, et il y a quantité
de choses qui vont être révélées plus tard ».
Cette fois, Siddik affirma que
les Services de renseignements syriens avaient essayé « de
l’attirer en Syrie en lui offrant d’importantes sommes
d’argent et le titre de héros » s’il retirait ses précédentes
accusations. Il prétendit avoir « l’enregistrement
d’un officier syrien de haut rang » qui lui aurait
demandé, un mois auparavant, d’accuser certains des leaders
du « Mouvement du 14 mars » de l’avoir incité à
accuser la Syrie de l’assassinat d’Hariri.
Normalement, les magistrats et
procureurs sains d’esprit savent que ce genre de témoin a un
problème et ils devraient se demander : qui a fabriqué ce
super témoin ? Mais je suis sûr qu’ils ne vont pas se
poser cette question et que Brammertz adore ce Siddik.
Silvia
Cattori : N’est-il pas troublant
que M. Kofi Annan ait nommé à une si haute charge un
homme de ce genre ?
Jürgen Külbel :
Kofi Annan est -après O. J. Simpson et Condoleezza Rice- la
troisième personne de couleur que je ne voudrais pas rencontrer
dans la rue.
Silvia
Cattori : Est-ce innocent que Mme Carla
Del Ponte, procureur qui occupe la même position que M. Mehlis
au sein du TPI ait recommandé M. Mehlis pour cette enquête ?
Jürgen Külbel :
Ils sortent tous du même moule. Carla del Ponte, ou Carlita
« la pesta », a proposé M. Mehlis pour ce
poste. Monsieur Mehlis a, par la suite, proposé son ami
Brammertz pour qu’il assure sa succession.
Silvia
Cattori : M. Mehlis
n’avait-il pas déjà fait scandale pour avoir conclu à la
responsabilité de la Libye, dans l’attentat de la discothèque
« La Belle » à Berlin, en 1986, accusation qui
avait permis aux États-Unis de bombarder Tripoli, Benghazi et
d’isoler la Libye ?
Jürgen Külbel :
Detlev Mehlis a, en effet, dirigé les enquêtes concernant la
discothèque « La Belle ». D’ailleurs,
bizarrement, c’est le sinistré lui-même, le propriétaire de
la discothèque, qui a eu le premier l’idée que les Libyens
pourraient être là-derrière. Le 6 avril 1986, un jour après
l’attentat, il a dit : « Ces derniers temps on
entend souvent parler d’attaques terroristes dont le
commanditaire est Kadhafi et je craignais que ma discothèque ne
puisse être un jour la cible d’un tel attentat ». La
discothèque « La Belle » à Berlin-Ouest était
avant tout fréquentée par des soldats états-uniens noirs et,
lors de l’attentat, une jeune Turque et deux GIs furent déchiquetés
par une bombe ; une partie des quelques deux cents clients
furent grièvement blessés. Personne n’a jamais enquêté
pour savoir si, comme le prétendaient des témoins, le propriétaire
était impliqué dans le milieu de la drogue et dans le trafic
d’armes, ce qui aurait pu l’obliger à rendre certains
services.
Toute cette affaire est pleine
d’embûches, de ruses, d’intrigues ; elle est cousue du
fil dont se sert le valet, dans une comédie bourgeoise typique,
pour monter une accusation à la convenance de ses maîtres. Je
vais en parler plus amplement dans mon prochain livre ;
j’ai étudié ce dossier en détail.
Silvia
Cattori : Dans le cas « La
Belle » jouaient également un rôle des messages radio
envoyés par le Mossad pour faire porter la responsabilité de
cet attentat sur la Libye. Qu’est-ce que l’investigateur et
procureur Monsieur Mehlis a fait de ce « matériel »
qu’on ne peut pas vraiment considérer comme étant une preuve ?
