Opinion
Le FMI veut saigner
un Pakistan déjà ravagé par les inondations
Sampath Perera
Photo: RIA Novosti - ©
REUTERS/ADREES LATIF
Vendredi 17 septembre 2010
Exploitant sans honte le désastre
humanitaire causé par six semaines d'inondations, le Fonds
monétaire international (FMI) refuse d'accorder au Pakistan des
fonds promis en 2008 dans le cadre d'un prêt tant qu'Islamabad
n'aura pas appliqué des changements de politiques considérables
– changements qui réduiront encore plus les revenus des
travailleurs appauvris du pays.
Au début de l'été, le Pakistan était censé
recevoir une tranche de 1,3 milliard de dollars faisant partie
d'un prêt total de 11,3 milliards. Mais le FMI en a reculé la
date du transfert après qu'Islamabad ne fut pas parvenu à
atteindre divers objectifs de performances fixés par le FMI.
Après cela, plus de 20 millions de
personnes et 79 des 124 districts administratifs du Pakistan ont
été touchés par les inondations de la vallée de l'Indus.
Le bilan actuel donné par le gouvernement
de 1700 morts est faible comparé au tsunami de 2004 dans l'océan
Indien ou au tremblement de terre de janvier dernier à Haïti.
Mais des millions de gens affamés et sans abri restent à la
merci des maladies et, par bien d'autres aspects, cette
catastrophe pakistanaise dépasse de loin ces tragédies.
En début de semaine, Maurizio Giuliano du
Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires
humanitaires a qualifié les inondations d’« une des pires
catastrophes humanitaires de l'histoire des Nations unies, en
termes de nombre de personnes auxquelles il faut porter
assistance et aussi de région concernée ».
Selon Giuliano, au moins dix millions de
personnes sont actuellement sans abri. Une grande partie de
l'infrastructure physique du pays, dont environ 1000 ponts et
4000 kms d'autoroutes, a été détruite et 23 pour cent au moins
des récoltes de fin d'été et début d'automne du pays ont été
détruites.
Les eaux ne s'étant pas encore totalement
retiré, en particulier dans le sud du Sind, et les pertes des
foyers et des entreprises commençant tout juste à être comptées,
les estimations des dégâts ne sont que des approximations.
Cependant, ces estimations gouvernementales, se montant à 43
milliards de dollars, représentent déjà près d'un quart du PIB
annuel du Pakistan.
De plus, les inondations auront un effet
durable sur l'économie du Pakistan, notamment sur la
disponibilité et le prix de la nourriture et du coton, lesquels
sont vitaux pour l'industrie textile pakistanaise, qui constitue
sa plus importante source de revenus à l'exportation. Et cela se
produit dans une situation où, même avant les inondations, un
Pakistanais sur quatre, soit 45 millions de personnes, souffrait
de malnutrition.
La semaine dernière, l'agence de notation
Moody's Investor Service a changé son avis sur les cinq
plus grandes banques du Pakistan, de stable à négatif, en raison
des inquiétudes sur le fait qu'elles pourraient être fragilisées
par des prêts peu performants. Nondas Nicolaides, un responsable
des analyses à Moody's, a déclaré au Financial Times
britannique que « Ce seront surtout les secteurs agricoles et
textiles [qui seront touchés par les inondations], mais nous
nous attendons à ce qu'un effet indirect se développe sur le
système bancaire. »
Dans une crise sociale et économique aussi
grave, les responsables pakistanais espéraient que le FMI
pourrait être persuadé d'assouplir ses critères pour accorder la
sixième tranche du prêt conclu en 2008. Mais lorsqu'ils ont
rencontré les dirigeants du FMI à Washington dix jours durant à
la fin août et au début de ce mois, ils ont été sèchement
éconduits.
Selon un article publié le 8 septembre dans
Dawn, les autorités du FMI ont adopté « une position très
ferme » durant les négociations, affirmant « Que le conseil de
direction du FMI n'a pas l'intention d'étudier la demande de
fonds supplémentaires du Pakistan tant que celui-ci n'aura pas
fait des progrès tangibles » quant à l'application des
restructurations économiques dictées par le FMI.
Les négociations se sont terminées avec le
directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, déclarant cela
publiquement dans des termes pratiquement aussi directs.
Strauss-Kahn a indiqué que la délégation
pakistanaise, dirigée par le ministre des Finances Abdul Hafeez
Shaikh, a promis d'appliquer les diktats du FMI – y compris la
suppression des subventions sur le prix de l'énergie et
l'imposition d'une taxe générale sur les ventes. Mais il a
déclaré que le FMI n'accorderait pas un centime des 2,6
milliards de dollars restant à verser sur le prêt de 11,3
accordé en 2008 tant qu'Islamabad n'aura pas effectivement
réalisé sa promesse d'appliquer les réformes exigées.
Le directeur général du FMI a déclaré que
la performance du gouvernement du Pakistan serait évaluée à
nouveau à la fin de l'année pour déterminer si les réformes
avaient été menées à bien et que seulement dans ce cas une
nouvelle tranche serait transférée à Islamabad.
« Notre dialogue avec le Pakistan sur
l'actuel arrangement en attente avance », a déclaré
Strauss-Kahn, « et les autorités ont exprimé leur intention
d'appliquer des mesures pour terminer la cinquième révision du
programme dans le courant de l'année. »
« Nous resterons en contact étroit durant
l'avancée de ces efforts. La réalisation de la cinquième
révision [des objectifs fixés par le FMI] nous permettra de
débourser 1,7 milliard supplémentaire. »
Le directeur général du FMI a dit qu'il
recommanderait au conseil de direction du FMI de prêter au
Pakistan 450 millions de dollars issus du Programme d'assistance
d'urgence en cas de catastrophe naturelle pour aider Islamabad à
porter secours aux victimes des inondations.
