Opinion
La prise de
pouvoir par Morsi
provoque des violences en Egypte
Shahira Amin
© RIA
Novosti. Alexabdre Yelistratov
Mercredi 28 novembre
2012 Source :
RIA Novosti
La déclaration constitutionnelle très
controversée publiée jeudi par le
président islamiste Mohamed Morsi
élargit considérablement ses pouvoirs.
Elle a provoqué la polarisation du pays
et a plongé l'Egypte dans un chaos
politique et économique encore plus
profond.
Conformément à ce nouveau décret
présidentiel, Morsi se retrouve hors de
tout contrôle judiciaire. Le texte
interdit également la dissolution de
l'assemblée constituante - que composent
100 membres de l'organisme chargé
d'élaborer la nouvelle constitution du
pays - et de la Choura, le conseil
consultatif. Par ailleurs, le décret
autorise Morsi à démettre de ses
fonctions Abdel Meguid Mahmoud, le
procureur général extrêmement
impopulaire nommé par Hosni Moubarak,
pour le remplacer par la juge Talaat
Ibrahim Abdallah, à la tête du mouvement
Indépendance du système judiciaire.
Les forces révolutionnaires et
politiques se sont presque immédiatement
unies pour condamner le décret. Certains
ont même qualifié Morsi de "dictateur
fasciste". Dimanche dernier, les
affrontements entre partisans de Morsi -
principalement les Frères musulmans - et
leurs opposants duraient depuis trois
jours déjà. Ces altercations ont coûté
la vie à un homme à Damanhour, dans le
delta du Nil.
Les deux camps se sont battus à coups
de pierres et de cocktails Molotov. A
Alexandrie, Port-Saïd, Ismaïlia et Suez,
les QG du parti des Frères musulmans,
Liberté et Justice, ont été pris
d'assaut et brûlés.
La police a aspergé de gaz
lacrymogène les manifestants qui avaient
installé un campement sur la place
Tahrir. Ces derniers ont annoncé qu'ils
ne partiraient pas tant que Morsi ne
renonçait pas à sa decision.
"Le président Morsi doit annuler sa
décision car ce décret déstabilise le
pays et pourrait être très lourd de
conséquences", met en garde l'ancien
député Amr Hamzaoui, professeur de
politologie à l'Université américaine du
Caire. Il faisait partie des milliers de
manifestants qui étaient descendus dans
la rue vendredi pour condamner ledit
décret.
Le leader des réformateurs, Mohamed
al-Baradei, qui s'était joint aux
manifestants avec les anciens candidats
à la présidentielle Amr Moussa et Hamdin
Sabahi, a appelé les Egyptiens à "sauver
l'Egypte de l'usurpation du pouvoir".
Le décret a été signé immédiatement
après que Morsi a signé l'accord de
cessez-le-feu entre la bande de Gaza,
contrôlée par le Hamas, et Israël. Les
observateurs pensent que le président
égyptien s'est enhardi après l’éloge
formulé par les puissances mondiales
après son succès en tant que médiateur.
Selon les observateurs, cette vague
favorable l'aurait poussé à s'approprier
de grands pouvoirs, qui le placeront
au-dessus des lois.
En s'adressant à ses compatriotes
rassemblés vendredi devant le palais d'Abbassia,
Morsi a justifié sa décision en
affirmant que cette mesure visait à
"protéger la révolution" et qu'elle
était "dans l'intérêt de tous les
Egyptiens".
Il a pointé du doigt les juges qui,
selon lui, tentent de saboter la
transition et veulent maintenir le pays
dans un chaos interminable. Morsi a
ajouté que la population avait le droit
de s’exprimer, si elle le faisait de
manière pacifique. Il a condamné les cas
de violence qui, selon lui, ont été
commis par des "salauds engagés par les
hommes loyaux envers l'ancien régime
afin de créer le chaos" ; a déclaré le
président Morsi.
Un communiqué présidentiel, dimanche
dernier, a annoncé que les nouveaux
pouvoirs du président étaient
"temporaires et nécessaires afin de
mettre l'Egypte sur la voie de la
démocratie".
La conseillère du président pour les
questions politiques, Pakinam al-Charkaoui,
a déclaré dans une interview accordée à
RIA Novosti que ce décret était une
"tentative du président de mettre un
terme à la période de transition
chaotique - pour aller de l'avant en
surmontant cet obstacle afin de
redresser l'Egypte". Elle a également
insisté sur le fait que les nouveaux
pouvoirs du président étaient
"temporaires" et qu'il n'en disposerait
que jusqu'à l'adoption de la nouvelle
constitution, qui déterminera les
pouvoirs de l'institution
présidentielle.
Elle a laissé entendre que cette
mesure faisait suite au complot visant à
renverser le président, fomenté par des
juges loyaux envers l'ancien régime :
"C'était une mesure nécessaire pour le
passage vers la démocratie". Elle a
ensuite expliqué qu'en laissant la Cour
constitutionnelle dissoudre l'assemblée
constituante ou le conseil de la Choura
en les proclamant "non
constitutionnels", l'Egypte se serait
presque retrouvée sans institution
gouvernementale.
En clair, cela aurait renvoyé
l'Egypte à la case départ.
"Ces deux dernières années, le
progrès a été insignifiant. Il est temps
d'aller de l'avant.
Cela implique l'adoption d'une nouvelle
constitution puis la tenue d’élections
législatives afin que le pays se
rapproche de la stabilité. Seule une
Egypte stable permettra de faire revenir
les touristes et les investisseurs",
a-t-elle déclaré.
Pakinam al-Charkaoui a également pris
la défense du président en affirmant
qu'il agissait dans l'intérêt de tous
les Egyptiens et que le décret
présidentiel était une tentative de
réaliser certains objectifs de la
révolution. Le président a promis qu'un
nouveau procès contre les accusés de
meurtres de manifestants, pendant et
après la révolte de janvier, serait
organisé.
Pendant la réunion du Club des juges
d'Egypte (un organisme indépendant),
dimanche, la décision de Morsi a été
qualifiée de "préjudice pour
l'indépendance judiciaire". Les membres
du club ont également appelé à une grève
générale dans les tribunaux de toutes
les instances.
La réunion a été interrompue par les
cris de la foule qui scandait "le peuple
exige le renversement du régime", un
slogan de la révolte de janvier 2011,
alors que l'ex-président Hosni Moubarak
allait être renversé.
L'opposition a proposé d'organiser
mardi, sur la place Tahrir, une marche
des millions pour protester contre ce
décret, en appelant au renversement du
régime. Pendant ce temps, les Frères
musulmans du président Morsi tiendront
sur la place voisine Adbin un
rassemblement de solidarité pour
soutenir le président et ses actions.
En cherchant à apaiser la crise - qui
risque de se transformer en scission
pour de nombreuses décennies entre la
société islamiste et laïque -, le
président Morsi veut organiser une
réunion des juges suprêmes pour tenter
de régler les différends concernant ses
nouveaux pouvoirs.
Mais, à mesure que les affrontements
éclatent périodiquement entre les forces
de sécurité et les activistes de
l'opposition, on craint de plus en plus
que la crise se transforme en guerre
civile.
Shahira Amin,
journaliste égyptienne, ancienne
vice-directrice de la chaîne nationale
égyptienne Nile TV et une de ses
présentatrices
© 2012
RIA Novosti
Publié le 29 novembre 2012
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