Jürgen Külbel :
Tout de suite après l’attentat, Ronald Reagan, président des
États-Unis à cette époque, était convaincu que l’attaque
avait été mise en œuvre par le chef de l’État libyen
Mouammar Al Kadhafi. Devait servir de preuve un message radio du
Bureau du peuple (ambassade) de Libye à Berlin, capitale de la
RDA, prétendument intercepté par le service secret états-unien
NSA ; ce message disait : « Ce matin à 1h30 une
des actions a été mise en œuvre avec succès et sans laisser
aucune trace. Le bureau du peuple à Berlin. »
Au cours du procès de Lockerbie,
l’ancien officier des services secrets israéliens, Victor
Ostrovski, a déclaré sous serment que des commandos du Mossad
avaient à l’époque installé « un cheval de Troie »,
c’est-à-dire un émetteur à Tripoli qui diffusait des faux
signaux faisant état du « succès » de la bombe à
Berlin. Selon Ostrovski, les messages radio interceptés n’étaient
qu’une invention du Mossad.
Silvia
Cattori : Que savez-vous de ces prétendus
messages radio ?
Jürgen Külbel :
Bon, M. Mehlis s’est adressé au service de
renseignements allemand (BND) à Pullach, près de Munich.
Detlev Mehlis a eu connaissance des messages et souhaitait les
utiliser comme preuves. Puis, le 4 octobre 1996 il y eût un
rendez-vous entre M. Mehlis et les collaborateurs de la
section « Fourniture technique » du BND qui
l’assurèrent que la demande serait examinée. Quelques jours
plus tard, le 8 octobre 1996, il reçut un document du BND
comportant le contenu des messages radio suspects.
Pour être précis, il
s’agissait de cinq prétendus messages par radio téléimprimeur,
qui étaient supposés avoir été échangés entre Tripoli et
le Bureau du peuple libyen à Berlin-Est, cela entre le 25 mars
et le 5 avril 1986, et dont le BND - ainsi l’affirmaient ces
Messieurs - avait eu connaissance dans le cadre de ses travaux
de renseignement. Le service de renseignements déclara que les
messages avaient été enregistrés sous forme cryptée par un
« service-ami », très probablement un service des
États-Unis, puis transférés au BND. Le service en question
exigea du BND que son identité soit tenue secrète, mais il
l’autorisa à mettre les messages interceptés à la
disposition du bureau du procureur allemand et du Tribunal.
Lorsque, deux ans plus tard, le
6 octobre 1998, le BND fournit au tribunal un témoignage
officiel concernant ces messages, il indiqua qu’il est certes
possible de manipuler du matériel ainsi échangé mais que le
BND n’avait toujours pas, dans ce cas concret, de raisons de
douter de son authenticité.
Le service des renseignements
allemand prétend avoir déchiffré les messages, et les avoir
traduits par la suite de la version arabe originale en allemand.
Et c’est là que ça coince : le service secret allemand
a informé le Tribunal par écrit que le « BND ne
disposait plus, ni de la version originale cryptée, ni du texte
original en langue arabe ». Tout cela n’est pas
inhabituel selon ces Messieurs de Pullach, la centrale des
services des renseignements allemands, car il ne s’agirait que
de la procédure habituelle employée lorsqu’on travaille avec
ce genre de messages où la version déchiffrée et traduite
remplace « l’original ».
Ces messages radio, que je ne
vais pas citer ici un par un, ne sont qu’un produit
fantaisiste du Mossad, comme l’a déclaré Ostrovsky sous
serment. Mais, comme on peut le voir, ils n’en ont pas moins
fait leur chemin d’une façon peu sérieuse, jusque devant un
tribunal allemand.
Ceci n’est qu’une intrigue
de la pire espèce, et si transparente que les gens sains
d’esprit s’arrachent les cheveux face à ce genre de
manipulations.
Silvia
Cattori : Peut-on en déduire que
M. Mehlis était l’homme d’Israël et des États-Unis
pour avoir déjà couvert une action du Mossad dans ce dossier
berlinois ?