Mais avec une bonne partie du Pakistan en
ruine – et avec près d'un tiers du budget du pays déjà consacré
au remboursement des dettes – cela ne constitue qu'une maigre
consolation.
La position de Strauss-Kahn a été soutenue
par la Banque mondiale, qui tout comme le FMI est une
organisation sous contrôle des États-Unis, dominée par les
Occidentaux.
Dans une déclaration du 1er
septembre, après avoir rencontré le ministre des Finances
Shaikh, le président de la Banque mondiale Robert B. Zoellick a
souligné le besoin pour Islamabad d'appliquer des réformes
libérales avant tout. « Nous avons besoin, a dit Zoellick, de
répondre fortement à cette crise, mais nous devons le faire sans
perdre de vue les réformes économiques importantes. »
Il s'est ensuite lancé dans une menace
contre le gouvernement pakistanais et la population du Pakistan,
déclarant « La réponse des donateurs pour les inondations
dépendra également de la capacité du gouvernement à faire ce
qu'il a promis sur ce point. »
Les secours à apporter aux millions de
victimes des inondations du Pakistan constituent ainsi pour les
institutions financières impérialistes une arme qu'ils
brandissent pour pousser à des réformes libérales qui
faciliteront l'extraction du profit par les capitaux nationaux
et, encore plus, internationaux.
Comparé à l'ampleur du désastre, le
Pakistan n'a reçu qu'une aide au compte-gouttes de la part des
gouvernements du monde. La banque mondiale, pour sa part, a
accordé 1 milliard de dollars à Islamabad pour financer à la
fois les aides immédiates et la reconstruction à long terme.
Mais tout cet argent a été pris dans d'autres programmes
existants de la Banque mondiale pour le Pakistan.
Les réformes exigées par le FMI et la
Banque mondiale incluent :
— La transformation d'une taxe générale sur
les ventes en une TVA à 15 pour cent. Cette nouvelle taxe
transférant le fardeau des entreprises sur les travailleurs.
— L'élimination complète des subventions
sur le prix de l'énergie. Jusqu'ici, le gouvernement s'était
engagé à augmenter le prix de l'électricité d'au moins 25 pour
cent en trois phases de 6 mois à partir du 1er
octobre. (La Banque mondiale et la Banque pour le développement
de l'Asie avaient estimé plus tôt dans l'année qu'une
augmentation de 49 pour cent serait nécessaire pour réaliser la
promesse du gouvernement de mettre fin à toutes les aides sur
l'électricité.)
— L'autonomie totale de la banque centrale
du pays et l'arrêt des prêts de la banque au gouvernement.
La coalition dirigée par le Parti du peuple
pakistanais qui forme le gouvernement actuel du Pakistan a signé
à plusieurs reprises des promesses au FMI sur cette politique de
droite et sur d'autres comme des privatisations accrues. Elle
l'a encore fait la semaine dernière.
Après la réunion à Washington, le ministre
des Finances Shaikh a déclaré, « je veux réaffirmer l'engagement
du gouvernement du Pakistan envers le programme de réforme
économique, lequel inclurait une austérité fiscale ; une
mobilisation des ressources domestiques ; une réforme des
structures de gouvernance, y compris des entreprises du secteur
public ; et un environnement favorable au secteur privé. Nous
nous sommes engagés pour ce programme parce que c'est la voie à
suivre pour garantir une reprise forte et se remettre sur la
trajectoire de la croissance. »
Le gouvernement pakistanais se rend
cependant compte qu'il est assis sur une poudrière sociale.
C'est pourquoi il renâcle à mener des changements de politique
économique dont l'effet immédiat serait d'alimenter l'inflation
et de réduire la production. L'application de la TVA a été
repoussée à plusieurs reprises et est actuellement prévue pour
le 1er octobre, récemment le gouvernement a annulé
l'augmentation des prix de l'électricité prévue pour le mois
prochain.
Même avant les inondations de cet été, les
journaux pakistanais regorgeaient de commentaires sur les
troubles sociaux dus à la faim montante et à l'inégalité sociale
ainsi qu'à la désaffection de la population pour un gouvernement
civil qui a fondamentalement poursuivi la politique de la
dictature militaire à la solde des États-Unis qui l'avait
précédé. Cela inclut entre autres la collaboration de plus en
plus rapprochée avec les États-Unis dans la guerre en
Afghanistan et contre les milices pachtounes alliées aux
talibans au nord-ouest du pays.
Ces inondations qui ravagent la vie de
millions de Pakistanais ont aussi clairement mis en évidence
l'incompétence, l'indifférence et la corruption du gouvernement
et des élites dirigeantes dans leur ensemble, ce qui renforce
encore plus les craintes de ces élites qu'il n'y ait un
soulèvement social.
Mais, tout comme l'élite pakistanaise s'est
montrée prête dans la poursuite de son alliance mercenaire avec
l'impérialisme des États-Unis à plonger une grande part du pays
dans la guerre civile, elle finira par se plier aux pressions du
FMI et de la Banque mondiale et à appliquer des réformes
économiques aux conséquences sociales incendiaires dans les mois
qui viennent.
(Article original paru le 10 septembre
2010)
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Publié le 17 septembre 2010 avec l'aimable autorisation du WSWS
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