Jürgen Külbel :
Pour les raisons mentionnées ci-dessus, je partage largement
l’analyse du politologue britannique Nafeez Mosaddeq Ahmed :
« En tant que procureur à Berlin, Mehlis a,
accidentellement mais de façon logique, étouffé l’intérêt
douteux que les services secrets américains, israéliens et
allemands, portaient à l’attaque terroriste de 1986, il a
activement construit contre des suspects un dossier sélectif et
politiquement motivé, sans preuves matérielles objectives tout
en ignorant et en protégeant un groupe de suspects ayant des
relations prouvées avec les services secrets occidentaux ».
Silvia
Cattori : M. Brammertz a
demandé une prolongation de l’enquête d’une année. Cela
a-t-il un sens ?
Jürgen Külbel :
D’une certaine façon, dans cette inquisition de l’ONU, le
souffle en est venu à manquer à ces Messieurs les enquêteurs ;
c’est-à-dire que l’ensemble des preuves contre Damas et
contre les quatre anciens officiers de sécurité libanais est
aussi mince que le tissu d’une vieille chaussette. Mais il est
suffisant pour les donneurs d’ordre -l’administration américaine-
de garder sur le feu les accusations contre la Syrie, encore un
an au moins, et cela de façon ostensible. Bush a bien encore,
comme on s’en doute généralement, quelques projets de
guerres impériales pour son deuxième mandat.
Silvia
Cattori : Le « Mouvement du
14 mars » a-t-il obtenu l’appui financier des Etats-Unis ?
Jürgen Külbel :
Voulez-vous parler de cette troupe lamentable qui est au service
de l’Amérique de la Mort depuis la « révolution »
des cèdres ?
Silvia
Cattori : Ce mouvement sert-il les
visées de Ziad Abdelnour, l’homme sur lequel Tel Aviv et
Washington comptent pour mettre en place un régime qui leur
sera favorable ? Dans votre livre, vous mentionnez Ziad K.
Abdelnour, président du Comité US pour un Liban libre, comme
une personne qui joue un rôle important dans la promotion des
plans de l’administration Bush ?!
Jürgen Külbel :
Ce monsieur est l’un des plus actifs criminels en col blanc
qui ne rate pas une occasion de donner libre cours à la
propagande et au dénigrement pour dénoncer la Syrie et le
statu quo au Liban. Il s’est mis en tête d’imposer à l’Arabie
des rapports capitalistes classiques. Je pense qu’il ne jouera
plus de rôle politique après la parution de mon livre. Mais
ses intérêts économiques et ceux de ses clients seront bien
évidemment satisfaits par un régime de marionnettes. Et
c’est bien là le véritable objectif de ce banquier de Wall
Street. Une région arabe qui n’est pas mise en coupe réglée
représente une perte économique pour des personnes de son espèce.
Entre le 5 et le 7 juin 2006, il a par exemple prononcé un
discours à Dubaï, à l’hôtel Madinat Jumeirah, sur le sujet
« Venture capital investing » dans la région arabe.
Abdelnur s’exprimait là en tant que président & CEO de
Blackhawk Partners, LLC, USA, devant des responsables de grands
groupes et banques d’Europe, des États-Unis, du Proche-Orient
et du Golfe, ainsi que devant des représentants du Fond Monétaire
International.
Silvia
Cattori : La déstabilisation du
Liban servait-elle alors les candidats financés par Israël et
les États-Unis, comme M. Nagi N. Najjar ?
Jürgen Külbel :
Pas un seul Libanais honnête ne tolérerait ce Najjar,
collaborateur de longue date d’Israël, même comme chef
d’un groupe de vendeurs de chaussures. Ce genre de personnes
immorales, généralement serviteurs de deux maîtres, passent
leur existence dans les zones d’ombre entre politique et
services secrets, jouent leurs petits jeux, et se placent en
tant que collaborateurs et commanditaires. Le rôle de ce
« stratège » demande des investigations encore plus
approfondies que celles que j’ai déjà effectuées. Etienne
Sakr, chef des « Guardians of the Cedars », une
milice civile organisée selon un modèle fasciste, a établi un
contact, fin février, entre une délégation de « résistants
libanais en exil » et des membres du Parlement britannique
afin de discuter de la « situation » au Liban et en
Syrie. Najjar était naturellement de la partie. Ces exilés,
que des procès attendent au Liban à cause de leur
collaboration avec Israël pendant la guerre civile, réclamèrent
à cette occasion le droit au retour et le droit de participer
au processus politique pour combattre le fondamentalisme
islamique. En outre, ils critiquèrent Beyrouth pour ne pas
avoir désarmé le Hezbollah. Sakr, contre qui la peine de mort
a été prononcée au Liban, demanda en outre à Londres et
Washington, de renforcer la pression sur le gouvernement de
Damas qui serait, selon lui, un foyer de troubles dans la région
car il « encourage » le terrorisme et le Hezbollah.
Au « Military Officers Club » à Londres, les deux
parties se sont mises d’accord pour garder un œil sur ces
demandes et pour trouver également un accord avec les Français.
À peu près au même moment, le
17 mars, se sont également rencontrés, comme par hasard,
quatorze hommes politiques syriens exilés à Bruxelles, qui ont
déclaré que la « Syrie avait besoin d’être libérée
du régime autocratique qui a affaibli le pays ». Les
groupes de l’opposition, formés par les libéraux, les
communistes, les Kurdes et la fraternité musulmane, souhaitent,
par un changement de régime, abroger la constitution, mettre en
place un gouvernement transitoire, organiser des élections et
lever l’état d’urgence.
« L’un de nos plus
grands défis est d’abattre le mur de la peur », a déclaré
Nadjib Ghadbian du Conseil national syrien, une confédération
de groupes d’opposition aux États-Unis. Ghadbian, professeur
à l’université d’Arkansas, est en outre un membre
dirigeant du « Center for the Study of Islam &
Democracy » (CSID) basé à Washington, une organisation
de dissidents qui collabore étroitement avec l’USAID de
Cheney et Rice. On mijote tout simplement le « nouveau
Proche Orient » si cher à la granitique Rice.
Silvia
Cattori : L’arrestation, en juin
2006, de personnes appartenant à un réseau du Mossad au Liban
sud a-t-elle un lien avec le cas Hariri ?
Jürgen Külbel :
Le 26 juin, j’ai envoyé une lettre ouverte à Kofi Annan et
Serge Brammertz, qui a également été publiée dans des
quotidiens arabes. Je leur ai demandé de ne pas laisser passer
du temps inutilement, et d’élargir le champ des
investigations dans l’affaire Hariri en direction d’autres
commanditaires éventuels du crime, notamment « Israël et
le Mossad » et tous leurs collaborateurs. Étant donné
que ce genre de crime commis par le Mossad à l’étranger
-comme le cas récent de Majzoub- ne peut être exécuté
qu’avec l’autorisation du Premier ministre israélien,
j’ai proposé à Annan de donner immédiatement
l’autorisation à l’UNIIIC -si nécessaire par le biais
d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU-
d’interroger les responsables au sein du gouvernement israélien,
en premier lieu le Premier ministre Ehud Olmert et le chef du
Mossad Meir Dagan. Car, comme le démontrent les enquêtes de
l’armée libanaise, Israël dispose d’une vaste expérience
et d’un savoir-faire précis dans la technique criminelle des
voitures piégées. De plus, sous la direction de Serge
Brammertz, épaulé par ses enquêteurs assidus, l’UNIIIC a la
chance unique d’élucider le fonctionnement d’un système
terroriste opérant au plus haut niveau logistique et
technologique et ainsi, peut être ne serait-ce que dans la
perspective d’en tirer une meilleure compréhension ou des éléments
de comparaison, de trouver une réponse à beaucoup de questions
apparues au cours de l’enquête ; parmi lesquelles la
question de savoir avec quels moyens de haute technologie a été
menée l’attaque contre Hariri.
Silvia
Cattori : Des analystes
s’accordent à dire que la France, par son appui à la résolution
1559, est responsable du sort actuel du Liban. Avez-vous
compris pourquoi la France s’est lancée, dès 2004, dans une
direction compromettant sa crédibilité aux yeux du monde Arabe ?
Jürgen Külbel :
Bien évidemment, la France est parmi les principaux
responsables de la catastrophe qui a frappé le Liban depuis la
mort d’Hariri. Jacques Chirac est non seulement un partenaire
des machinations états-uniennes dans le Levant, mais il a même
cherché activement à convaincre Bush de donner carte blanche
à la France dans son ancienne zone coloniale d’influence. Le
texte de la résolution 1559 de l’ONU, qui demandait le
retrait des troupes syriennes du Liban, a été rédigé par un
conseiller de l’Élysée en collaboration avec la secrétaire
d’État Condolezza Rice. Apparemment, ni le Secrétaire général
de l’ONU Kofi Annan, ni le ministère français des Affaires
étrangères, n’en ont été informés. Après l’attentat
contre Hariri, tout indique que Chirac, Bush et Sharon se sont
mis d’accord sur un partage des rôles dans le complot visant
à renverser le président syrien Assad et à éliminer le parti
Baas.
Silvia
Cattori : Pensez-vous que cette région
se trouve au milieu d’une longue guerre ? Et qu’Israel
la mènerait non seulement pour détruire le Hezbollah, mais
aussi les peuples de la région ?
Jürgen Külbel :
En premier lieu, Israël prend en otage la communauté des
peuples. Les cours princières « démocratiques »
d’Europe et d’ailleurs envoient 15000 de leurs enfants en
Terre Sainte, afin qu’ils assurent « par un mandat
robuste » la sécurité de l’État juif. Bien évidemment
ce sont les contribuables de chacun des États qui payent pour
ces missions. Donc, zéro risque et zéro frais pour Israël. Et
les cercueils des soldats sont accueillis avec trompettes et
salves d’artillerie, la caisse impériale se montrant
habituellement généreuse à ces occasions, car ce n’est pas
une entreprise trop onéreuse. Quant à savoir si le « mandat
robuste » pourrait aussi servir parallèlement à préparer
une attaque d’Israël ou des États-Unis, ou des deux
ensembles, contre l’Iran, il faut le demander au diable du
Kentucky. Il est possible que les casques bleus soient précisément
destinés à servir de couverture, dans cette région de l’Orient
arabe, au moment où les avions de combat impériaux et israéliens
attaqueront Téhéran. De toute façon, au cours des dernières
années, les États-Unis ont réduit l’ONU à l’impuissance
et l’ont menacée de sanctions financières au cas où elle ne
se mettrait pas au service des empereurs du Potomac. Pourquoi
les États-uniens devraient-ils encore se gêner d’utiliser
pour des missions de combat, et selon le bon vouloir de MM. Bush
et Cheney, des forces armées, prévues initialement pour des
missions de maintien de la paix ?
Silvia
Cattori : Le Mossad et la CIA
doivent aujourd’hui vous considérer comme un ennemi et
surveiller tous vos échanges et contacts ; n’avez-vous
pas peur qu’il ne tente de vous faire taire brutalement ?
Jürgen Külbel :
Cette idée m’est déjà passée par la tête. Dans les
dossiers traités par Mehlis, on trouvait régulièrement des décès,
soit par accident, soit par dépression. C’est le sujet de mon
prochain livre.
Traduction
de l'allemand Eva
Hirschmugl et
JPH
Propos recueillis pour le Réseau
Voltaire par Silvia Cattori
[1]
Geheimakte Mehlis – Terroristenjäger,
Staatsanwalt, Gesetzesbrecher, à paraître en mars 2007.
[2]
Mordakte Hariri, Unterdrückte Spuren im Libanon
par Jügen Cain Külbel, Edition Zeitgeschichte Band 34, 2006
(ISBN 3-89706-860-5).